Pot de confiture

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     Ce matin, le pot de confiture ne s'est pas ouvert.

     J'ai vaillamment lutté. Toutes les armes y sont passées : cuillère, fourchette, couteau. Même mes mains. Ô Aristote, toi qui disais que la main était la meilleure arme, l'avantage premier de l'homme, je t'assure que tu avais tort. Mes mains ont été inutiles.

J'ai pleuré face à cette insolence confite, ce pot qui me toisait narquoisement ; je ne sais pour quoi. Je haïssais ce pot de confiture. Je haïssais ce couvercle, cette résistance, cette impétuosité abjecte et réprimandable. Car tout ce qui ose me résister est réprimandable.

Sauf qu'en vérité, ce n'était pas tant le pot que je détestais. C'était moi. Moi qui n'arrivais pas à ouvrir un banal pot de confiture — la base du petit-déjeuner, comme le chocolat est la base de la gourmandise ou le silence, de la parole — et qui, par ironie du sort sans doute, n'arrivais à m'ouvrir à rien, juste à me fermer à tout, à croire au sort sur lequel j'avais toujours craché, à me persuader que je croyais au sort pour m'excuser alors que n'y croyais pas. J'étais ce prétentieux pot de confiture : une coque en verre, translucide, qui laissait tout transparaître, quand bien même sa substance gélatineuse était répugnante à première vue ; une prétention qui se bornait à croire qu'elle valait quelque chose parce qu'elle s'opposait à plus fort qu'elle ; un être flasque, au goût sucré et agréable mais impardonnablement uniforme.

L'incapacité à ouvrir ce pot de confiture ne faisait que me renvoyer à mon incapacité générale, à tout ce qui sortait de mes domaines d'aptitude, à tout ce que je ratais. Personne n'aime rater. Le mot « échec » à lui seul est affreux : la rudesse du [k], la laideur du [ʃ] — le mot s'auto-détermine par son sens.

Alors que quelques larmes coulaient, le pot de confiture se dressait toujours fièrement. Je n'avais personne pour m'aider à l'ouvrir. Je n'aimais pas l'idée d'être dépendante de quelqu'un, et mettais un point d'honneur à mon indépendance par la simple raison de mon sexe — une femme n'a pas plus besoin de quelqu'un d'autre qu'un autre a besoin d'une femme, ou d'un autre encore ; mais malgré mes idéaux, je regrettais ma solitude. J'aurais aimé avoir une épaule sur laquelle poser ma tête, d'autres mains pour ouvrir ce pot de confiture. La maison était vide, tous étaient déjà partis.

C'est que j'en avais fichtrement envie, de cette confiture... rien de tel pour commencer une bonne journée. Et le pot de confiture, ce matin, ne s'est pas ouvert.

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