20h

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Matthieu tourne en rond dans son appartement. Ses mains tremblent. Il les passe dans ses cheveux frénétiquement et respire bruyamment.
- Calme toi... Calme toi... Se murmure-t-il.
Brusquement il s'assoit sur un tabouret, fixe les cinq verres vides sur le comptoir, puis se relève aussitôt et reprend sa ronde insensée. Des gouttes commencent à perler sur son crâne et il serre les dents.
- Calme toi bon sang, se crache-t-il à lui-même.
Il fixe ses chaussures soucieux et les trouve moches. Il les troque contre ses belles bottines vernies. Non, elles sont inconfortables finalement, il les retire et reste en chaussettes. Ses orteils tapotent le parquet de son appartement. Son jean commence à le gratter. Il décide d'en changer aussi. Il met un slim. Puis tant qu'à faire la chemise aussi est moche ! Il met un pull et se regarde dans le miroir de sa chambre. Il se croirait revenu quatre ans en arrière, à la fête de fin d'année qu'une connaissance organisait pour boire au nom du BAC. C'était la belle époque. Le groupe était soudé. Le groupe était, tout simplement.
Il repasse une main dans ses cheveux et souffle. Il remet du gel. On ne sait jamais, ils pourraient tomber...
Il retourne dans son salon et regarde le plateau de petits fours sur la table basse. Rapidement il va remettre les toasts bien alignés. Voilà, là c'est mieux. Il jette un petit coup d'œil aux bouteilles d'alcool sous la plaque en verre. Il les compte. Elles sont toutes là.
Ses mains recommencent à trembloter. Il se laisse tomber sur son canapé. Non, ne rien faire est pire que tout. Il se relève et recommence à tourner en rond.
- Cette fichue horloge n'avancera donc jamais... Peste-t-il.
Il vérifie que le sol soit bien propre. Pas une seule saleté. Mais il repasse quand même un coup de balai, on n'est jamais assez sûr. Il change les verres de place sur le bar, puis les remet à leur place initiale. C'est mieux comme ça finalement. Ses ongles martèlent le plan de travail. Il ouvre le four, les pizzas sont toujours là. Il se met encore à souffler. Ce silence est horrible... Alors il enclenche sa playlist. Mais dans le silence c'est comme si les notes sonnent faux. Quelle horreur ! Il grimace et éteint son téléphone immédiatement. Il empile les boîtes en carton de médicaments, refait un tas bien symétrique avec des feuilles en papier qui trônent sur la commode dans l'entrée, aligne les paires de chaussures, rajuste les vestes et les écharpes sur le porte-manteau. Il arrête tout son remue-ménage inutile quand il aperçoit le boîtier du téléphone fixe. Un voyant clignote rouge. Il souffle. Sa mère... Elle a encore du l'appeler quand il n'était pas là. Elle a du lui laisser un million de messages vocaux... Il débranche le téléphone. Voilà qui est mieux !
Soulagé il se tourne vers les photos accrochées sur un mur. Jamais il ne pourrait avoir de nouveau un groupe comme celui-ci. Leur amitié était si forte, infaillible, indestructible... Intemporelle. Que s'est-il donc passé à cette soirée d'adolescents pour que tout vole en éclat ? Durant toutes ces années Matthieu n'a pas arrêté de chercher une solution au problème. Une trahison ? Une histoire d'amour ? Un mensonge ? Une dispute ? Qu'est-ce qui a mit le feu aux poudres ? Rien ne laissait présager une telle tragédie auparavant. Tout allait parfaitement bien. Alors oui, Rose et Antoine étaient sortis ensemble, à de nombreuses reprises, oscillants entre amitié et amour. Mais cela n'impactait pas l'amitié avec les autres. Matthieu avait-il été aveuglé par une amitié si parfaite pour ne pas s'apercevoir que dessous se cachait une bombe prête à exploser ? Il les avait questionnés tour à tour, les invitant boire un café en guise de prétexte, mais à chaque fois ils évitaient le sujet, ou s'énervaient et le jeune homme était obligé de s'excuser et de détourner la conversation. D'un côté il avait toujours eu peur de connaître la vérité, peur que tout soit de sa faute, peur de ne pouvoir rien faire pour arranger les choses, peur que tout ne puisse pas redevenir comme avant. Mais ça le démangeait aussi. Cette situation atroce l'avait empêché de dormir pendant des nuits, il ne se passait pas un jour sans qu'il pense à ses amis. Les voir un à un lui faisait plaisir mais ça le détruisait tout autant. Pourquoi ne pas se revoir tous les cinq ?
Oui. Dans quelques minutes ils seront enfin réunis. Et Matthieu était autant heureux qu'angoissé.
Il se remet à trembler comme une feuille. Il a l'impression d'être un toxico en manque.
- Faut vraiment que j'arrête de stresser pour rien ! Bougonne-t-il.
Soudain quelque sonne et il sursaute. Il pose une main sur sa poitrine, tentant désespérément de calmer son petit cœur affolé. C'est l'heure. Ils arrivent.

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