Laissant la forêt derrière lui, le jeune homme repéra enfin les premiers éléphants. Cinq d'entre eux se trouvaient rassemblés à peu de distance sur un terre-plein dégagé, en contrebas de la colline parsemée de broussailles au sommet de laquelle il se tenait. Au-devant, une vaste prairie déroulait ses herbes sèches jusqu'aux marécages. À cet endroit, la végétation était si haute qu'elle masquait aisément un homme debout. Sanjit imaginait fort bien la ligne des rabatteurs de ce côté. Entre les tigres et les serpents, ceux qui allaient à pied risquaient leur vie à chaque instant.
Un détail inhabituel le frappa immédiatement. Alors que les chasseurs auraient dû attendre l'apparition d'un fauve tranquillement installés au sommet de leurs impressionnantes montures, il nota que tous les palanquins étaient vides. Des invités apparemment affolés gesticulaient à leur pied. Intrigué, il mit son cheval au pas pour se diriger vers les pachydermes. Tandis qu'il approchait, les bribes de vives discussions lui parvinrent, sans qu'il pût identifier leur sujet. Saisi par un mauvais pressentiment, il éperonna sa jument pour atteindre plus rapidement la petite clairière. La plus grande confusion semblait y régner.
En voyant plusieurs serviteurs accompagnés de chasseurs s'égailler dans différentes directions, son angoisse monta d'un cran. Quelle raison poussait ces gens à se disperser si imprudemment, alors qu'un gros félin pouvait rôder dans les parages ? Anxieux, il chercha Cynthia des yeux, mais ne l'aperçut nulle part. Soudain, il avisa lady Beltran. Le chapeau de travers, cette dernière sanglotait dans les bras de son époux. Contempler cette dame généralement si digne se laisser aller de cette manière, attisa davantage l'inquiétude du jeune homme.
Profitant du désordre pour s'approcher d'un domestique sans se faire remarquer, il interpella celui-ci.
— Eh ! toi. Que se passe-t-il ici ?
— C'est mademoiselle Cynthia, l'informa l'homme en le reconnaissant. Sa mère a insisté pour qu'elle monte l'éléphant le plus calme. Mais comme c'était aussi la bête la plus lente, personne n'a désiré s'installer avec elle sur le palanquin. Alors, quand elle a demandé au cornac de l'aider à descendre, comme il ignorait tout du caractère enfantin de la petite demoiselle, il a obéi sans poser de questions.
Sanjit se sentit frémir d'appréhension.
— Tu veux dire qu'elle est toute seule quelque part dans la jungle ?
L'air désolé, le serviteur opina de la tête. Sans plus attendre, le jeune homme éperonna son cheval. Il n'avait aucune certitude, mais il suspectait un endroit où elle avait pu se diriger. Non loin, un vieux temple hindou élevait ses ruines au-dessus des premiers arbres de la forêt. Les vestiges de son fronton de pierre étaient parfaitement visibles d'ici et Cynthia n'avait pu que les remarquer. La veille, elle l'avait rejoint pour l'interroger sur le lieu de la chasse, et il lui avait parlé de ce temple ainsi que des actions attribuées à son dieu tutélaire. Alors qu'il lui narrait les merveilleux récits circulant sur la déité, les yeux de la jeune fille s'étaient soudain mis à briller de mille feux sans qu'il sût pourquoi, et il pensait la connaître à présent suffisamment pour imaginer qu'elle avait profité de l'occasion pour se rendre là-bas.
Un voile en mousseline bleue accroché dans les branches lui prouva qu'il suivait la bonne piste. Il l'avait vu gracieusement arrangé autour du cou de la disparue le matin même. Le cœur étreint par l'anxiété, il pressa davantage son cheval malgré les épines des buissons qui se resserraient. Tout cela, c'était de sa faute. Il n'aurait pas dû abreuver l'âme innocente de sa douce amie d'histoires aussi passionnées, sans s'assurer qu'elle n'irait pas saluer celui par qui elles étaient censées survenir.
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Le Tigre de la destinée
RomantikLorsque Cynthia arrive en Inde, elle est émerveillée, et elle espère que les moqueries qui la suivent depuis son enfance cesseront. Elle se sait différente, mais est-ce une raison pour que les autres décident toujours à sa place ? En découvrant que...