III

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En novembre 2013, j’ai changé de camp et j’ai rejoint le Front al-Nosra. Je ne me sentais plus très à l’aise avec l’EIIL. Je ne savais pas que "l’État islamique en Irak et au Levant" se battait aussi contre les soldats de l’ASL. Moi, je n’ai aucun problème avec les rebelles. Je ne te dirai pas grand-chose de plus. Je ne sais pas où sont les otages français [retenus prisonniers par l'EIIL] dont tu me parles. Je ne suis qu'un petit combattant. On ne partage pas ce genre d'informations avec moi. Contrairement à ce que tu penses, personne ne m’a considéré comme un traître quand je suis passé de l’un à l’autre. Al-Nosra et l’EIIL ne sont pas ennemis. Et puis, tu es libre de choisir dans quel camp tu veux te battre.

Dans ma nouvelle "famille" d’Al-Qaïda, mon quotidien n’a pas vraiment changé. Mais mon champ de bataille s’est agrandi. J’ai combattu à Alep, Homs, Damas. J’ai peaufiné mon éducation militaire. J’ai dû choisir entre une formation aux explosifs, une formation de sniper et une formation de commando au sol. Al-Nosra m’a orienté vers la troisième option.

Entre deux combats, nous rencontrons souvent des civils. Ils n’ont pas peur de nous. Au contraire. Souvent, les enfants se moquent de moi quand je parle français…. Et même quand je parle arabe d’ailleurs ! Je ne maîtrise pas encore très bien la langue. Chaque mois, nous sommes rémunérés 8 000 livres syriennes (environ 50 euros). Une somme amplement suffisante pour vivre, sachant que le logement, les armes et la nourriture sont fournis par Al-Nosra. Moi, je me suis acheté ma propre Kalachnikov au marché noir. Elle m’a coûté 1 200 dollars. C’est cher mais au moins, elle est à moi. Je me suis fabriqué une ceinture d’explosifs aussi. Si jamais, un jour, je n’ai plus de munitions ou de solution de repli, je pourrais foncer sur l’ennemi et me faire sauter. Autant en emporter un maximum avec moi.

Tu t’inquiètes pour les filles. Mais elles ne sont pas malheureuses. Leurs vies sont entre les mains de Dieu. Elles ne sont pas non plus en danger. Elles restent avec les femmes et les enfants des autres combattants, loin des combats, mais je ne te dirai pas où. Je ne les vois presque jamais, en réalité. Quand je pars au front, je m'absente pendant des semaines entières. Tout ce que je peux te dire, c'est que le Nutella leur manque. Quand une zone devient trop dangereuse, Al-Nosra les déplace. Il y a un mois, elles étaient à Harithan [non loin d’Alep], et à cause des affrontements de plus en plus violents entre l’ASL et l’EIIL, elles ont été déplacées. Al-Nosra les a transférées à la frontière turco-syrienne. Quand je pleure, Mariam et Fatima sont incroyables, elles m’appellent Superman ! Ça me fait rire à chaque fois. C’est fou comme elles s’adaptent à toutes les situations. (Au fait, ça va être compliqué de te mettre en contact avec Khadija. Si elle sait que je parle à une autre femme, même journaliste, elle me tue !)

✨Pourquoi je veux mourir en Syrie ?✨Où les histoires vivent. Découvrez maintenant