Chapitre 2

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« Edvin Larsson... 11 janvier 2023... Je... je vais essayer de reprendre mon souffle. Oh... bon. Quelle heure est-il ? Ok... Je viens donc de passer un peu plus de huit heures dans le Tulving Simulator. Et pourtant, je n'ai simulé que cinq jours de futur alternatif... et quels cinq jours ! Comme... comme je l'avais prévu, j'ai changé notre décision d'aller dans un restaurant italien pour aller dans un restaurant français, samedi dernier. Et comme prévu, dans cette simulation, je ne me suis pas fait voler mon portefeuille. Mais d'autres choses se sont produites... Le restaurant était approvisionné par un boucher du quartier qui avait une rupture de stock, ce qui a conduit à une attente assez longue pour avoir notre repas. Ainsi nous sommes sortis plus tard du restaurant, presque au milieu de la nuit. En retournant à la voiture, nous avons alors aperçu une femme se faire agresser par des voyous, probablement des membres d'un de ces gangs tentant de faire régner la loi en ce moment... Bref, je ne sais pas si j'étais conscient d'être dans une simulation, mais j'ai volé à son secours, et contre toute attente, je l'ai sauvée. Dans les deux jours qui ont suivi, la presse a eu vent de mon « exploit » et m'a porté en héros local. La fille que j'ai sauvée, une superbe blondinette du nom de Sandra, m'a invité chez elle pour me remercier personnellement... et les choses se sont enchaînées. J'ai... j'ai couché avec elle. Et c'était fantastique. Je veux dire, ça avait beau être une simulation, je ressentais tout, chaque frisson, chaque souffle...

« Je... je savais qu'un simple petit changement dans un déroulement d'actions pouvait modifier catégoriquement la suite des évènements, mais j'étais loin d'imaginer que le TS pouvait aller aussi loin. J'ignore si tout ce qu'il a simulé aurait réellement pu se produire si nous avions été dans cet autre restaurant. Et j'ignore si je souhaiterais que ça se soit produit ainsi... Je ne souhaiterais pas tromper Louise avec une femme que je connais à peine... Non, non. Le présent est ce qu'il est, on ne peut pas le changer avec des suppositions, avec des « si » ... Mais quand bien même...

« Il faut que j'y retourne. Il faut que je replonge, il faut que je sache si cette expérience n'était qu'une anomalie, ou si le TS est vraiment capable de ce genre de prouesse. Pour mon deuxième saut, je vais tenter de partir plus loin dans le passé. Mais pour ça, quelques modifications s'imposent. Il faut que j'accélère le processus. Je ne peux pas me permettre de passer plusieurs jours allongé dans le TS, sans boire ni manger. Je viens d'y passer huit heures, et j'ai déjà la tête qui tourne. Comme dans un rêve, il faut que le TS se focalise sur les points importants, sur les destinations, sans se préoccuper des trajets. Ça devrait être faisable, mais ça va me demander de revoir certains paramètres, ce qui peut prendre quelques temps.

« Si ça ne tenait qu'à moi, j'y retournerais tout de suite... mais il faut être patient, et savoir agir de manière mesurée. Je suis déjà heureux que le premier saut se soit bien passé... et qu'il ait montré des résultats aussi prometteurs. »

*

Les yeux clos, Louise Larsson parcourut à tâtons le côté droit du lit, là où aurait dû se trouver son mari. Ouvrant péniblement ses paupières, elle jeta un coup d'œil vers son téléphone portable. Sept heures vingt. Il partait de plus en plus tôt...

Après avoir enfilé son peignoir beige par-dessus ses sous-vêtements, elle traîna du pied jusque dans la cuisine de l'appartement où elle trouva un post-it griffonné à la va-vite :

« Louise,

Je suis au labo, ne m'attends pas pour déjeuner ce midi, je ne rentrerai sûrement que dans la soirée.

Je t'aime,

Edvin. »

Elle chiffonna le papier jaune et le jeta dans la poubelle située sous la table qui en contenait déjà une dizaine.

