Victoire se réveilla en sursaut. Elle se redressa dans son lit, le front couvert de sueur. Les rayons de lune éclairaient la pièce, malgré les rideaux tirés devant la fenêtre. A ses côtés, elle pouvait entendre le souffle rassurant de ses sœurs, qui, elles, dormaient à point fermé. Tout en se laissant bercer par ces bruits lents et réguliers, elle se remémora les images de son rêve. Toujours le même, chaque nuit.
Un gros loup aux yeux jaunes qui s'apprête à la dévorer, une bourrasque, et puis le loup qui s'effondre. Mort. C'était chaque fois cette vision qui la réveillait.
Le cœur toujours battant, la fillette descendit de l'immense lit qu'elle partageait avec ses sœurs et se faufila telle une ombre hors de la pièce. Il lui fallait se changer les idées et elle avait soif. Elle marcha jusqu'à la cuisine silencieuse. Il restait un fond d'eau qu'elle avala sans remord : elle irait en chercher à l'aube au puis. Elle ressortit et allait retourner se coucher, quand elle remarqua la lumière qui filtrait sous la porte de la chambre de ses parents. Elle entendait leurs voix, dont le ton trahissait l'anxiété. Elle s'approcha, puis se détourna en pensant que ce qu'ils se disaient ne la regardait pas.
Quand son nom entra dans la conversation.
Alors la curiosité l'emporta sur le bon sens et Victoire colla son oreille contre la porte.
-Nous n'avons pas le choix, et tu le sais.
C'était son père, qui parlait avec lassitude. Il était rentré tard le soir, car il avait été convié à une réunion des chefs de famille du village. Il y avait peu, un homme du nom de Porto avait mystérieusement disparu, et, malgré des recherches incessantes, était resté introuvable. La peur qu'entrainait cet évènement avait rendu les gens méfiants et les discussions s'envenimaient plus facilement, ce qui expliquait en partie sa fatigue apparente.
-Jamais je ne pourrais vendre l'un de mes enfants, fusse-t-il celui de quelqu'un d'autre par le sang, répondit sa mère. Il est hors de question que Victoire quitte cette maison !
Elle n'avait donc pas rêvé. C'était bien d'elle qu'il était question. Mais qu'est ce que c'est que cette histoire de me vendre ?
-Depuis la naissance de Rollan et le départ d'Adrienne, il devient trop difficile de vivre, reprit son père sans se départir de son calme. Et puis, le petit ne survivra pas sans remède et nous n'avons pas d'or pour en acheter.
Victoire manqua de vomir. Rollan, son petit frère de quatre ans, était atteint de fièvre depuis quelques jours. Elle l'adorait, et jamais elle n'aurait put penser que son état était si grave.
-Ces gens nous proposent une somme plus que respectable. Nous devons accepter. De toute manière, nous ne pouvons pas refuser : l'Envoyé de la Capitale a été clair. Nous devons donner un enfant par famille ayant entre dix et quatorze ans. L'armé manque de main-d'œuvre.
-Mais pourquoi ne pas prendre des hommes, alors ?
-Parce qu'ils disent que les adultes doivent continuer à faire vivre le pays. De toute façon, un paysans qui à passé toute sa vie dans les champs ne serait pas très efficace avec une épée dans les mains. Ils veulent des gamins pour les former tout de suite au combat.
Victoire frémit. Elle avait déjà entendu parler de la guerre qui faisait rage à l'ouest du pays contre les barbares, mais cela avait toujours été une préoccupation mineure pour les habitants de son village.
Elle risqua un œil dans l'entrebâillement de la porte. Ce qu'elle vit la terrifia : sa mère se tenait le visage entre les mains et était agitée de sanglots violents. Et son père, son père si fier, si fort, son père que tout le monde admirait et que l'on surnommait le Bon Gros, si robuste...
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La couleur du sang
FantasyPar un matin d'hiver, un chasseur trouve dans la neige une petite fille à l'aspect étrange, qui n'est pas morte malgré le froid. Il la ramène chez lui en se demandant s'il fait le bon choix. Le soir même, à des centaines de lieues de là, un traître...