Chapitre 7- Le départ

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   Hadrien, étendu sur le sol caillouteux de la falaise, repensa à l'heure précédente : Stein et lui avaient vidé l'alcool dans la rivière de façon à former une espèce de grosse flaque noire peu ragoûtante et avaient jeté une vieille chemise d'Hadrien au milieu des bouteilles vides. Ensuite, ils étaient retournés sur la falaise et Stein avait donné à Hadrien de nouveaux vêtement, plus solides et plus chauds que ses anciennes loques déchirées, avant de retourner au village pour glaner des informations. Et ça faisait à peine une demi-heure que Hadrien s'ennuyait à mourir, depuis qu'il était partit. Il tendait l'oreille en jouant aux osselets avec des cailloux. Sa morosité habituelle reprenait peu à peu le dessus. En lui-même, il débordait de joie ; mais son visage, si peu habitué à sourire, restait figé et las. Il jeta ses cailloux par terre et s'avança vers le rebord de la falaise. D'ici, on avait une vue imprenable sur toutes les montagnes, Lourillon et son Paradis, les creux, les vallées, les lacs d'eau pure et chatoyante au soleil déclinant. Il s'imagina deux silhouettes, l'une trapue, l'autre frêle, marchant vers l'horizon et leur ombres allongées s'épanouissant dans la vallée de verdure. Au moment où les deux personnes disparaissaient derrière la lumière orangée, des bruits de pas se firent entendre et les soufflements de Stein devinrent de plus en plus distincts.

   Quand il arriva, Hadrien se précipita vers lui et l'asséna d'une multitude de questions:

- Comment a réagi Cadus ? Et au village ils ont dit quoi ...?

   Stein le regarda et dit : "Tu vois qui c'est, Jeannette ?"

   Hadrien le regarda, surpris ; comment la connaît-il ? Elle faisait désormais partie d'une autre partie de sa vie, qu'il voulait enfouie et oubliée, abandonnée pour une nouvelle, meilleure. Mais n'est- ce pas un peu précipité de ma part ? Pourquoi est ce que je rejette ces personnes si vite ? Ses pensées dévièrent. Quel mauvais ange m'a fait naître ici ? Pourquoi n'ai-je jamais eu de chance ?

Il remarqua que Stein attendait, et lui répondit vaguement  : "Ouais, c'est une fille du village..."

- En tout cas, Cadus et cette fille arrivent d'ici dix minutes au Paradis, alors toi tu vas rester ici et moi je vais voir ce qui s'y passe ! Et souris un peu !"

   Hadrien essaya et son premier vrai sourire apparut sur son visage, si marqué du manque d'amour et de compassion.

***

   Stein marcha de vive allure. Une fois arrivé au Paradis il regarda si il y avait quelqu'un et vit deux ombres lointaine s'avancer. Il se cacha vivement dans un buisson, où personne ne pouvait l'apercevoir.

   Au bout de deux minutes Cadus et Jeannette étaient arrivés.

- Quoi ! Il est où mon gosse ? Il est où ? Hadrien !? Hadrieeeen !!! se mit à beugler Cadus.

   Des larmes commencèrent à rouler sur ses joues, bientôt rejointes par une multitude d'autres. Il s'arracha ses cheveux restant, se roula par terre et se mit à crier :

- Mon fils ! Mon fils ! Je vais faire comment pour racheter ce que tu m'as cassé ?! Voilà que tu m'as tout pris ! En plus de mourir tu m'a enlevé la seule chose qui m'intéresse et que j'aime : l'alcool ! Voilà tu es mort, donc tu t'en fout ! Mais c'est moi qui t'ai élevé ! Moi qui t'ai nourri ! Comment peux-tu me faire ça ? Sans bière, je ne suis plus rien ! Déjà que je n'étais pas grand chose, me voilà réduit à néant !

   Pendant que Cadus s'apitoyait sur son sort, Jeannette reculait en pleurant. Comment un père qui vient de perdre son fils peut-il pleurer sur ses bouteilles et non sur sa chair ? pensa-t-elle, révoltée.

   Un fois que Jeanne fut partie, Cadus tourna la tête, et comme un fou s'écria :

- Toi, maintenant, mon fils, t'es tranquille hein ! T'as regardé la vie puis tu lui as craché dessus pour pouvoir rejoindre la mort, qui au moins est plus douce ! Puis ce que c'est comme ça, j'vais t'rejoindre ! Tu vas t'rendre compte que ton père l'est courageux pour avoir réussi à te supporter ainsi que sa chienne de vie, mais là c'est trop !

   Le fou regarda le ciel comme par défi et... plongea dans l'eau glacée.

   Stein vit Cadus se débattre, toucher le fond, réapparaître puis replonger. Ni tenant plus, il le rejoint, le porta et l'allongea sur le sol. Cadus suffoqua et recracha un peu d'eau. Constatant qu'il y en aurait pour longtemps avant qu'il reprenne connaissance, Stein le mit en position latérale de sécurité et s'en alla.

***

   Hadrien attendait. Il en avait marre d'attendre.

30 minutes plus tard.

   Hadrien attendait. Il en avait marre d'attendre. C'était trop pour lui. Attendre une heure que votre vie change définitivement, pour lui c'était beaucoup trop. En même temps ça faisait quinze ans qu'il attendait que quelqu'un vienne l'aider ; il savait pas trop comment ni qui viendrait. Il avait même cru que c'était la mort qu'il attendait. Drôle d'allure dans ce cas là, la mort. Où était-ce un ange ? Dans ce cas là aussi, l'ange avait mis du temps avant de se réveiller. Quinze ans. Exactement quinze ans.

   Mais maintenant Hadrien n'attendait plus. Car William était là. Il allait partir. Il allait quitter ce paradis qui pour lui était un enfer. Il allait pouvoir réaliser son seul rêve : avoir une nouvelle vie.

   Il se mit à pleurer de joie, à rire et à courir vers William. Mais quand il arriva, il vit son teint pâle et ses vêtements mouillés. Il arrêta de sourire.

   "Alors ?" Demanda Hadrien qui ne savait pas vraiment ce qu'il fallait dire.

- Cadus a gueulé. Dès que Jeannette est partie, il a plongé dans l'eau. Je l'ai repêché et l'ai laissé sur la berge.

   Le soulagement se peignit sur la face d'Hadrien.

- Ils me croient donc mort ! On peut partir maintenant !

Stein le regarda en souriant, puis repris son sérieux :

- Pour la direction, tu sais où aller ?

- Heu.... À vrai dire je n'y avait même pas réfléchi.

- Bon, il y a un chemin de fer ?

- Ouais pourquoi ?

- Car les rails mènent toujours quelque part

- Bien vu. Alors on va vers la voie ?

- Est-elle désaffectée ? s'assura William.

- Bien sûr ! Qui viendrait à Lourillon ?

- Moi par exemple. Parfait ! Tu peux dire au revoir au village que tu aimes tant !

Et ils partirent sans plus de cérémonie.

Au bord de la falaiseOù les histoires vivent. Découvrez maintenant