Cela faisait maintenant près de trois semaines qu'Edvin passait le plus clair de son temps dans son laboratoire privé, partant de plus en plus tôt, et rentrant de plus en plus tard. Il ne lui avait jamais révélé ce qu'il faisait précisément, prétextant qu'elle ne comprendrait pas les détails, mais il lui avait dit que cela avait à voir avec son travail sur la reconstruction de mémoire. Plus les jours passaient, et plus elle se demandait si cela était vraiment le cas...

Après un rapide petit-déjeuner, elle poussa délicatement la porte de la chambre de son fils.

« Neil ? Réveille-toi mon chéri, sinon tu vas être en retard à l'école. »

Dans les rues de Manhattan, la peur semblait grandir de jour en jour. De nouvelles altercations avaient eu lieu dans les quartiers alentours au cours des dernières semaines, et elles se multipliaient. Chaque jour, lorsqu'elle laissait Neil partir à l'école avec ses amis, un nœud se formait dans son estomac, qui ne se dénouait que lorsqu'il rentrait sain et sauf en fin de journée.

Louise était médecin. Elle officiait au Manhattan Liberty Hospital sur la 52ème rue, et chaque jour, quand de nouveaux blessés arrivaient, elle craignait de voir son fils sortir de l'ambulance sur un brancard.

Les journaux parlaient de climat de terreur naissant. Mais que faisaient la police, les juges, les sénateurs pour empêcher ça ? Rien de bien notable. Lorsqu'elle demandait à Edvin si ses inventions permettaient d'avancer dans le démantèlement des différents gangs, il lui répondait évasivement et replongeait dans ses pensées.

« Louise... je t'attendais. »

Adrian Poole, le meilleur ami d'Edvin, l'attendait dans le salon lorsqu'elle rentra de son travail, aux alentours de dix-neuf heures.

« Adrian ? Qu'est-ce qui se passe ? »

Le sergent de police afficha un sourire gêné soulignant ses pommettes rieuses.

« Rien du tout ! Ne t'inquiète pas ! Neil est dans sa chambre, sur sa console, c'est lui qui m'a laissé rentrer. Je lui ai bien dit qu'il devrait être plus prudent par les temps qui courent, que je pourrais être un terrifiant assassin venu pour lui faire sa peau, mais il m'a juste répondu qu'il n'avait pas peur de moi, vu que je ne pourrais même pas faire de mal à une mouche. Je ne sais pas trop comment le prendre, je suis quand même de la police...

— Pourquoi es-tu là ? demanda Louise en posant sa veste sur le canapé. C'est au sujet d'Edvin ?

— Hm... oui. Je ne sais pas si tu es au courant, mais ça fait plusieurs fois ce mois-ci qu'il n'est pas venu au travail, alors qu'on aurait bien besoin de lui en ce moment. La chef grogne, et comme il est injoignable, je suis venu directement ici en espérant le trouver. Neil m'a dit qu'il passait le plus clair de son temps dans son labo perso... C'est vrai ?

— Oui... Je ne sais pas trop ce qu'il y fabrique, mais ça a vraiment l'air de lui tenir à cœur. Pourquoi tu fais cette tête ? Tu sais quelque chose ? ajouta-t-elle en voyant la mine pincée d'Adrian.

— Quoi ? Hein ? Moi ? Pas du tout. Enfin, un peu. Peut-être. Il m'a éventuellement, rien qu'un peu, parlé de son projet soi-disant « secret ». Mais, je n'en sais pas grand-chose...

— Adrian, s'il te plait, dis-moi ce qu'il est en train de fabriquer là-bas... Tu ne sais pas garder un secret.

— Hé bien pour le coup, il tient à ce que ses travaux le restent vraiment, du moins tant qu'il n'a pas terminé. Tout ce que je peux te dire, c'est que tu n'as pas à t'en faire, tu sais comment il est. Dès qu'il a un nouveau jouet pour s'amuser, on ne peut plus le lui retirer ! Et, après tout, quand il rentre le soir, il est sain et sauf, non ? C'est le principal ! »

Adrianposa une main réconfortante sur l'épaule de Louise, qui perçut parfaitementl'incertitude et le doute dans le regard faussement joyeux de son ami.

***

SiOù les histoires vivent. Découvrez maintenant