VI.

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Je ne sais pas combien de temps nous sommes restés ainsi, silencieux, assis sur mon lit. C'était vraiment gênant. Il avait l'air terriblement gentil, et en même temps très malsain. Je n'avais jamais rencontré quelqu'un avec un regard aussi intimidant. On dit que les yeux sont le miroir de l'âme, mais à ce moment-là j'espérais vraiment qu'il n'ait pas l'âme aussi noir que ses yeux.

Ses paroles résonnaient dans ma tête, mais je ne parvenais pas à comprendre ce que tout ça impliquait. Spéciale ? Moi ? Je ne savais pas si je devais y croire.

Le bruit de la porte s'ouvrant me tira de ma rêverie. « Repas ! » dis la religieuse en entrant. Mais elle s'arrêta net en voyant Félix. Je ne savais pas quoi faire.

« Chacun dans sa propre chambre ! Dit la femme en s'adressant au garçon. Mais étrangement, il se leva, très serein.

— Je sais, veuillez m'excuser ma Sœur, elle est arrivée il y a peu de temps, et je lui expliquais le fonctionnement de l'institut pour qu'elle puisse s'habituer rapidement ! S'exclama-t-il, tout sourire.

À mon plus grand étonnement, elle se mit à sourire également.

— Bien, c'est une bonne chose jeune homme, que Dieu vous garde. J'ai plusieurs plateau sur le chariot, vous voulez le vôtre ?

— Trop aimable, je vous remercie ! »

Elle déposa alors les plateaux sur la table, et quitta la pièce.
Je n'en revenais pas, pas une seconde d'hésitation, il avait l'air d'une sincérité incroyable. Et pourtant je savais qu'il craignait ces personnes presque autant que moi.

« Avec moi, tu n'auras pas de problème avec ces gens-là, je sais comment parler aux gens, parfois même certaines de ces religieuses ne trouvent pas ce qui cloche chez moi, dit-il tout en se penchant sur son plateau repas.

— Tu lui as parlé avec tellement de sang-froid...

— J'ai juste compris que pour avoir un minimum de liberté, il faut savoir comment leur lécher les bottes, lâcha-t-il, avec un clin d'œil.

— Hmm je vois... Dis-je simplement. »

Je mourais de faim, je décidai donc de me mettre à table, comme Félix venait de le faire. De la purée, et du poisson. Ça avait un goût bien différent de ce que j'avais imaginé, mais j'avais tellement faim que je n'en laissai pas une miette.

Après le repas, il sortit un paquet de cigarettes de sa poche, et en prit une.
« Tu fumes ? » Me dit-en en tendant le paquet dans ma direction. Je ne fumais pas vraiment, mais j'en avais bien besoin. « Oui, merci. » Répondis-je simplement en prenant une cigarette à mon tour. Il alluma la sienne, et approcha la flamme pour que je puisse allumer la mienne.

« Demain, si tu le souhaites, je t'emmènerais visiter le reste de Redwall, dit-il entre deux bouffées de fumée. J'eus un temps d'hésitation.

— Tu veux dire... En haut ?

— Oui, il y a quatre étages, un grenier et un souterrain.

— C'est interdit, non ? Répondis-je.

— C'est vrai, on ira de nuit alors.

— Quoi ? Mais pourquoi ?

— Parce que la nuit, il n'y a personne. Fais-moi confiance, nous n'aurons pas d'ennuis.

La question n'était pas "pourquoi de nuit ?" mais "pourquoi ?" tout court, et ça n'y répondait pas.

— Je... Bon... C'est d'accord, lâchai-je finalement, tiraillée entre plusieurs sentiments.

— Parfait ! S'exclama-t-il en se levant. Je viens te chercher demain soir, alors !

— Comment ? Les portes sont fermées à clef à partir de minuit...

— Ne t'en fais pas, tu le sauras bien assez vite. Je dois te laisser, on se voit demain ! Dit-il en guise de réponse, en s'apprêtant à ouvrir la porte. Je ne savais plus quoi dire, je restai sans voix. »

Avant de quitter la chambre, il se retourna un dernière fois, et m'adressa un clin d'œil, avant de disparaître dans le couloir sombre. La porte se referma derrière lui, et pour la première fois depuis un moment, je me retrouvai seule.
Seule face à mes pensées, je réalisai soudain l'étrangeté de la situation.
Je repensais à ce que j'avais vu plus tôt, le médecin qui torturait cette femme, puis la chutte, la cellule... Et Félix. Quel étrange individu ! Je ne savais absolument pas si je pouvais lui faire confiance, et pourtant, j'étais rassurée en sa présence.

Grâce à lui, au moins, je comprenais un peu mieux ce qu'il ce passait ici. Mais pourquoi ne l'avais-je pas remarqué avant ?
Tout ça me paraissait vraiment bizarre, et je décidai de tout de même rester sur mes gardes. Et puis cette visite des étages supérieurs... De nuit en plus... J'aurais peut-être du refuser, j'imaginais mes pires cauchemars entre ces murs. Qui sais ce que nous allions trouver là-haut, je m'attendais à tout. Déjà au départ, l'idée me semblait stupide, mais j'avais été incapable de refuser quand il me l'avait proposé. Pourquoi ? Aucune idée.

Je m'installai dans mon lit. Il devait être plus de 23h, car le dernier médecin du soir passa rapidement m'apporter mes cachets, qu'il me regarda prendre, avant de quitter la chambre.
Le personnel nous regardait prendre nos médicament depuis quelques semaines, car certains patients les jetaient dans les toilettes s'ils n'étaient pas surveillés.
Moi je ne bronchais pas. Je les prenais sagement, quitte à choisir, je préférais oublier.

Mon esprit embrumé s'enmêlait dans les idées, et je sombrai bientôt dans le sommeil.

Je m'éveillai le lendemain matin quand le petit déjeuner fut apporté. Du lait, du pain, et pour ceux qui prennent correctement leurs médicaments, deux carrés de chocolat. C'était une sorte de chantage, mais avec une si petite chose, ils nous tenaient à leur botte. La Sœur qui était entrée dans la pièce avait déposé le plateau, puis elle attendit que mes médicaments soient avalés, et enfin elle quitta la chambre.

Je dévorai le petit déjeuner rapidement, j'avais une faim de loup. Je réfléchissais à un moyen d'occuper ma journée, en attendant que Félix ne vienne me chercher. Je ne pouvais pas aller le voir dans sa chambre, car il ne me l'avait pas indiquée, alors je décidai de me rendre en salle de détente un peu plus tard, peut-être qu'il s'y trouverait.

Mais une fois sur place, il n'y était pas. Je ne savais pas à quoi je m'attendais, à vrai dire, je ne l'avais jamais vu là auparavant. J'allai alors vers la bibliothèque, et après avoir choisi un livre, je retournai à ma chambre.
En refermant la porte, je remarquai un papier sur le sol, quelqu'un l'avait sans doute glissé sous ma porte. Je m'en saisis, et lu le message inscrit.

« Ce soir, ne prends pas tes médicaments.
F. »

C'était un mot de Félix...

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