V.

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Ce que je vis par l'entrebâillement me glaça le sang.

Un homme, habillé d'une blouse, était penché au dessus d'une table d'examen. Table où une femme, jeune, une vingtaine d'année, était allongée, retenue aux poignets et chevilles par des liens de cuir semblables à ceux qui me retenaient pendant mon supplice.
Je ne voyais que très mal depuis mon observatoire, mais lorsqu'il se décala, je pus voir l'ampleur du massacre.

Avec une grosse pince, le médecin - si tant est qu'il le soit vraiment - retirait une dent à la femme qui, visiblement, était à bout de forces. Elle ne criait plus, se contentant de sangloter. Le sang provenant de sa bouche s'écoulait jusque sur le sol, c'était une vrai boucherie, un spectacle horrible auquel j'aurais voulu ne pas assister.

La femme s'évanouit au bout de quelques minutes, une sorte de délivrance à vrai dire.
Je sentis soudain une forte pression sur chacune de mes épaules, on me tira en arrière, et je chutai lourdement, me cognant la tête sur le béton. Le noir complet.

Je me réveillai dans une pièce inconnue, allongée sur un matelas crasseux. C'est le froid qui m'avait réveillée, je grelottais dans ma simple chemise fournie par l'établissement, les pieds nus. Je regardai partout autour de moi, une pièce vide, sombre, aux murs gris et humides. Personne n'avait dû y faire le ménage depuis des années...

Qui m'avait enfermé ici ? Était-ce cette même personne qui m'avait assommée ? Quoi qu'il en soit, je devais sortir de cet endroit, pour une fois ma chambre me manquait, enfin la cellule qui me servait de chambre dans cette maudite "pension". C'est le terme qu'avait employé ma mère le jour où elle m'avait annoncé que je quittais la maison. Mais je ne m'attendais pas à... ça. De toute manière, je lui en voulais déjà pour tout un tas de raisons. Ce n'en était qu'une de plus.

J'étais perdue dans mes pensées quand le grattement de la clef dans la serrure me ramena à la réalité. Je me mis à trembler, ne sachant pas à quoi m'attendre d'autre qu'au pire. J'étais morte de peur, repliée sur moi-même, essayant de me faire la plus petite possible dans le coin de la pièce. Je regardais la porte s'ouvrir lentement, provoquant un grincement sinistre.

Mais le visage qui apparut dans l'entrebâillement me surprit, il n'avait pas l'air malveillant. L'homme qui entra avait en fait plutôt l'air d'être un autre patient.
« Ça y est, tu es réveillée ! » Dit-il à voix basse. Toujours très effrayée, et méfiante, je ne lui répondis pas. Après avoir complètement franchis le seuil, il referma la porte derrière lui, puis s'approcha à pas lents.

Il s'accroupit, et enchaîna.
« Je n'ai pas voulu te faire de mal, quand je t'ai attrapée par les épaules, tu as sursauté et tu es tombée en arrière. Je n'ai pas réussi à te rattraper à temps... Je t'ai mis ici pour ne pas qu'il te trouve, en attendant que tu te réveilles.

— Qui "il" ? Soufflai-je d'une voix tremblotante.

— Celui que tu observais. S'il t'avait vu, tu aurais subi le même sort — voir pire — que cette femme. Mais il n'est plus là pour l'instant, on doit se dépêcher de redescendre, on ne devrait pas être ici. »

Il se releva, et tendit une main vers moi. J'hésitai longuement, en le dévisageant. Un instant, un sourire se dessina sur ses lèvres, et je crois que c'est ça qui m'a incité à me lever. Je saisis sa main, prenant appui pour me relever. Une fois debout, je m'aperçus qu'il n'était pas aussi imposant qu'il en avait l'air quelques minutes plus tôt, en étant assise sur ce sol dégouttant.

« Au fait, c'est quoi ton prénom ? Demanda-t-il.

— Kathy.

