Chapitre 1 ♡

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Je suis Michael Ronda. J'ai soixante-douze ans, un cancer des intestins. Je suis au stade quatre. Ma femme, Emma Ronda, n'est pas à mon chevet ce soir. Elle ne l'a jamais été, et ne le sera jamais. Atteinte d'un Alzheimer précoce depuis ses quarante-cinq ans, je me suis toujours occupé d'elle. Je lui ai rendu visite en maison de repos, où elle a été internée puisque je ne pouvais plus m'occuper d'elle en permanence, travailler, et garder nos enfants. C'est elle, de son propre chef alors que cette terrible maladie ne lui avait pas encore pris tous ses souvenirs, qui a décidé de se faire prendre en charge. 

J'ai été son tuteur pendant vingt-cinq ans, mais le cancer m'a rendu incapable de continuer à aller la voir régulièrement. Notre cadet, Jean, a pris ma relève.

Emma et moi sommes, enfin étions, très proches avant qu'elle ne perde contact avec le présent. Elle est ma femme. Je suis son mari. Jusqu'à ce que la mort nous sépare.

Elle n'est pas la seule à qui j'ai promis... Mais, elle est la seule qui a toujours été là, qui m'a réconforté, aimé, accompagné durant une vie... Elle. Juste elle.

Toute ma vie, j'ai tenté de lui rendre son amour. De ressentir. 

Je ne suis toujours pas sûr d'y être arrivé. Je suis très attaché à elle. Elle était belle, vive, gaie, drôle, et présente. Je l'aime. Je l'aime comme une amie. Comme ma meilleure amie. 

A mon grand désespoir, je n'ai jamais pu, aimer Emma à la folie comme je l'aimais Elle, je n'ai jamais pu désirer Emma comme je la désirais Elle, je n'ai jamais ressenti pour Emma ce que je ressentais pour Elle.

En dépit de tout ce qu'elle m'a fait, en dépit de tout ce qu'elle nous a fait, je ne l'ai pas oublié. Elle fait partie de moi, son nom écrit dans mon cœur, le souvenir de ses lèvres sur les miennes me torturant, de mes mains sur son corps me rendant fou. 

Avec Emma, ce n'était pas ça. 

Je ressens de la compassion, de l'amitié, un profond respect. 

Je ne sais pas si je peux la qualifier de second amour, certes elle n'a pas été l'amour de ma vie, mais elle a toujours été présente, elle a vécu à mes côtés, elle m'a toujours soutenu, elle est restée en sachant que j'en aimais une autre. Au final, Emma est la femme la plus courageuse, sincère et dévouée que je connaisse, mais de qui, à mon grand désespoir, je n'ai jamais pu tomber amoureux.

Mon fils, Jean, quarante-deux ans, est un brillant ingénieur. Après de brillantes études, il a rejoint une grande entreprise d'aéronautique, a rencontré sa future femme, Ana, et mère de ses enfants. Je suis grand-père de deux jolies petites filles de douze et quatorze ans: Sarah et Lisa. Installés en Europe, en Italie, ils sont heureux. Ils me manquent. Quand je les ai eus au téléphone hier, ils m'ont promis d'être là très bientôt, mais j'ai bien peur de ne pas avoir la force de les attendre. 

Valentina, ma fille. Ma si jolie et tendre petite fille...

Elle est tout ce qu'il me reste de sa mère...

Valentina a été élevée par Emma comme si elle était sa fille. Et, elle l'est, même si ce n'est pas d'un point de vue biologique. Elle a été la personne présente pendant ses fièvres, ses chutes, ses premiers jours de crèche, d'école, de collège, ou de lycée. Elle l'a accompagné. Elle est sa maman. 

Valentina n'a jamais cherché à savoir qui était sa... véritable mère...

Emma était là, c'était suffisant. 

Il n'y a eu qu'une fois. Elle m'a demandé pourquoi nous n'étions plus que tous les deux, avec sa nouvelle maman qui venait d'accoucher de son petit frère.

Le souffle court, les mots me manquant, je lui avais répondu que sa maman était partie, qu'elle nous avait laissé. De ses si beaux yeux, si semblables aux yeux de mon amour perdu, elle m'avait répondu du haut de six ans, qu'Emma était sa nouvelle maman, et que l'"ancienne" ne l'était plus...

J'aime ma fille profondément, d'une manière incomparable. Autant que mon fils, bien sûr! 

Mais, elle est l'une des premières choses qui m'a empêché d'ouvrir complètement mon cœur à Emma. En me levant, chaque jour, et en voyant ma petite fille, je ne voyais que sa mère, ma tendre Valentina Zenere, Vale ou mon paradis, comme je la surnommais. Elle était mon tout. Elle était mon équilibre, la partie essentielle du puzzle de ma vie. Pourtant, elle m'a laissé.

Ma petite blonde est véritablement le portrait craché de sa maman. 

Elle lui ressemble tellement, qu'avant que Valentina ne nous laisse, notre enfant dans ses bras, Elle sur mes genoux, nous avions décidé de l'appeler pareil. 

Valentina.

J'aime ce prénom. J'aime tout ce à quoi il me fait penser, tout ce qu'il m'inspire, tous les sentiments qui se bousculent en moi quand je le prononce, ne le dis même que dans un souffle. J'aime profondément mes deux Valentina. Enfin, même si la première ne m'appartient plus, ne m'aime plus, et nous a abandonné la chair de sa chair, et moi.

Je suis seul dans cette grande chambre d'hôpital. 

A la fin de cette si longue vie que j'ai vécu, je repense à tout ce que j'ai surmonté, aimé, combattu, à tout ce qu'il y a eu de beau, et de moins beau, de triste, de particulier ou bien d'amusant... 

Comme avec un regard extérieur, des moments de ma vie me reviennent, certains oubliés, d'autres refoulés. Je n'ai pas la force de les repousser. Je n'ai plus la force de continuer à vouloir étouffer ma peine. 

Comme lorsque j'avais vingt-six ans, j'ai l'impression qu'une lame brûlante poignarde mon pauvre cœur si faible.

Toute la douleur, que j'avais si habilement, et tellement longtemps, cachée me frappe de plein fouet. Je n'ai pas d'autre choix que de l'affronter. 

  Le temps passe. 

Il ne me reste que peu de temps.

Je le sais.

 Mon temps est écoulé.

Ma vie finie.

Et je comprends:

Nous avons deux vies: Or, la seconde, ne démarre que lorsqu'on a compris que l'on en avait qu'une. Très nombreuses sont les personnes qui n'ouvrent les yeux que sur leur lit d'hôpital. 

Comme Moi.  

Michael & Valentina - L'ultime AdieuOù les histoires vivent. Découvrez maintenant