Chapitre 5

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Chapitre 5 :

Il le fixait dans les yeux, des yeux bleus profonds qui lui rappelaient ceux d'Eva, il entendait simplement ses mots, mais n'en captait pas le sens, l'esprit encore trop secoué. Ils étaient assis face à face, une simple table en bois poussiéreuse les séparant l'un de l'autre. Derrière lui se tenaient deux grands hommes, vêtus chacun d'un costume sombre, leur visage inexpressif tourné vers eux. L'inspecteur lui présentait des photos, les quelques indices lui permettant de le classer parmi les suspects, mais Aris était ailleurs. Il ne répondait presque pas aux questions, ne regardait aucune photographie que l'enquêteur lui présentait, il se contentait de garder obstinément ses yeux ancrés dans les siens.

« M. Vanger, de nombreux témoins ont affirmé vous avoir vu à plusieurs reprises vous balader dans les rues voisines à celle où a eu lieu le meurtre. D'après eux, vous vous y aventuriez presque tous les soirs, à des heures plus ou moins précises, et vous disparaissiez par la suite. Pourrions-nous savoir pourquoi vous vous rendiez presque tous les soirs dans les beaux quartiers, qui se trouvent d'ailleurs plutôt loin de chez vous ? Qu'y faisiez-vous ? »

L'inspecteur parla d'une voix douce pour ne pas brusquer le suspect qui restait bien trop silencieux à son goût. Il se savait patient, mais il n'avait jamais rencontré de personne aussi vide, aussi meurtri, aussi seul. Il avait de suite noté les traces de sangs sur les vêtements sales du jeune homme. Celui-ci lui avait expliqué qu'il s'était couché sans prendre la peine de se dévêtir, le cœur en miette, il n'avait trouvé ni la force ni l'utilité de le faire. M. Keith songea qu'un meurtrier prenait en général soin de faire disparaitre toutes traces de ses actes. Lorsqu'il l'avait questionné sur ces traces de sang, le jeune homme avait simplement répondu qu'il avait serré le corps de sa dulcinée dans ses bras, tandis que celle-ci rejoignait les cieux.

« Vous me trouvez sans doute un peu trop indiscret, mais voyez-vous, un homme de votre classe sociale n'a pas grand-chose à faire tous les soirs dans les quartiers riches de la ville... »

Le problème était donc là... Aris, étant un homme peu aisé, se trouvait être le premier suspect de cette affaire dont il n'était que victime finalement. Qu'en était-il du véritable coupable ? Il savait l'amant d'Eva comme étant un homme particulièrement important au sein de l'entreprise familiale à laquelle il était relié, et qu'il possédait par conséquent une certaine réputation et un compte bien garni à la banque. Sans doute le jeune homme paraissait trop haut placé dans la société pour commettre un tel délit... Mais lui, le petit homme à la vie monotone et sans goût, lui qui travaillait dans une modeste usine, parvenant difficilement à payer son loyer à chaque fin de mois, lui, Aris Vanger, il constituait l'image parfaite du meurtrier. Il ouvrit la bouche pour la troisième fois depuis le début de leur entretien, sa voix se brisant, lui qui avait perdu toute habitude de prononcer une phrase entière à voix haute. Il n'y avait plus personne pour l'entendre de toute façon.

« Y a-t-il un ou des autres suspects ? »

Le ton désespéré et à la fois menaçant d'Aris fit frissonner l'inspecteur qui ne s'attendait pas à recevoir de réponse une fois de plus.

« Eh bien, vos empreintes ainsi que celles d'un certain Marcus Homson ont été retrouvées sur le corps de mademoiselle Evangeline Albow. Ainsi, vous et ce jeune homme constituez nos principaux suspects. Pour en revenir à ma question, que faisiez-vous tous les soirs dans les beaux quartiers ? »

Aris ancra dans un coin de sa mémoire ce nom qu'il ne connaissait pas, mais dont il savait pertinemment le propriétaire.

« L'avez-vous interrogé ? » Reprit-il calmement,

« Pas encore, mais nous avions prévu de le faire à la suite de notre entretien. Ecoutez... Je sais à quel point cela n'est pas agréable d'être accusé et questionné de la sorte, et je sais également que cette soudaine disparition vous touche beaucoup. Cependant, vous savez aussi bien que moi qu'il est primordial de retrouver le coupable, et de l'empêcher de réitérer ses excès de folie. C'est pourquoi je vous demande d'accepter de coopérer et de me dire tout ce que vous saviez, cela nous sera très utile je vous l'assure... »

Une Minute FataleOù les histoires vivent. Découvrez maintenant