XVI

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« Quel joli moment, se dit Jenna en silence. »

Il ne semblait plus rien n'y avoir. Plus de sable dans le sablier. Plus de vide au fond du gouffre. Plus sang dans leurs veines. Plus de logique dans l'instinctif. Plus rien que leurs deux corps allongés sur le béton froid, se serrant l'un contre l'autre dans le besoin de cette seule chaleur. Plus que les deux amants et aimés se consolidant dans le temps figé à jamais. Leur état était pitoyable et bientôt ils ne seraient que poussière. Ils le savaient. Ils le savaient et le retenaient si fort qu'ils en avaient mal. Encore plus mal que les hématomes couvrant leur peau pâle. Cette peau qui ne devait appartenir qu'à l'autre et seulement à l'autre.

La force s'écoulait lentement de leurs blessures cutanées, ils utilisaient donc leurs dernières ressources pour s'enlacer et ne plus jamais se séparer. Ils se retrouvaient au milieu de leurs larmes et de leur sang. Au delà des barreaux, il n'y avait plus rien. Plus la peine d'y penser, il n'y avait plus rien. Car rien n'importait plus que l'être aimé. Il est un moment où tout ce qu'il vous reste ne sont pas des objets ou des masses corporelles inconséquentes mais des sentiments délirant qui se bousculent dans votre cage thoracique et hurlent, hurlent, hurlent comme le vent d'hiver quand vous lui avez avoué pour la première fois à quel point vous étiez faible et que vous aviez besoin de ses bras rassurants. Il est des moments où vous avez tellement mal, où vous êtes tellement détruits que vous avez envie de rire, de pleurer de joie, car vous êtes l'individu le plus chanceux du monde et que la personne que vous désirez le plus est étendue près de vous. Il est des moments où votre seul regret ce sont les souffrances et l'amour que vous laissez derrière vous. Il est des moments où vous vous tournez vers la vie et vous comprenez que vous avez bien fait de venir au monde tout compte fait. Il est des moments où vous baissez les yeux vers la corde sur laquelle vous avez arrêté votre numéro de funambule. Il est un moment où vous comprenez que la suite ne vous appartient pas et que tout ce poids sur votre dos tombe déjà dans les gorges de l'inconnu. Il est un moment qui ne se produira qu'une fois. Un moment où vous revoyez la lumière là où personne ne l'aurait attendue et vous savez que c'est là où vous devez vous rendre. Il est enfin un moment où vous vous sentez si léger que vous acceptez de dégringoler, que vous êtes d'accord pour que tout foute le camp. Il était un moment qui n'attendait que d'être vécu.

Jenna se redressa comme elle le put sur ses coudes qui s'écorchèrent contre le parterre. Elle ne le sentit pas. Will ouvrit les paupières pour voir un des deux plus beaux humains qu'il ait connu se pencher vers lui en souriant. Un rictus sincère se forma sur son visage abîmé. Oui il n'y avait plus qu'eux en cet instant. Ils étaient dignes de pitié pourrait-on penser. Mais pour tout le royaume de l'impossible qu'ils avaient bâti, ils scintillaient pour la dernière fois comme deux souverains. Deux étoiles qui ne s'éteindront jamais. Jamais.

« -Je t'aime Will. »

Elle parcourut les derniers centimètres la séparant de son visage et l'embrassa. Ils partagèrent un baiser éternels, teinté de liberté et d'eau salée. Ils s'échangeaient une dernière seconde la merveilleuse histoire qui fut la leur. La flamboyante histoire de Jenna et William Meels. Histoire qui dorénavant ne se raconterait plus qu'au passé.

« -Moi aussi Jenna. Moi aussi je t'aime. »

C'est ainsi que la corde fut rompue sous leurs pieds. Ils chutèrent en filant vers les abysses de lumière. Et plus rien ne pourrait les ramener. Rien. Rien à part les souvenirs incroyables de leur grande épopée.

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