Mon subconscient, animé par le désir ardent de m'éveiller de cet état second me murmure doucement d'ouvrir mes paupières. Ainsi je tâte la roche bombée ,sur laquelle repose mon corps meurtri par l'inconscience et la douleur, et du bout des doigts caresse le sable qui engloutit les cailloux poreux. J'entends aussi le grondement sourd de l'écume lorsque la vague agitée a achevé son ascension sur le rivage. Puis je la sens. Ma peau dénudée qui épouse le sol profond. Les violentes bourrasques qui se profilent sur la plage la rendent froide et le frottement de mon corps contre le sable l'a parfois écorché jusqu'au sang.
Enfin, je daigne ouvrir mes yeux. Mes douces prémonitions se voient confirmées quand j'aperçois le large océan dont les quelques oscillations à sa surface sont on ne peut plus agités. A l'autre extrémité de cette étendue de sable se dessine plusieurs collines, aux pentes abruptes, similaire à des massifs montagneux , et couvertes d'une végétation étrangère. Laquelle se compose d'arbres aux branches menaçantes, épaisses au tronc et qui se divisent en rameaux. Parachevant cette description de ce monde séduisant et céleste, je vois quelques corniches à flanc d'une falaise et exposées sous un soleil de plomb, alors à son zénith.
Tout à coup, m'ôtant des me rêveries et torpeurs je sens une couverture en laine épaisse envelopper mes épaules nues jusqu'au pieds. S'en suivit un frisson de répulsion me parcourant machinalement l'échine et se dissipant tout aussi soudainement qu'il est apparu.
-Il y a de la houle aujourd'hui affirme une voix guttural masculine, un peu innocente.
L'arrivée un tantinet inopinée de cet homme me provoque un violent et surprenant soubresaut. Il n'y accorde cependant point d'attention. Alors, piquée d'une curiosité maladive face à cet étranger je l'observe. C'est un petit homme, au nez proéminant et rougeau d'un personnage aux consommations assidues. Son ventre est lui ballonné de bière. Enfin, il possède une marinière qui oppresse son embonpoint et une casquette ébène de marin. Mais ses yeux, vides de sens et bercés par l'horizon plat me semblent trop familier. Ce n'est que quand son regard perdu croise le mien que je réalise qu'il est là, sans son pardessus et son chapeau feutre. Mr Oliver est là.
-Mr Oliver c'est vous ? réussis-je à balbutier alors que mes mots se dérobent.
Il sourit d'un grand rictus qui dévoile sa dentition jaunâtre.
-Mr Oliver n'est qu'un surnom afin de dissimuler mon identité véritable annonce le marin satisfait de créer la surprise. Mon véritable nom est Mousse. Remarqueras tu le diminutif de Monsieur Oliver Underwood Scott Stevens East.
La conviction que ce sobriquet de Peter Pan n'est que fictif s'effondre aussitôt. Toute cette histoire a quelque chose d'irréel et de fantasmagorique. Cependant je réalise que Peter pan n'a cessé de rythmer ma vie: la plume rouge, Monsieur Mousse , l'enlèvement de Danny, l'obsession excessive et démesurée de ma grand-mère pour ce personnage. A vrai dire il a toujours été là sans être là.
J'éprouve ainsi le besoin de m'asseoir afin d'assimiler cet afflux d'information. Seulement Mousse ne me laisse une minute de répit et me hisse sur son épaule jusqu'à une barque gracile délaissée sur la plage.
Il me semble que le voyage est sans fin, le temps éternel et qu'il ne passe plus jusqu'à ce que nous arrivons devant un vieux bateau noir à deux mats. Mousse me suggère d'accéder au pont du bateau par une vieille échelle consolidée avec du bois humide ce que je fais aussitôt. Ainsi je gravis les échelons.
En haut, sur le pont, une dizaine d'homme de l'équipage, fagotés de vieux t-shirts délabrés, s'attèle aux corvées exigés: certains manipule les cordages, d'autres nettoient leur armes glissante sur un second couteau afin d'affuter la lame luisante.
Je les vois soudain me supplier et m'implorer du regard de lâcher la couverture qui recouvre mon corps nu. Leur vies sont fade, sans confort, sans chaleur et sans femmes. Ainsi, s'exhortant à la patience non sans dissimuler un regain d'énergie, ils s'approchent dangereusement de moi formant un demi-cercle bien tracé. Ils m'empoignent maladroitement le bras droit tandis que je tiens fermement la couette de l'autre.
-Lâchez la! exige une voix ferme qui ne trésaille pas.
Au son de la voix, l'équipage recule d'un pas machinal, proche du réflexe. Et une fois tous calmés, un silence pensant dure quelques minutes avant que la même voix grave reprenne, toujours surgit de nulle part:
- Vous êtes Gwen, la petite-fille de Wendy Darling?
Je réponds en acquiesçant doucement la tête avec appréhension. Puis, l'homme daigne enfin se montrer et quand je perçois son crochet accroché au bout de son bras mon sang ne fait qu'un tour. Mon visage, alors d'une léthargie de cadavre, est on ne peut plus pâle. Il est debout, affublé d'une chemise d'un blanc immaculé retroussée jusqu'au coude, et d'un pantalon bleu marine aussi déchiré aux genoux. En observant ensuite son visage, je remarque qu'il est jeune. Son teint est légèrement halé, ses traits doux et arrondis qui cassent avec la forme angulaire de sa mâchoire, typée par une barbe naissante et brune. Ainsi Crochet est debout devant moi.