Une histoire de mecs

Un soir sur une piste de danse

Chapitre 8 : Un soir sur une piste de danse

Le retour à la réalité n'avait pas été le seul à être douloureux pour Butch. Celui au Poste n'avait pas été non plus une partie de plaisir. Son chef lui avait passé un savon monumental suite à ce qu'il appelait "son escapade avec la Duchesse". Tout le monde semblait persuadé qu'il avait passé les jours précédents sur une plage de sable fin à s'envoyer en l'air avec une aristo pleine aux as.

Butch avait préféré passer sa blessure sous silence, il refusait d'être mis sur la touche et de se retrouver à tourner en rond dans son appart. Certains de ses collègues n'hésitaient donc pas à le charrier, avec une pointe de jalousie, sur sa nouvelle orientation professionnelle. Quand Gros Dur avait percuté que les autres le traitaient de gigolo à mots couverts, il avait fait honneur à sa réputation et avait joué des poings. Le commissaire, après avoir failli faire une attaque, lui avait refourgué une affaire particulièrement merdique pour « le calmer ».

Après quelques jours de ce traitement, Butch était rentré chez lui avec l'envie de tout casser. Il balançait des coups de pied rageurs dans le comptoir de la cuisine tout en se disant que si V avait été là, il aurait pu le traîner à la salle de sport pour se défouler un peu. Merde, sa vie lui paraissait franchement terne maintenant qu'il savait que le monde abritait... autre chose.

Autre chose qu'une bande de petits fonctionnaires étriqués et mesquins. Une autre dimension où existaient des gens si fondamentalement différents de lui et desquels il parvenait pourtant à se faire comprendre, avec lesquels il pouvait être lui-même, exprimer le fond de sa pensée sans passer pour un alien.

Ok, V était un vampire, dont la simple existence gravitait à des millions d'années lumière de la vacuité humaine, pourtant Butch savait qu'il pourrait épancher sa frustration auprès de ce mec-là sans être jugé. Sans se sentir inférieur. Mieux, V le comprendrait. C'était évident.

Depuis qu'il avait quitté le manoir, il lui manquait cette sensation d'être entier, d'avoir trouvé le bon équilibre. Tout particulièrement ce soir. Sans qu'il s'en aperçoive, il avait commencé à triturer son portable, le tournant et le retournant dans sa large paluche. En fait, il crevait d'envie d'appeler son pote. Mais pour dire quoi ? Le deal était clair : il était là pour fournir des infos aux vampires, point barre, pas pour faire ami-ami avec eux.

Il lui semblait néanmoins que V n'aurait rien eu contre. Après tout il aurait pu laisser Butch se morfondre dans sa chambre au manoir. Mais non, V lui avait fait une place à la Piaule, ils avaient passé du temps ensemble, avaient partagé des bouteilles et échangé des vannes.

Est-ce que le retour de Butch chez les humains avait changé quelque chose ? Leurs relations devaient-elles être différentes ? Et puis qu'est-ce qu'il risquait à proposer à V d'aller boire un verre ? Au pire, il se prendrait une veste...

Butch composa le numéro de V, qui décrocha à la troisième sonnerie.

***

Quand V lut le nom qui s'affichait sur l'écran du téléphone, il sentit tout son corps se détendre. Les derniers jours lui avait paru très longs, vides. Ils n'avait pourtant pas été très différents du reste de sa vie. Mais cette sensation de manque qu'il avait toujours portée au plus profond de ses tripes, comme une calme certitude, s'était soudainement mise à brûler, rendant la solitude, naguère si familière, quasiment intolérable.

V n'était pas idiot et savait que son désir pour Butch ainsi que le temps passé ensemble n'étaient pas étrangers à ce revirement. Mais en dépit de tout ce bordel qui tournait dans sa tête, V n'était pas tout à fait prêt à admettre ce qui lui apparaissait comme une faiblesse. Que ce soit au camp de son père, lorsqu'il n'était qu'un enfant, ou plus tard, dans sa vie de guerrier, il n'avait jamais pu s'offrir le luxe de la vulnérabilité.