Chapitre 8

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Malia avait attendu avec impatience la soiré, en plein hiver, être dans une piscine chauffée à se la couler douce. De quoi pouvait-elle rêver mieux ? Dans son cas, de plein d'autres choses, malheureusement.

Après le message de Pierre :

JE SUIS À LA PLACE DE L'ÉGLISE.

Elle partit de chez elle en scooter. Sa maison était éloignée du bourg, prise entre tous ces arbres qui faisaient presque une forêt. Ce qui était sûr, c'est que personne ne venait les déranger.

Prenant la route qui contournait Saint-Hillaire-de-Brens, le village où elle habitait, elle bifurqua à gauche à une intersection afin d'aller à l'esplanade où l'attendait Pierre. Elle laissa son scooter un peu plus loin, puis courut vite dans la voiture. Ici, c'était un petit hameau, et les racontars défilaient vite avant d'arriver aux oreilles des concernés. Elle ne voulait pas que sa mère soit mise au courant, que sa fille était rentrée dans une voiture ce soir-là. Sylvie Ansel était très tatillonne.

- Allez, c'est parti ! s'exclama Pierre, tout heureux.

Malia était secouée d'excitation. Elle avait déjà son maillot de bain sur elle.

Un peu plus tard, ils étaient arrivés chez Maxime. Il habitait une maison plutôt belle, dans une petite commune en agglomération lyonnaise. Ils sonnèrent à la porte. Derrière, on entendit une voix :

- Mia, Juliette, vous pouvez allez ouvrir ?

C'était Maxime.

- T'as cru ! dirent-elles en même temps.

Puis le bruit du plongeon dans l'eau. Maxime râla. Pierre et Malia étaient tout fous à l'idée de cette piscine chauffée. Il partit ouvrir la porte. Trop impatiente, elle enleva sa jupe sous les gros yeux de son ami, qui tourna soudainement la tête vers le mur. Puis le reste de ses habits fut placé sous son aisselle. Au moment où Maxime ouvrit la porte, elle se glissa à l'intérieur. Les deux garçons eurent le temps de ne rien dire, juste d'ouvrir la bouche dans une surprise amusée. Jetant toutes ses affaires sur le canapé du salon, elle ouvrit la baie de la véranda, et hurla d'une voix résonnante dans la pièce aquatique :

- J'arrive !

Ils la regardèrent tous, Émeric, Mia, Juliette et les autres gars, et virent dans ce corps la fine ligne gracieuse de son ventre, entre les colonnes d'abdominaux – qu'elle n'avait pas –, des jambes graciles et puissantes à la fois, en plus de ses formes qui remplissaient bien les deux pièces de son maillot au motif du drapeau américain. Et s'élançant, jetant loin les mains en avant, elle prit la sublime silhouette de la plongeuse aguerrie, dont la physionomie prend la courbe parfaite de celle qui va fendre l'eau. Elle s'y immergea tout d'un coup. Mia et Juliette avaient un sourire égayé, tandis que celui des garçons avait une tendance consternante et bavante.

De l'autre côté de la baie, Maxime se posa sur le canapé. Pierre en face de lui.

- Tout le monde est arrivé ? demanda celui-ci.

- Je crois oui.

- Tu comptes nous faire faire quoi ce soir ?

- Je ne sais pas (il souriait), un jeu d'alcool comme d'habitude. Et toi, Pierre, tu comptes lui dire quand à Malia ?

Là-dessus, il écarquilla les yeux, faisant semblant de ne rien savoir de ce que pouvait penser Maxime.

- De quoi tu parles ?

- Tu l'aimes, mec. T'es obligé de l'avouer. Attends, t'as vu comment t'es avec elle ? Tu la protèges comme un daron, et tu la colles peut-être un peu trop.

Pierre rougissait. Il y avait dans ses yeux verts une sérieuse inquiétude ; il était dérangé de se savoir autant sondé par Maxime. Dans la véranda, ils entendaient des cris d'amusement où il discernait celui de Malia.

- Je la protège, c'est différent. Après Léo, elle a tant souffert. Elle n'aime plus personne, elle me l'a clairement dit. Je ne suis pas con au point de rester avec elle juste pour avoir une chance qu'elle soit ma copine. C'est écrit noir sur beige sur son front : « Si vous me voulez, allez vous faire foutre ! ». Je la connais mieux que quiconque.

Maxime haussa la tête, d'un air de juge.

- Si tu ne l'aimes pas, alors c'est bon. Sinon, ce ne sera qu'un amour à sens unique. Regarde ce qui s'est passé avec Alex Moreau, il a essayé de crever pour elle ! Non, mais franchement, qui ferait ça ? Il n'y a qu'elle pour provoquer ça. Ceux qui l'aiment sont condamnés à souffrir. On ne l'appelle pas l'Esprit Volatil pour rien.

Puis il passa son tee-shirt par-dessus sa tête, sa tignasse. Et Maxime était en short de bain. Son corps laissait apparaître une musculature assez développée, en plus des grands obliques au niveau du bas-ventre, ce qu'on appelle plus communément le « V ». Tout ça, c'était son arme de séduction pour ramener les filles dans son lit. Et ça marchait très souvent. Il aimait l'exposer. C'était une de ses vanités.

- Rejoins-nous après, fit-il.

Puis il ferma la baie coulissante derrière lui, laissant Pierre seul. Ce dernier pensait à ce qu'il venait de lui dire. L'Esprit Volatil. Ce surnom l'obsédait, et il trouvait qu'il n'y avait pas mieux pour la désigner. Malia Ansel était une âme que Léo Rondeau avait rendue insaisissable. Il aurait voulu avoir ce fumier entre ses poings pour le fracasser, pour le punir de tout ce qu'il avait pu faire à son amie.

Et il songea à l'instant où il l'eut vue pour la première fois. À ce moment-là, elle sortait toujours avec Léo, et Pierre traînait avec Jules. Et le petit couple venait souvent avec la bande du grand frère. Alors la fois où ce dernier les avait tous invités chez lui, dans son appartement, Pierre avait aperçu Malia Ansel.

Tumulte de l'âme. Ouragan divin qui tomba sur son cœur. Poudre de pureté s'échouant sur ses yeux, sur elle.

Il en était tombé amoureux, sans pouvoir se l'avouer. Ils s'étaient rapprochés sans même s'en rendre compte. La gravité de ce qu'était Malia l'avait attiré. Et le jour où tout cessa entre elle et Léo, alors il avait été de tout cœur avec elle, l'avait crue et encouragée, tandis que tous ceux de la bande de Jules l'insultaient de traînée. Par la suite, Pierre avait coupé toutes les ficelles avec Jules et les autres. Puis, dans son université, il avait rencontré Maxime. Ils s'étaient tout de suite très bien entendus. Il l'avait invité chez lui. Pierre avait fait la rencontre d'Émeric, de Mia, Juliette et de tous les autres. Et, finalement, il avait ramené Malia. Voilà comment s'était formé le groupe que l'on connaît maintenant.

Le pire, c'est que lorsque Jocelyn, celui qui l'avait photographiée à la boîte de Dèrfam, avait montré justement l'image à tous les autres, aucun ne l'avait reconnue, sauf Jules, et même en leur disant son nom, ils n'avaient pu s'en souvenir, à cause du trop grand nombre de filles que Léo avait eues.

Pierre se leva. Dans le mur, il y avait un miroir. Il se voyait dedans. Il voyait le garçon aux cheveux bruns et au regard vert qu'il était. Il n'était pas moche, mais pas canon non plus. À côté de la glace, il y avait une vitre donnant sur la piscine. Des bruits de clapotis lui revenaient étouffés. Mia et Juliette restaient dans un coin dans l'eau chaude, juste toutes les deux, serrées l'une contre l'autre, à se chamailler, se moquer gentiment, rire, puis s'embrasser dans l'ardeur de la passion. L'amour, avant tout, c'est l'entrelacement de deux âmes, et une âme n'a pas de sexe.

À côté, Malia nageait, demeurait au fond de la piscine. Elle aimait être dans la plus grande profondeur, au-dessous de toutes ces personnes flottant à la surface. Elle avait pris un pince-nez afin d'empêcher l'eau de rentrer. Il la regardait, il admirait son corps, puis examinait le sien avec un soupir. Il n'avait pas les tablettes de Maxime. Il n'était pas gros non plus, mais avait honte de se montrer comme tel devant Malia. L'excitation de la piscine lui était passée.

Pierre, considérant tous les beaux séducteurs qui tournaient autour d'elle, se voyait comme le petit moucheron tout au fond de l'abîme. Et, se rappelant un extrait de Ruy Blas de Victor Hugo, il souffla ces quelques mots, embuant alors la vitre dont il était proche :

- « Madame, sous vos pieds, dans l'ombre, un homme est là. Qui vous aime, perdu dans la nuit qui le voile ; qui souffre, ver de terre amoureux d'une étoile ; qui pour vous donnera son âme, s'il le faut ; et qui se meurt en bas quand vous brillez en haut. »

L'Esprit VolatilOù les histoires vivent. Découvrez maintenant