VI

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En septembre, il faisait encore chaud. Il planait une température monstrueuse le jour de la rentrée. Jenna retrouvait avec une mélancolie refoulée sa place au deuxième rang, tout près de la fenêtre et des multiples chênes léchant les vitres. Elle gardait sa façade neutre en passant le seuil de la classe, en posant ses affaires sur la table, en entendant les autres murmurer à son sujet. Elle restait de marbre, aussi distante que possible tout en portant son regard droit devant elle, sur le tableau noir et semi tactile. Et quelque part, elle sentait que quelque chose allait arriver. Elle s'en persuada avec une certitude d'acier et puis le regretta instantanément. Quelque chose venait bien d'arriver et au fond de son inconscient, elle n'en doutait pas. Will venait d'entrer dans la salle. Jenna sentit son corps se crisper mais ne détourna pas les yeux, cependant elle ne voyait plus un millimètre du tableau en face de ses traits fixes. A peine avait-il montré son visage que tous les élèves l'avaient reconnu. Elle les sentait le vénérer de loin, refusant de l'approcher car il était soi-disant trop bien pour eux. Voilà le contenu absurde de leurs chuchotements qui commençaient sérieusement à lui déranger les oreilles. Pourtant, elle imaginait le garçon qui n'avait jamais eu de vrais contacts avec les autres enfants – mis à part elle – et son malaise trop familier éveilla des semblants de regrets. Elle ne bougea pas, refusant de changer de position pour ses beaux yeux verts. Seulement, elle perdit son contrôle suprême lorsqu'il s'installa sur sa droite en la saluant comme s'ils étaient des meilleurs amis de toujours. Elle le dévisagea un instant, oubliant avec brio son guide de conduite puis lui parla avec l'aisance dont elle avait pris l'habitude. Une aisance que personne dans la salle ne connaissait. A peine Will s'était-il assis qu'ils se chamaillaient déjà. En une fraction de seconde Jenna oublia l'ensemble des élèves, le pourquoi du comment elle se renfermait sur elle-même ou était rude face aux autres. Non, elle ne voyait que lui et son côté insupportablement orgueilleux. Elle n'entendait que lui, la suppliant de lui prêter son stylo. Et pendant ce temps deux faces se débattaient dans son cerveau. L'une s'indignait de devoir le garder pendant toute une année à sa table. L'autre s'épanouissait de savoir que l'événement qui ferait tomber son royaume de solitude était arrivé.

Le premier jour fut à l'image du second, puis de la semaine entière pour se prolonger une année durant. Elle arrivait, elle s'installait, lui suivait le mouvement deux minutes après. Il oubliait du matériel, elle le lui prêtait en le grondant comme un frère inconscient. Ils se disputaient pour un rien sous les yeux ébahis des autres enfants. Will faisait semblant de ne rien comprendre pour qu'elle lui explique en soupirant de lassitude. Enfin, leur combat s'achevait dans une lutte pour la meilleure note ou à mains nues dans le jardin. Voilà ce quotidien qu'ils avaient décidé d'un commun accord. A voix haute ils se contredisaient quelque fût le sujet, mais par le regard et le silence ils se mettaient d'accord. Ils agissaient toujours avec la certitude que l'autre ferait de même. Ils se ressemblaient terriblement mais gardaient cette révélation muette, comme s'il s'agissait d'un terrible secret qu'ils enterraient sous la terre meurtrie de leur bataille. Qu'il neige, qu'il pleuve, qu'il vente, peu importait, ils se battaient. En général cela arrivait le week-end, quand ils relâchaient leur fatigue et tous leurs reproches envers ces parents impossibles à comprendre. Et à chaque fois, Jenna partait en première, les muscles tendus et le dos droit. Elle en demeurait pourtant gracieuse et William continuait de rêver. Il lui criait de partir et elle faisait comme si elle n'entendait rien. Mais c'était un affreux mensonge, témoignage d'une haine fausse et imagée.

Autour, les autres déshabillaient le mythe et les acceptaient un peu plus. Comme Jenna et William semblaient se satisfaire entre eux, ils préféraient les considérer comme deux enfants méprisants du statut inférieur de leurs camarades. Ils paraissaient s'amuser, porteurs de noms célèbres et possesseurs d'une intelligence remarquable. Et la distance entre les élèves désormais jaloux et les deux âmes en souffrance s'agrandit en une vague de reproches. Will et Jenna s'en rendaient bien compte, raffermissant leurs liens, se sauvant l'un l'autre, se réconfortant dans leur colère de pacotille.

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