A la sueur de mon front

38 3 5
                                    

     La sonnerie retentit. Libération ? Panique ? Déjà voilà le crayon dégainé. S'armant d'une courageuse fougue, il se met à tracer des mots, des lignes, des idées, des schémas. Grand I, grand II, petit 1, petit 3, conclusion ; le crayon s'épand au bon vouloir de la main tremblante. Son combat hargneux tente de suivre la cadence de l'aiguille. Il y croit, ils sont en osmose. Tout est encore possible.

     Le crayon est vite cocu par un stylo. Le stylo danse, au rythme des minutes ; il est plus fluide, plus lisse, plus beau. Il cavale bien. Il a le temps. Mais soudain, il bloque sa course. Pourquoi ? Il sait ce qu'il doit dire. Il ne sait pas comment. Il patiente, solitaire, il attend la main qui s'attarde. Où est-elle ? Que fait-elle ? Elle-même se le demande. Elle attrape le stylo - enfin ! la course reprend ! Non. Le stylo se lance dans une nouvelle danse, verticale, bruyante. Sa tête cogne la table dans un tintement aigu. Son balancement s'accélère. C'est nerveux.

     Enfin le contact avec le papier qui redémarre. Le combattant a perdu le rythme. Il a perdu, il le sait. Il espère encore pouvoir rentrer dans la danse des minutes. Trop de pas ont été manqués. Le stylo ne valse plus que superficiellement. Sa danse est moins gracieuse, plus grasse, plus ronde, plus empressée. Elle a perdu la sérénité qui faisait son charme ; sa mélodie perd sa justesse ; le stylo panique. C'est fichu ; son ingrate partenaire de pendule ne daigne l'attendre !

     La sonnerie retentit. Libération ? Panique ? Déjà voilà le stylo déposé ! Il saute dans la trousse, il convulse. Saleté de stylo ! Saleté de main ! Pourquoi ne pas s'être plié aux ordres du cerveau ! Le cerveau râle, il s'en veut, il pleure, il s'énerve, il ronchonne. Il savait ! il savait ! Et il ne l'a pas montré. Le cerveau est nul. Le cerveau est pitoyable, il se déçoit. Il ordonne aux yeux de pleurer.

     Les yeux pleurent, mais ils ne comprennent pas. Ils ne sont pas tristes ; simplement énervés. Pourquoi s'énerver ? C'est le cerveau l'idiot, pas eux. Le cerveau leur demande toujours de pleurer. Il pense que les larmes vont emporter sa frustration. Il peut mieux faire ! ou peut-être que non. Sûrement que non, car il était à son maximum. Foutu lui !

Histoires lycéennesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant