Dans l'ombre de mon enfance

Divided

"Cours" c'était la seule chose que mon esprit m'ordonnait de faire, courir. Courir à travers les rues de Chicago. Les gens se retournaient sur mon passage, tandis que je bafouillais de brèves excuses a chaque fois que je les heurtais. Elle avait décliné mon offre sans aucune forme d'explication. Elle m'avait tout pris, elle avait tout détruis, et je ne pouvais la laisser s'en aller. On se traquait mutuellement sans jamais se rapprocher.
J'avais réussi a me procurer son adresse en ville, et étais préparée à attendre devant les portes de l'immeuble jusqu'à ce qu'elle daigne en sortir.
Les pièces du puzzle allaient enfin etre réunies.
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Je l'avais vu.
Malgré la distance et les années qui nous avaient séparés, nos visages trahissaient notre parenté. 
Pendant ces 5 ans, nous avions continué à nous jalouser l'une et l'autre sans pour autant vouloir l'avouer.
Elle était venue pour me ramener là-bas prétextant une tante souffrante désireuse de me voir avant l'expiration de son dernier souffle. Mais est-ce vraiment une excuse?

"Tu es partie égoïstement  sans même penser aux personnes qui t'aimaient ou aux conséquences de ta fuite." La voix de Shade résonnait dans ma tête.
Elle n'avait tout d'abord pas dénié m'adresser la parole, puis s'était mise à me reprocher diverse choses. Elle parlait vite, gesticulait tout en faisant des grands pas, mais au fond je la savais terrifiée, perdue, épuisée par une vie qui ne lui avais pas laissé de répit. Elle avait du acquérir en l'espace de quelques semaines la maturité d'une femme de 40 ans son aîné afin de ne pas couler dans l'océan tumultueux qu'était  sa vie. Elle me haïssait pour ma lâcheté tout en enviant ma quiétude et mon bien être. J'avais eu tout ce qu'elle n'avait jamais pu avoir, même en rêve; j'avais des longues listes d'amis, une famille qui m'aimait et m'aidait à avancer dans la vie, et j'avais par dessus tout gardé l'insouciance liée à ma jeunesse. Elle, elle avait été harcelée, isolée, et devait porter sur ses frêles épaules le poids de ce qui avait été autrefois une famille. Elle avait dû arrêter ses études afin de s'occuper de nos parents tandis que moi je me plaignais de devoir étudier.
On avait peut-être le même visage, mais nous n'avions réellement plus rien en commun. Shade avait souffert tandis que moi j'avais eu une vie prospère gaspillant honteusement mes ressources en diverses broutilles. 
Sa colère s'était rapidement étouffée. Elle m'avait supplié de rentrer. Alors que mes lèvres prononçaient un "oui", mon cœur traitre et lâche refusais de quitter la vie paisible et le cocon qu'il avait adopté 5 ans auparavant. 
Petites nous avions l'habitude de plaisanter en disant que nous étions un seul esprit partagé, séparé, entre deux corps similaires, partageant ses qualités et ses défauts. Cette séparation était désormais apparente, nous avions essayé en vain de nous raccrocher à un passé commun, pansant tant bien que mal nos blessures simulant la guérison et le pardon. Pourtant, je restais, au plus profond de moi-même, peu convaincue par nos projets futurs, je refusais de retourner en arrière, de revenir à cet endroit que j'avais quitté une  nuit d'hiver, surtout si c'était pour le retrouver en ruine.