Au Pied du Mur

18 AOÛT 1961

       

« Eh bien, que de mésaventure ! Et surtout quel courage !! »

- Je suis bien heureux de te revoir Thomas.

Il me pose plein de questions sur mes quelques jours, seul dans la RDA. Je lui ai dit que je m'étais engagé la veille de la construction du Mur dans l'armée allemande, et je lui ai raconté ce qui s'était passé durant ses jours d'absence. Suite à cette discussion dans un logement de fortune, il me sert un bon repas, que je mange volontiers.

« Dis voir Thomas, as-tu déjà entendu parler de gens qui réussissaient à passer au dessus du Mur ?»

-   Oui, en effet. Il y en a un qui a sauté par dessus les barbelés au même endroit que toi. Le pire, c'était qu'il était militaire ! Tu te rends compte ?

-   Et sais-tu son nom ?

-   Oui. Il s'appelait, ou en tout cas s'appelle Conrad Schumann. Mais il doit être sûrement mort à l'heure qu'il est ! Paix à son âme...

-   Pourquoi dis-tu cela Thomas ?

Il pose ses avant-bras sur la table et s'approche de mon visage.

« Sais-tu qu'un avis de recherche a été lancé, Kurt ? Et que lorsqu'il a sauté, il y avait un photographe pile au même moment ?»

-   Comment sais-tu cela ?

-   C'est très simple : j'y étais ! Je me postais tous les jours près du Mur comme tout plein de gens d'ailleurs ; même si les militaires nous repoussaient... Mais... Je ne sais pas... Une intuition peut-être. J'étais persuadé que tu passerais près du Mur. Ou en tout cas, qu'on se verrait à travers la frontière. Donc voilà pourquoi j'étais là, lorsque ce Conrad Schumann a sauté. Et tu sais quoi Kurt ?

Je hausse les épaules.

« Je t'ai dit qu'un avis de recherche avait été lancé par l'armée pour retrouver ce fugitif. J'en ai pris conscience et une somme bien rondelette était offerte à quiconque dénoncerait l'individu recherché. Comme je le savais et bien je l'ai...»

-   Comment savais-tu le nom de ce pauvre homme ?

-   Je l'ai vu sur son casque qui était tombé au sol. À l'intérieur des casques est inscrit le nom du propriétaire du casque. Lorsque le sien est tombé au sol, j'ai lu son nom, je l'ai retenu, il l'a ramassé et il s'est enfui.

-   Donc comme tu savais son nom, tu l'as dénoncé à l'armée, si j'ai bien compris.

-   Allons Kurt ! Pour une si belle somme !

Il sort de sa poche une bourse avec des pièces d'argent. Quelque chose en moi se demande si je dois en vouloir à Thomas. Pourquoi ? Il m'a accueilli, nourri, aidé dès mon arrivée à Berlin. Mais pourquoi la mort de ce Conrad Schumann m'affecte-t-elle ? Pourtant, lors de mon premier jour de service militaire, un homme s'était fait fusiller pour avoir voulu traverser la frontière. Malgré cela, le sentiment de colère envers Thomas grandit de seconde en seconde. Il est cependant mon meilleur ami ! Mais la question à laquelle je n'ai pas de réponse est pourquoi ? Le problème est que j'ai fait exactement la même chose que Schumann ! Et pourtant, lui a dû répondre de ses actes, alors que moi, je suis à une table, avec mon ami. C'est de l'injustice, et cet homme aurait très bien pu continuer à vivre, sans être dénoncé.

« Pourquoi est-ce que tu as fait ça ?... »

-   Je te demande pardon ?

-   Pourquoi l'as-tu dénoncé ?

Ma question le prit de court.

« Il servait l'armée et à failli a ses responsabilités ! Il méritait ce qui lui est arrivé !»

-   Imagine qu'il avait une famille ? Une femme ! Des enfants !! Te rends-tu compte de ce que tu as fait ? C'est inhumain !! Tu as la mort de cet homme sur la conscience ! Tu n'es pas mon ami Thomas ! Tu mènes des gens innocents à la mort rien que pour l'argent alors qu'ils voulaient la liberté !!

-   Kurt ! Calme-toi !! Tu dois être encore secoué par les émotions de la journée, il faut que tu te reposes !

-   Je vais très bien ! Merci.

-   Kurt ! Tout le monde fait ça ! C'est comme ça ici ! Tu ne peux faire confiance à personne et la moindre erreur est fatale à coup sûr !

-   Ce que tu dis est vrai ! Tu en es la preuve vivante !!

Je me lève, je vais dans ma chambre de fortune, sans savoir quoi penser. Je m'allonge sur mon lit et sombre dans le sommeil.