Un dimanche fièvreux

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— On ne peut pas le laisser comme ça, Lyov ! Il est encore très fiévreux !
— Ca va être compliqué de le ramener au château ! C'est pas comme si on était juste à côté !
— Au pire, je peux le transporter.
— Peut-être, Marek, mais dans ce cas-là, c'est le meilleur plan pour se faire griller ! Nous sommes en plein jour ! Au pire, il y a le portoloin qui amène vers Vydra Bol'nice.
— Hors de question ! Il est là pour toi, ce portoloin ! C'est ton issue de secours, on ne peut pas se permettre de l'utiliser. Même si c'est pour Emeric.
— Et si on amène Martha ici ?
— Tu es vraiment un chef pour les idées foireuses, Marek.
— Excuse-moi d'essayer de proposer des choses !

Le silence retomba, sur un fond de râle très bas et leurs quatre regards convergèrent sur le fruit de leurs inquiétudes. Allongé dans sa couche de fortune, Emeric, aussi livide qu'un linge, tremblait dans sa fièvre.

— Ca ne descend toujours pas, s'inquiéta Vilma. Il faut vraiment que l'on fasse quelque chose.
— Le plonger dans la neige, tu penses que ça aidera ? J'ai toujours rêvé de le faire !
— Je pense que c'est une mauvaise idée. Quand quelqu'un est fiévreux, il faut justement bien le couvrir et faire en sorte qu'il ait chaud.
— Alors pourquoi, à ton avis, on met des linges glacés sur les fronts des personnes malades ?
— Pour les soulager ?
— Arrêtez de vous disputer, tous les deux ! Ce n'est pas le moment.

Vilma soupira :

— Je vous propose qu'on se relaie. Faire en sorte de chauffer cette grotte plus fortement. Mais pour souffler, nous procéderons à tour de rôle pour le surveiller.

Une suggestion que les deux jeunes hommes acceptèrent, malgré le fait que leur dimanche allait ainsi être gâché.

*** *** ***

Les pensées d'Emeric n'avaient aucun sens. Tout se mélangeait. Le passé, le présent, le futur. Les têtes de ses proches se mêlaient les unes aux autres. Mais dans cette brume, une seule silhouette restait identique, restant plantée au milieu. Emeric s'approcha, esquivant les autres personnes qui observaient son avancée sans ciller, se contentant de pivoter la tête quand il passait à côté d'eux.

— Maman.

Mais Amy ne répondait pas. Elle restait immobile, lui tournant le dos, dans cette longue robe blanche qui soulignait sa minceur, ses cheveux blonds détachés cascadant entre ses omoplates.

— Maman... S'il te plaît, réponds-moi.

Et quand il attrapa son épaule, elle se retourna enfin. Emeric étouffa un cri de terreur en constatant que la figure de sa mère était totalement décharnée, ne laissant paraître d'un crâne articulé.

— Emeric... ?

Le jeune homme effectua un pas en retrait, ne sachant à quoi s'attendre face à cette apparition. Autour de lui, toutes les autres silhouettes commencèrent à s'évanouir.

— Emeric... Mon fils... Emeric...
— Non !

C'est lorsque la carcasse d'Amy tenta d'approcher une main vers lui qu'Emeric commença à s'enfuir. Il refusait de faire face à cela. Se rappeler que sa mère en était aujourd'hui réduite à cet état. Elle n'était plus qu'un vulgaire tas d'os dans un cercueil...

— Emeric.

La voix la poursuivait.

— Ecoute-moi. Je t'en prie. Ne t'enfuis pas... Je t'aime.

Elle avait commencé à prendre des aspects de lamentations.

— Je t'aime... Ne me quitte pas, Emeric...

Puis, les geignements se transformèrent progressivement en pleurs, mais cela ne fit pas ralentir Emeric dans sa course. Seules les notes d'un piano parvinrent à le stopper. Car dès les premières, il en reconnut la mélodie. Cette nocturne de Chopin, qu'il avait tant écouté par le passé... Il avait coutume de s'endormir sur cette dernière, assoupissant à même le tapis à côté du piano alors qu'il n'avait que trois ans. Cette musique avait toujours su le bercer. Le mettre en confiance. Alors, le cœur battant, il se retourna et observa un temps le squelette vêtu exécuter le morceau avec une virtuosité singulière. Il reconnaissait chaque rythme, chaque coup de pédale. Identiques à ses souvenirs intacts.
À pas lents et prudents, Emeric s'approcha, ne nourrissant de tout ce que la musique avait à lui offrir. Et, tout à coup dénué de sa frayeur à l'égard de la dépouille animée, il s'en sustenta. Combien d'années avait-il rêvé de ce simple instant ? De s'ancrer une fois de plus cette musique au fond de son cœur ? Naturellement, le jeune homme s'assit alors au pied du piano et attendit la fin du morceau.

Sum Presentaliter Absens in RemotaOù les histoires vivent. Découvrez maintenant