Ils marchaient depuis environ une heure lorsque la nuit se mit à tomber. Le ciel s'assombrit peu à peu, jusqu'à ce que Stein ordonne la halte.- Allez, on va s'arrêter là, fit-il. Pourquoi sont-ils hors de fonctionnement, les rails ?
- En fait ce sont les restes d'un projet foireux qui a été abandonné lorsque la première locomotive à y circuler a déraillé, manquant de tuer les cheminots. Elle est toujours là, d'ailleurs. On peut y dormir, non ?
- Quoi, la locomotive ?
- Ben ouais, carrément !Ils mirent dix minutes à la trouver. A la lueur de la lune, on devinait des sièges en cuir rembourrés totalement déchirés, des vitres fracassées, des portes arrachées et des plantes semblant avoir recouvert l'intégralité de la locomotive. Hadrien avança jusqu'à trouver la cabine du conducteur, le seul endroit à peu près en état. Ils déployèrent les couvertures que Stein avait achetées au village et s'endormirent au bruit des stridulations des criquets.
***
Hadrien fit un rêve étrange, cette nuit là. Il était au bord de la falaise et commençait à pencher son corps au dessus du vide lorsqu'un cri le faisait se retourner. Cadus, le visage en pleurs et comme fou, courait vers lui en criant : « Nooooooooooooooon ! », puis l'attrapait par la taille pour l'empêcher de tomber. Mais son poids les entraînait et ils chutaient ensemble, Cadus serrant toujours ses hanches à faire mal et chuchotant sans cesse une phrase que Hadrien ne comprenait pas.
Il se réveilla en sursautant, des sueurs froides lui courant sur le dos. A ses côtés, Stein ronflait doucement. Dehors, les feuilles laissèrent tomber de minces gouttes d'eau. Il frissonna. Son rêve lui revint alors en mémoire. Que disait Cadus, déjà ? Mince, cette phrase... c'était quoi, bordel ?
La faim le tira de ses réflexions. Il chercha dans leurs sacs un peu de pain et du lait en poudre puis fit chauffer de l'eau au gaz. Stein arriva quelques minutes plus tard, les yeux gonflés de sommeil et les cheveux en bataille.
- S...salut Hadrien... Bien dormi ? dit-il en baillant.
- Ça va... Et toi ?
- Mouais... j'suis crevé...
- Moi, je pète la forme ! Enfin LIBRE ! haha ! Je suis trop conteeeeennnt !
Il tournoya sur lui même, les bras écartés, riant de sa nouvelle vie.
Je crois que je pourrais voler tellement je me sens léger !
Ils prirent le petit déjeuner dans une ambiance joyeuse et détendue. Hadrien hésita à raconter son rêve, puis se ravisa. Cadus n'était plus rien. N'avait jamais été quoi que ce soit, d'ailleurs.
Ils se mirent en route une vingtaine de minutes après, toujours suivant les rails. Au bout de deux heures, un soleil dur et tapant vint les baigner de chaleur. Ils suaient toute l'eau de leur corps, toujours le même geste, un pied devant l'autre, j'inspire, un pied devant l'autre, j'expire, mhhh, fhhh, mhhh, fhhh... et encore, et encore, et encore. Je m'arrête, je bois, un pied devant l'autre, j'inspire, un pied devant l'autre, j'expire, mhhh, fhhh, mhhh, fhhh... Le soleil devint plus ardu au fur et à mesure que le temps avançait. Ils mangèrent à l'ombre d'un arbre, suant, crevés par leur marche. William avait enlevé son T-shirt et son torse était luisant de chaleur. A leur intense soulagement, le soleil disparu environ une demi-heure après, et ils purent enfin se rafraîchir un peu. Ils dormirent à la belle étoile, enroulés dans leur couverture, épuisés.
Deux jours après, ils aperçurent un petit patelin ridicule, tout juste une dizaine d'habitations, appelé Karpeyre. Ils y arrivèrent une heure après, soulagés de trouver un point civilisé où ils pourraient se reposer.
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Au bord de la falaise
PertualanganDeux personnes au fond du gouffre, deux personnes devant la falaise, deux personnes mais un seul destin, exceptionnel.