Deux : Une petite pièce pour manger ?

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La vie est injuste.

Il me semble que cette citation est de loin l'une des plus vraie qu'il soit, comment ce pourrait-il autrement ? Lors qu'on impose une telle horreur à une jeune fille intelligente et si bien faite que moi, il vous semble que tout à coup le monde est bien plus moche qu'auparavant. Il faut dire que je viens de chuter de haut, et la tendance sociale de l'animal humain vient de me perforer le cœur. Je suis désormais condamné à un ermitage non mérité et injuste.

La pluie ruisselle entre mes cheveux, et s'infiltre sur chaque parcelle de mon corps. Les flux d'eau qui s'écrasent sur le sol sont tellement dense que je ne parviens pas à distinguer le bout de l'avenue. Mais je ne bouge pas. Comment le pourrais-je ? Le regret est une chose bien pire que la tristesse. Et je regrette.

La seule chose que je lui ai dites lors qu'il m'a lâchement abandonné est « Je ne m'appelle pas Alice. », alors que j'aurais pu faire tellement plus. J'aurais pu hurler et pleurer, le frapper, n'importe quoi au lieu de continuer à perpétuellement justifier mon identité. Et encore maintenant, je ne fais rien. Je reste sous la pluie battante, sans bouger, quelques pas en retrait du restaurant.

J'aimerais pleurer, mêler mes larmes à la pluie et laisser cette vague de chagrin m'envahir. S'exposer à de tel moments de faiblesse apporte parfois un certain réconfort. Mais je ne peux pas. Pourtant, le chagrin, je l'ai, et ce n'est franchement pas le problème. Le problème est qu'il me faut une épaule pour verser mes larmes, et la dernière personne que j'aimais m'a laissée, seule, sans aucune raison apparente.

La vie est injuste, et ce depuis bien longtemps. Méritais-je vraiment une telle torture ? La réponse est non, bien évidemment.

Alors pourquoi m'imposer ceci ? Cette atrocité me brise le cœur, bien plus que n'importe quel injustice dont j'ai pu un tant sois peu fait part. Une fille aussi belle et bien fait que moi, jetée comme une simple ordure par un homme qui ce croit supérieur ? Voilà une blague de très mauvais goût !

« C'est moi qui aurais du te lâcher, trou du cul ! J'aurais du te lâcher comme tu l'as fait, et tu serais tellement triste à cet instant que tu serais déjà en train d'en bouffer tes chaussures ! Espèce de salaud, sot, diminué, pantois, inepte, étroit, obtus, goret, ordure, goujat, enc... »

« Calme down joli cœur, » me coupe un accent anglais, « tu n'as aucunement besoin de prononcer de telles atrocités devant la vitre d'un restaurant. »

Je me retourne à la hâte et essaye de distinguer une forme humaine dans la pénombre. Une figure brune sors de sa cachette. Je m'adresse à lui avec haine.

« Si tu y tiens tellement, c'est toi que je pourrais insulter de la sorte, crétin. »

Ces yeux sont rieurs, et je vois bien qu'il se retient de rire.

« Une petite pièce pour manger ? » me demande-t-il pour toute réponse.

Je ne distingue qu'alors sa mine pauvre. Ses boucles sont raides, grasses, défaites et désordonnées, sa chemise poisseuse et son visage légèrement salit. Mais sous l'horrible éclairage du lampadaire, seule source de lumière dans la pénombre de cette soirée pluvieuse, tous ces détails ressortent. Il fallait de plus que la seule personne qui m'adresse la parole soit un SDF, et qui plus ai me fait la morale. Je lui adresse un magnifique majeur.

« Va bosser pour ton argent, fucker. »

C'est sur ses mots que je me retourne et m'éloigne à grandes enjambées.

Je marche d'un pas énervé, rapide, et peu gracieux en faisant des grandes foulées et en claquant mes talons aiguille sur le dallage de la petite ruelle sombre et étroite. Quelques chat errants s'enfuillent sur mon passage, et s'abritent dans des abris de fortune généralement fait de taule, de carton, ou des petits espaces que les toits des petites maisons alignées abritent. Les gémissements des chats se mêlent au filets qui ruissellent en grande quantité des gouttières rouillées et au bruit tumultueux des gouttes de pluie qui ce fracassent sur les tuiles et le pavage de la ruelle, créant un concerto digne d'un Mozart joué par des manchots avec des poêles à frire.

Je débouche dans une grande rue ou les passants s'abritent sous des sacs, ou leurs capuches. Les plus chanceux on des parapluies, les moins chanceux, comme moi, n'avaient rien prévus, et ce retrouvent imbibés d'eau comme plongés dans une piscine. À plusieurs reprises, je me fais arroser par des voitures conduites par les conducteurs ivres du vendredi soir. Je hurle des insultes à tout le monde. Soudain, j'aperçois un taxi qui s'arrête et je me précipite vers lui en beuglant comme un animal. Une femme d'âge mûr semble, elle aussi, convoiter la voiture noir. Je cours du mieux que je peux, en risquant à plusieurs reprises de tomber. J'atteins le taxi avant elle, et m'engouffre à la hâte dedans.

« Au revoir le fossile, ravie d'avoir fait votre connaissance ! On se retrouve dans deux jours sur votre tombe, et dans trois dans un musé ! » crais-je à la femme, amusée de mon avantage.

Je ferme la portière et inspecte cette femme qui n'est pas si âgée, en fin de compte. Son visage est, certes, parcourut de rides et ses cheveux virent aux gris, mais elle ne semblait pas avoir plus de trente ans de plus que moi. Tant pis, l'enterrement sera seulement dans cinq jour pour elle.

Je jubile intérieurement de ma victoire, et m'empresse de dicter mon adresse au chauffeur. Celui-ci me regarde mal assuré dans le rétroviseur.

« Je suis navrée mademoiselle, mais ce taxi est réservé. »

Je me retiens de l'insulter, lui aussi, d'un tas de nom d'oiseaux.

« Je vous en prie monsieur, j'erre depuis des heures sans trouver de voiture, et j'ai mal aux pieds... » le suppliais-je en descendant encore plus ma robe qui me moulait désormais parfaitement, et laissant ainsi un décolleté plongeant ce former.

« Je suis désolé mademoiselle, mais si vous voulez, vous pouvez rester dans la voiture avec cette femme, et attendre que l'on soit arrivés à destination pour m'indiquer votre adresse. »

Je fais la moue. Soudain, la femme toque à la porte et le chauffeur, qui ne doit pas être beaucoup plus âgé que moi, lui fait signe d'entrer. Mais dans un rai de lumière, les traits de l'inconnue apparaissent. Je lâche un gémissement d'horreur, et me précipite hors de a voiture pars la porte opposée. Je manque de chuter en m'évadant, et j'ai juste le temps d'entendre le chauffeur m'appeler et me supplier de revenir. Je manque de me faire percuter en traversant la rue à la volée, et m'excuse en bégaillant quand le chauffeur me traite de tarée.

Je ne m'occupe pas du fait que c'est moi qui aurait du l'insulter pour avoir faillis me renverser, et continue à courir comme pour effacer ce visage de mon crâne. Je me fiche des passants qui me regarde comme si j'étais la pire des énergumène de ce monde, ou de ma robe et mes cheveux qui me colle désormais à la peau.

La femme ne m'as surement pas reconnu sous cette couche de maquillage dégoulinant et ces cheveux emmêlés, mais moi, je l'ai bien reconnue.

Cette femme était ma mère.

Je ne m'appelle pas Alice.Où les histoires vivent. Découvrez maintenant