— Moi c'est Félix. »

Sur ce, il se retourna, et se dirigea vers la porte. Il l'ouvrit légèrement, et passa sa tête.

« C'est bon, on y va ! » Dit-il enfin, en ouvrant plus largement cette porte. Nous sommes donc sortis, en direction de l'étage inférieur. À pas de loup, nous avons descendu les escaliers jusqu'à la lourde porte. Il actionna le loquet, puis tira le battant vers lui.

Le couloir était vide. Après avoir refermé soigneusement la porte, nous nous sommes rendus à ma chambre.
Mais en passant devant la salle de détente, je me rendis compte que les patients habituels étaient à nouveau présents, vacants à leurs occupations.

Enfin, nous étions dans ma chambre. Je m'assis sur le bord de mon lit, imitée par Félix. Un silence gênant s'installa.

« Euh... Mais qui es-tu ? Qu'est ce que tu fais dans cet endroit, au juste ? Lâchai-je soudain, pour briser la glace.

— Alors... Tu sais déjà que je m'appelle Félix ; que dire ? J'ai 27 ans, je suis ici depuis... trop longtemps, pas mal d'années sans doute, mais ici on perd la notion du temps, j'ai cessé de compter. Je ne me rappelle pas vraiment de ma vie avant d'entrer à Redwall, j'ai oublié le visage de mes parents et le nom de mes amis.
On m'a envoyée ici pour "soigner mes pulsions de mort" dit-il, en mimant des guillemets avec ses doigts. Mais à vrai dire, je ne sais plus de quoi on m'accuse, ils nous traitent pour que l'on oublie. Et toi, alors ? Qu'as-tu fait pour mériter de te retrouver ici ? Et qui es-tu ?

- Kathy, j'ai 21 ans. Ma mère m'a envoyée ici parce que je ne suis pas vraiment seule dans ma tête, enfin d'après ce qu'elle en dit. Moi je pense qu'elle voulait simplement se débarrasser de moi, elle n'a jamais été présente pour moi. »

Il ne répondit pas tout de suite.

Il me fascinait, et j'étais effrayée en même temps ; quel genre de "pulsions de mort" voulaient-ils soigner ?
Mais en même temps, il m'inspirait une grande confiance, et puis il était la première personne à tenir une discussion vraiment cohérente depuis que j'étais enfermée là.

Physiquement, il n'était pas trop mal. Alors que je pouvais à présent l'observer correctement, je remarquai ses yeux noirs d'une profondeur infinie, et ses cheveux châtains, plutôt longs et en bataille. Je n'avais pas pris conscience plus tôt de la beauté du jeune homme qui se tenait en face de moi. Il avait un visage doux, presque enfantin. Je rougis soudain, en me rendant compte qu'il m'observait lui aussi.

Il hésita, avant de rompre le silence.

« Tu es spéciale... Souffla-t-il, laissant sa phrase en suspend.

— Pardon ? Spéciale ? Je n'étais pas sûre d'avoir bien compris.

— Tu vois des choses ici que les autres patients ne voient pas. Tu n'aurais jamais dû te trouver là-haut, derrière cette porte tout-à-l'heure.

— Mais tu y étais aussi !

— Je vois ces choses aussi. Je vois ce qu'il se passe réellement dans cet établissement, entre ces murs. Je ne sais pas pourquoi les autres patients ne perçoivent pas tout ça...

— Ils sont peut-être trop abrutis par les traitements... Répondis-je. Ils sont ici depuis trop longtemps.

— Et moi, alors ? J'ai passé énormément de temps ici, et pourtant j'en suis encore conscient...

— Parce que ton esprit est fort... Lâchai-je.

— Peut-être... »

Je ne savais pas vraiment comment réagir face à tout ça, le silence s'installa à nouveau. Je détestais ce genre de discussions, où personne ne sais quoi dire. Mais je me sentais extrêmement intimidée par Félix, son regard noir semblait sonder mon âme.

ASYLUM.Où les histoires vivent. Découvrez maintenant