Chapitre 4

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Compte rendu de la séance de Mr. Patrick BATEMAN - 16 Octobre 2016

  Le patient arrive à l'heure. Il est ouvert et recherche un contact franc d'emblée. Il ne semble absolument pas gêné de la pression indéniable que sa secrétaire particulière a exercé sur mon cabinet pour obtenir un rendez-vous rapide

=>C'est un sans-gêne, un narcissique qui maltraite sans équivoque son personnel.

=>Il est habitué à être satisfait dans un très court terme : il a beaucoup de mal à supporter la frustration. Il est pervers.

Il ne manifeste aucune tension ni angoisse à l'idée de venir en analyse. Il me dit qu'il était suivi à la clinique Arkham dans le Vermont par le professeur Jonathan Crane mais reste très évasif sur les raisons de son changement de praticien "ça n'allait plus", "leur personnel est peu adapté". Je note de vérifier le dossier du patient.

Mr. Bateman consulte car il est en proie à des hallucinations sonores et gustatives. Il entend du "métal", des "cliquetis de chaînes" et ressent en permanence un goût ferreux dans sa bouche. Il dit qu'il a besoin de voler un ustensile de cuisine pour l'aider à supporter ces hallucinations. 

=> Kleptomanie ciblée sur objet.

Il mentionne également qu'il a d'autres moyens de se soulager mais élude la question dès que je souhaite en savoir davantage. A chaque fois que je pose une question à laquelle il ne souhaite pas répondre il se met à parler musique. Ce qui est surprenant chez un homme de son âge et de son contexte social c'est qu'il me fait une critique très détaillée d'un album ou d'un artiste très en vu chez les adolescents. Il me parle longuement de Rihanna et des Maroon 5 il me semble. 

=> Anachronisme musical.

Il présente une comportement classique de fuite, tente de me vendre du vin, me demande si telle ou telle boisson est à mon goût, prend des poses qui le mettent exagérément en valeur, il est dans un commerce permanent de l'image factice qu'il s'est construite.

Pendant notre entretien il touche un objet au fond de sa poche lorsqu'il se met en fuite. Je découvre à la fin de la séance qu'il s'agit d'une des fourchette qu'il a donc volée.

À la fin de la première demi-heure je tente de lui faire lâcher prise en lui rappelant le caractère strictement  confidentiel de nos entretiens et ma soumission au secret médical. Il semble intéressé et me demande si je suis capable de tout entendre. J'acquiesce mais il reste sur ses gardes et ne se dévoile pas plus.

Lorsque je lui demande d'où vient la fourchette qu'il dissimule dans sa poche et s'il l'a volée il tourne vers moi un visage vide d'expression et me regarde droit dans les yeux avant de lâcher avec provocation :

"-C'est pour me taper une hôtesse de l'air. Elles ont les cuisses fermes."

Il renverse alors la tête en arrière en fermant les paupières et prend une très longue inspiration. Je ne sais pas encore si cet aveux l'a relaxé ou s'il tente de s'échapper à nouveau. Lorsqu'il reprend une position normale il me fixe alors sans dire un mot pendant plusieurs secondes. Il est tout à fait absent pendant ce moment. Je tente de le ramener à moi mais il ne réagit pas. Je finis par l'appeler "Pat" et il revient aussitôt à lui avec son sourire commercial. 

Je décide de mettre fin à cet entretien au bout de cinquante minutes pour voir sa réaction qui ne tarde pas :

"-Vous comptez me facturer une séance de cinquante minute au prix d'une séance d'une heure? Ce n'est pas du meilleur effet pour une première rencontre. Vous n'allez pas inciter vos patients à revenir si vous n'êtes pas en mesure de les appâter."

J'explique donc que je ne suis pas un commerçant et qu'il n'est pas mon client : il est mon patient. En tant que tel je facture à la séance et non à la minute. Il est à peine embarrassé, sa frustration d'avoir fait "une mauvaise affaire" prend le dessus sur son raisonnement. Je lui dis que nous nous verrons désormais deux fois par semaine. Le mardi et le jeudi. Il ne répond pas et sort une liasse de billets pour payer sa consultation avec un mépris évident.

Il y a une violence extrêmement intense refoulée chez Mr. Bateman. Il a su se forger une image publique qu'il maîtrise avec beaucoup de talent. Il vient me consulter dans le but que je l'aide à restaurer cette peinture qui lui a pris beaucoup de temps. Il ignore totalement que mon travail consiste à mettre à nu les pierres saillantes du mur qu'il s'efforce de camoufler.


  Monsieur Bateman est méprisable et odieux. Vu son âge, ses angoisses latentes et son comportement anxieux il doit secréter plus de bile que la moyenne. Son foie doit être déjà amer sinon dur sous la dent. Le patient ne m'intéresse pas outre-mesure.


La psychanalyse de PatrickOù les histoires vivent. Découvrez maintenant