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[Ma petite, tu vas trouver cette lettre étrange. D'où te vient-elle? Je ne puis te le dire. Je voudrais pourtant que tu ne te tourmentes pas, que mon absence ne t'inquiète pas. Je suis là. Il faut seulement que tu fasses un petit effort pour comprendre. Ouvre ta fenêtre sur les jardins, quand les bruits de la ville se sont tus, et que l'obscurité a envahi les chambres... Tu n'es pas seule, ne crois pas cela, je pense à toi très souvent. Mais je ne suis plus là où tu avais l'habitude de me trouver, le soir, en rentrant de ton travail. Tu ne me vois plus sur ma chaise, devant la fenêtre ouverte, assise dans le noir, épiant quelqu'un ou quelque chose que tu n'entends pas...
L'obscurité est pleine de choses, si tu savais. Cette obscurité que tu déteste, tu me l'as répété bien des fois: "Voyons, Maman, éclaire la chambre... Pourquoi restes-tu toujours dans le noir, à ne rien faire?"

Oui, je restais toujours dans le noir, mais je n'étais pas inactive, certes non. En fait, j'attendais. J'attendais de toutes les fibres de mon être, sans faire la moindre bruit, que la vie des jardins monte jusqu'à moi; je vais te dire à présent pourquoi j'aime l'obscurité, le monde sombre qui palpite... Je vais te le dire... Mais voilà, au moment de tout avouer, je ne vois pas comment m'y prendre, je ne sais pas si j'ose...]

Ma petite, tu me trouveras surement folle d'avoir écris une lettre qui n'a pour toi aucun sens. Mais il faut que tu le saches, que tu apprennes à dompter cette peur, cette peur pourtant si douce et agréable, qu'elle en ferait chavirer plus d'un, avec tout ses secrets cachés... Veux-tu savoir pourquoi j'aime autant les ténèbres? Et bien... Je ne sais pas, peut-être car elle me permet d'oublier, de me libérer et de me souvenir. Sais-tu à quel point il est difficile d'oublier une personne après 30 ans d'amusement? Alors oui, quand tu n'es pas là je préfère nettement m'assoir sur cette chaise dans cette pièce à me rappeler de chaques traits de son visage, de son sourire de dents blanches ornés de deux petites fossettes, de chaque petites blagues faite à madame Bleuci; oui, oui madame Bleuci, la veille bibliothécaire de ton ancien lycée. Si tu savais comme j'aurais aimée te raconter comment ton père et moi lui faisions des blagues. Ton père était un homme admirable, ma chérie. Ton teint basané, la long chevelure noire me font tellement penser à ton père, ton petit sourire qui apparaît quant tu as fais une bêtise, cette joie de vivre qui m'a permis de me relevé tant de fois...

Après 20 ans à me soutenir sans relâche, à espérer que je guérisse, je peux enfin t'affirmer que jamais je ne guérirai sans lui. Alors aujourd'hui, jour de tes 20 ans, je ne veux plus que tu prennes soin de moi, je veux que tu fasses ta vie et la réussir sans moi...

Je vais le rejoindre, a chérie, je vais être heureuse à ses côtés tout là-haut. Mais je veux que tu me promettes, qu'une fois par semaine, tu te laisses allée dans les ténèbres à oublier, à te libérer et à te souvenir de chaque moment que tu as passée avec moi et du peu de souvenir que tu as de lui, lui, cet homme si respectable qui est mort pour son pays...

Et n'oublie pas, ma chérie, nous sommes en toi et à jamais avec toi...

Mes penséesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant