En route vers Bali

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Durant les deux semaines qui suivirent, Sanjit ne revit pas Cynthia. Les premiers jours, ses blessures le maintinrent au lit. Profondément entaillée, la chair de sa cuisse le rappelait à l'ordre lorsqu'il essayait de se mettre debout. Le second coup de griffe n'était pas moins douloureux. S'étendant du haut de son épaule au milieu de sa poitrine, il lui interdisait de se servir de son bras gauche.

Nalesh le soignait avec dévotion, désolé de la tournure prise par les évènements. Malgré les soins attentifs du majordome, il garderait probablement des marques disgracieuses, mais ses plaies cicatrisaient bien, et dès le dixième jour, il put recommencer à marcher. Le vieil homme le traitait comme un fils et ne se permettait aucun reproche. Mais Sanjit devinait sa crainte de l'imaginer toujours à la merci de leurs ennemis, et il n'osait songer à sa déception s'il découvrait qu'il ne possédait plus le diamant. Quelqu'un lui avait-il dérobé le petit sac durant son évanouissement, ou bien la cordelette s'était-elle rompue lors de l'attaque du tigre ? Il n'en savait rien et, par prudence, il préférait ne rien demander à personne.

Bien que fort déplaisantes, les médisances de lord Mailbrown affichaient pourtant un point positif : personne ne s'interrogeait sur sa présence lors de la chasse. Tout le monde pensait qu'il avait honteusement abusé de la confiance octroyée par lord Beltran, en profitant de sa liberté de mouvement lorsqu'il montait l'un des chevaux pour se rapprocher de Cynthia. Que les deux jeunes gens se fussent donné rendez-vous ce jour-là semblait une évidence. Persuadée que Ganesh avait répondu à son vœu, la jeune fille n'avait pas démenti.

Quant au bris du miroir de lady Beltran, son explication demeurait un mystère, même si la découverte du petit coffret vide laissait supposer que l'intrus cherchait quelque chose. Le fait que Sanjit se fût porté au secours de Cynthia l'excluait d'office de la liste des suspects dans l'esprit de lord et lady Beltran, et l'enquête qui piétinait, menaçait fort de ne jamais aboutir. Le jeune homme n'en ressentait pas moins l'effet d'une grande déconfiture. Que ce fût la perte du diamant ou son amour impossible pour la douce Anglaise, il goûtait la défaite et les affres d'un cœur en peine.

Le jeune homme savait néanmoins qu'il devait partir. Toutefois, il ne pouvait se résigner à disparaître sans rencontrer au moins une dernière fois la jeune fille. Ce soir-là, cette évidence tournait en boucle dans sa tête. Retenu par son service, Nalesh ne rentrerait pas avant deux bonnes heures, et occupant sa solitude il naviguait d'une pièce à l'autre pour réaccoutumer sa jambe blessée à la marche, quand quelqu'un gratta à la porte. Le scandale lié à son nom empêchait la plupart des domestiques de lui parler, et personne ne le visitait jamais en l'absence du vieil homme.

Intrigué, il alla ouvrir. Enveloppée dans un long châle gris, Cynthia se tenait à l'entrée.

— Sanjit ! s'exclama-t-elle en lui sautant au cou. Je voulais tant te revoir.

Abasourdi par son audace, il l'entraîna à l'intérieur en refermant le battant. Sa visite le ravissait, mais il était préférable que personne ne l'aperçut.

— Tu vas encore te faire gronder par tes parents, la mit-il gentiment en garde.

Sous sa remarque, les grands yeux bleus se firent plus tristes.

— Tu n'es pas content de me voir ?

— Si, au contraire, avoua-t-il en souriant tendrement. Comment pourrait-il en être autrement ? Tu m'as tellement manqué.

— C'est vrai ? s'esbaudit-elle. Je suis si contente. Enfin non, je suis désolée que tu aies été blessé à cause de moi. Mais je suis heureuse de te revoir malgré l'interdiction de mon père. J'ai eu si peur au temple. Tu m'as sauvé la vie. Merci. Mais tu n'as pas trop mal ?

Le Tigre de la destinéeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant