J'adore cet endroit. Ce quartier, cette ambiance. Tellement de gens différents qui se côtoient : punks, emos, junkies, skinheads, gothiques, qu'ils soient gays, lesbiennes, trans ou hétéros, qui fument, boivent et dansent, ensemble ou séparément. Des artistes. Des révolutionnaires.
Vendredi soir. Il doit être presque 20h. Il fait nuit, les terasses des cafés sont remplies, et c'est l'heure où les gens sortent de l'ombre et se rassemblent sur la place. J'ai bu deux bières complètes et puis j'ai un peu piqué dans celles des autres. Je ne sais absolument plus quelle est la quantité d'alcool que j'ai absorbé. Je me sens juste bien. Nous sommes un groupe de 15 ou 16 personnes, des gens que je connais plus ou moins bien, des amis. Pas un n'a au-dessus de la vingtaine. Tous réunis autour de Lou qui nous ambiance avec des morceaux qu'elle joue à la guitare. Elle chante aussi. Très bien. D'autres l'accompagnent parfois, et le groupe reprend en choeur le refrain des chansons les plus connues. La plupart des gens dansent, sauf ceux qui ne tiennent plus debout et qui sont assis, avachis ou même carrément allongés plus ou moins en cercle autour des danseurs. Alex et moi dansons ensemble (disons que moi, je m'agite en rythme).
Je regarde Alex, ma copine. Un peu plus petite que moi, elle porte toujours des larges t-shirts pour cacher ses rondeurs adorables. Ses cheveux, coupés juste en dessous des oreilles, sont teints en violet (depuis seulement une semaine; avant, ils étaient noirs; et encore avant, roses). Ses grands yeux de biche lui donnent un air timide carrément irrésistible, et son sourire en coin, tellement craquant !!! Elle porte un piercing à la lèvre inférieure, qu'elle mordille quand elle est nerveuse. Là, elle ne l'est pas. Elle danse, sourire aux lèvres, ses cheveux valsant autour de sa tête. Si belle.
C'est quand Lou termine une autre chanson de Tryo qu'il me vient une idée. Je m'approche d'elle et lui demande à l'oreille, assez fort pour qu'elle entende au milieu du bruit ambiant :
- Marc Lavoine, tu connais ?
Elle me jette un regard interrogateur.
- Elle a les yeux revolver... je fredonne.
- Bien sûr que je connais ! me coupe-t-elle. Mais pourquoi ?
- Tu sais les accords ?
- Ça doit pas être très compliqué.
Elle exécute deux-trois accords doucement, en marmonnant les notes pour elle-même. Elle fronce les sourcils, l'air concentré, et a la tête baissée vers son instrument ; ses cheveux courts et décolorés lui retombent sur la figure. Elle est belle.
- Ouais, ça devrait aller, dit-elle finalement. Tu chantes?
- Pour elle, oui.
Je désigne du menton Alex, qui me regarde du coin de l'oeil, intriguée. Lou sourit, de son sourire franc et vaguement ironique.
- Ah, je vois. Tu sais que c'est franchement cliché quand même ?
- Ouais. Mais j'aime bien les clichés. Attends, je cherche les paroles.
En quelques secondes, je trouve les paroles complètes sur Internet. Lou commence à jouer, et les gens s'arrêtent et se tournent vers elle, impatients pour ceux qui n'ont pas reconnu, étonnés pour les autres.
Je m'approche d'Alex, et je commence à chanter, avec Lou en seconde voix.
- Un peu spéciale, elle est célibataire
Le visage pâle, les cheveux en arrière
Et j'aime ça...Les yeux d'Alex s'écarquillent. Ceux des autres aussi, peut-être. Je ne sais pas. Je continue de chanter, ondulant doucement, en la regardant droit dans les yeux.
- Elle se dessine sous des jupes fendues
Et je devine des histoires défendues
C'est comme ça
Tellement si belle quand elle sort
Tellement si belle, je l'aime tellement si fort...Je lui envoie un baiser avant d'entamer le refrain.
- Elle a les yeux revolver, elle a le regard qui tue
Elle a tiré la première, m'a touché, c'est foutu,...Et là, d'autres (surtout des filles), reprennent le refrain avec moi. Les gens se remettent à danser, mais doucement, de manière plus ou moins moqueuse. Tout le deuxième couplet se passe comme ça. Alex ne sait plus où se mettre, elle reste immobile malgré Anthony qui pousse sur son épaule en riant, et mon amie Ina qui lui crie : "Mais c'est génial !!!"
- Tellement si femme quand elle mord... Je mime un grognement et aperçoit un très léger sourire sur les lèvres d'Alex. Et je continue.
- Tellement si femme, je l'aime tellement si fort.
Au deuxième refrain, tout le monde reprend en choeur, et je ris de bonheur, parce que même si c'est ringard, même si c'est cliché, c'est un beau moment et une belle chanson et on est tous ensemble et je l'aime.
Je m'avance plus près d'Alex. Je suis tout près lorsqu'elle lève la main et tente de me frapper. Des rires fusent, un "ouais, vas-y !". J'esquive et attrape sa main en souriant, puis saisis ses hanches.
- Excuse-moi pour le choix de la chanson, mais quitte à faire un truc culcul autant le jouer jusqu'au bout, je dis en la rapprochant de moi.
Elle passe ses mains autour de mon cou. Lou entonne le dernier couplet seule.
- T'es en train de me foutre la honte de ma vie, répond Alex, les sourcils froncés. Tellement mignonne.
- Je t'aime, je dis juste, et je pose un baiser sur son front.
- Je te déteste, elle soupire.
Mais je vois un début de sourire au coin de ses lèvres, alors j'insiste.
- Je t'aime.
- Je te parle plus.
- Je t'aime.
- Embrasse moi, elle chuchote.
Et je souris. Victoire ! Et je l'embrasse. Encore. Et encore.
J'entends le dernier refrain. Alex et moi nous balançons doucement en rythme, enlacées front contre front, les yeux dans les yeux. Et pendant tout ce temps, mes lèvres forment les mêmes mots, en boucle : "je t'aime".
La chanson se termine. Des gens crient, applaudissent. Certains demandent déjà une autre chanson, d'autres râlent que c'était de la daube,...
Mais je m'en fous. Je ne les vois plus, je les entends plus. Je ne vois plus qu'Alex, ses lèvres, ses yeux, ses cheveux, son visage, son petit sourire en coin et son regard qui me dit ce qu'elle ne dit pas : "je t'aime".
Et c'est tout ce qui compte.
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Constellation
Random"Le rêve, c'est la roue libre de l'esprit." Pierre Reverdy Quand mon esprit part en roue libre, ça donne ça : une constellation de rêves, de fantasmes, d'idées, de fragments d'une vie imaginaire qui correspond plus ou moins à la mienne ; des choses...