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- Nous sommes les souvenirs de Charlotte, Antoine, Pierre et Rose qu'il te reste. Mais nous sommes aussi dans ta tête car nous représentons et devons t'aider dans chaque étape de ton deuil. Ne me regarde pas comme ça Matthieu !
- Rose a raison. Antoine est le déni. Moi, dit Charlotte, je suis la colère. Pierre est la dépression et Rose est l'acceptation.
- On était là pour t'aider Matthieu. Il fallait que tu fasses ton deuil.
Matthieu recule en titubant, sous le choc. Ahuri il fixe ses quatre amis, se cogne le dos contre une commode et s'y agrippe lorsque ses jambes se mettent à flancher.
- Je-je ne comprends pas...
- Nous ne sommes jamais allé à cette soirée, dit Rose. Nous n'avons pas pu. Tu étais au volant de la voiture, on rigolait en écoutant de la musique à fond, on était persuadés qu'on allait passer une super soirée, il faisait à peine nuit et tu ne regardais pas trop la route. À un moment une biche est sortie des bois. Tu l'as vue au dernier moment et tu as donné un violent coup de volant. La voiture a tournoyé. On n'a pas eu le temps de crier, de respirer ni même d'avoir peur. Nous avons cogné la végétation de plein fouet. La voiture s'est aplatie sous l'impact comme un vulgaire bout de carton. Nous sommes morts. Sur le coup. Excepté toi. L'airbag t'as sauvé la vie. Tu es tombé dans le coma à cause d'un traumatisme crânien, tu t'es réveillé cinq mois plus tard et ton cerveau a effacé l'accident de ta mémoire. Ce qu'y arrive lors de trop gros choc psychologiques. Tu ne pouvais pas encaisser. Tu n'avais pas la force. Alors tu as essayé d'oublier.
Matthieu se laisse glisser contre la commode et ramène ses genoux contre sa poitrine.
- J-je...
Pierre, en larmes, se met à sa hauteur et pose sa main sur son épaule.
- Rien n'est de ta faute. Ne t'en veux pas. Maintenant il faut juste que tu arrives à faire ton deuil. On a essayé de t'aider, en te donnant des pistes les quatres dernières années mais ça ne fonctionnait pas.
Antoine se joint à lui.
- On ne pouvait pas te le dire. On savait que ça te briserait, que ça te tuerait toi aussi.
Matthieu se met à begayer.
- A-alors je-je vous ai t-tués ?
- Non ! S'exclame Charlotte. Tu n'es pas responsable. 
Matthieu se penche d'un côté et vomit. C'est trop dur. Le choc lui retourne les entrailles. Ses oreilles bourdonnent mais pourtant il les entends lui parler, dans son crâne, leurs voix résonnent, ils sont dans sa tête.
- On veut juste t'aider Matt', dit Rose tendrement.
Le jeune homme se prend la tête entre ses mains et tire sur ses cheveux.
- Sortez. Sortez ! SORTEZ !
Il ferme les yeux, plisse les paupières autant que possible, il veut qu'il s'en aillent, qu'ils le laissent tranquille, il ne veut plus être fou.
- SORTEZ DE MA TÊTE !!!
Quand il ouvre les yeux la porte d'entrée se referme. Ils sont partis. Comme par magie.
Il n'y a plus de manteaux, de bonnets ou d'écharpes dans l'entrée. Les cinq coupes de champagne sont toujours alignées sur le bar, seule une a été remplie. Des morceaux de verre brisé sont répandus sur le sol. Les pizzas sont à peine grignotées. Les bouteilles d'alcool ont bien été bues. Le sang sur le parquet est toujours là, le couteau non loin. Un torchon enroule son poignet. Et un vide extrême a prit la place de son cœur.
Matthieu reste assis par terre, scrutant son appartement sans dessus dessous, quand des flash-backs martèlent son esprit. Des souvenirs morcelés d'un trajet en voiture, d'une musique trop forte, du plastique du volant sous ses paumes, des rires qui frappent les langues, d'une route semi-obscure bordée de pins, d'une lune cachée derrière les nuages, d'une accolade dans le dos, d'une odeur de cigarette puis de deux yeux clairs dans le noir, d'une silhouette trop proche du pare-choc, d'un coup brusque de volant, d'un dérapage, d'une sensation de flottement et d'impuissance et enfin d'un bruit sourd qui explose les tympans, d'un choc contre le torse qui envoie cogner le dossier du siège, d'une portière qui s'écrase, d'un plafond qui se tasse, d'un corps écrabouillé et un vide sans fond dans lequel on se perd longtemps, très longtemps.
Soudain la porte d'entrée s'ouvre et interromp le flot de souvenirs de Matthieu. Il reste inerte au sol et un corps chaud vient le serrer et le bercer.
- Oh mon bébé. Qu'a-tu fais ? Que s'est-il passé ? Et tout ce sang ? C'est le tien ? Oh mon Dieu ! Il faut que j'appelle les pompiers ! Que t'est-il arrivé mon ange ?
- C'est rien Maman. C'est rien. Je crois que j'ai juste oublié de prendre mes médicaments. Mais je vais bien.
- Tu t'es fait du mal ? Pourquoi es-tu dans cet état mon ange ?
- Je me souviens Maman. Ça y est. Je me souviens de tout.

IntemporelOù les histoires vivent. Découvrez maintenant