Gigantesque, elle se dressait là, en plein milieu de la mer, dominant les bateaux qui paraissaient n'être que de vulgaires barques d'enfants. Les hommes se raccrochaient à leurs embarcations, à leur seul espoir de survie, si petit, si fragile, devant cette horreur qui leur faisait face. Cette vague, c'était la mort elle-même. Pourquoi venait-elle les chercher ? Ils n'en avaient aucune idée. Seulement, seulement, ils voulaient survivre, laissant les restes de leur instinct animal les commander. Ils pensaient à eux, si jeunes, qui pouvaient faire tant de choses encore. Ils pensaient à leurs familles, leurs amis, qui pleureraient leur mort.
Ce n'était pas la première fois qu'ils avaient affaire à ce genre de vague, aussi dangereuse que fascinante. Non, loin de là. Mais à chaque fois, ils pouvaient s'enfuir, se faire sauver par un autre dont le bateau était en état d'avancer assez rapidement pour ne pas se noyer. Là, ils s'étaient faits surprendre par ce monstre maritime qui allait s'écraser sur eux dans quelques instants. Ils n'avaient même plus peur, en face de leur fin. Juste des pensées nostalgiques à leurs familles qu'ils avaient quittées quelques heures plus tôt dans leur faire d'adieux, au futur qu'ils auraient pu avoir, s'ils avaient plus fait attention, à la vie, si précieuse, dont ils n'avaiet jamais remarqué la vraie valeur jusque-là.
S'ils avaient su... Si seulement ils avaient su, ils auraient fait plus attention à la vie, ils auraient essayé de passer plus de temps avec ceux qu'ils aimaient. Ils ne seraient pas entrain de se noyer sous cette vague qui les faisait sombrer dans les fins fonds de l'océan. Eux qui s'étaient toujours nourris de poisson allaient finalement se faire manger par des poissons. Que d'ironie ! La vie était une joueuse, et se moquait d'eux jusqu'à leur mort.
L'air commençait à leur manquer, certains d'entre eux avaient déjà abandonné l'idée de survivre et ne se débattaient même plus. Loin au-dessus de leurs têtes, leurs barques brisées s'éloignaient vers des lieux inconnus. Aucun de ces pauvres pêcheurs n'allait réussir à conserver la vie, pas un d'entre eux n'allait rentrer chez soi, aucune de leurs familles n'allait survivre, sans leur père, frère, ou fils pour les nourrir. Ils le savaient tous pertinemment, mais certains continuaient à lutter, dans un réflexe hérité de leurs ancêtres de la préhistoire dont ils n'avaient jamais réellement réalisé l'existence, accélérant le processus de noyade qui leur oterait la vie.
De son atelier, il vivait ces instants. Ses yeux s'écarquillaient à la vue de l'immense vague, la peur le tétanisait. Puis l'horrible sensation de manque d'air et d'eau salée le torturaient. Mais il ne mourait pas. Jamais. Seul, dans cette salle à l'odeur d'encre séchée, il voyait des milliers de scènes différentes par jour, dont il décidait le déroulement. Il lui suffisait de choisir un instant, et un long moment plus tard, ce moment existait en dehors de son monde.
Tout le monde était mort, maintenant. Et il ne restait que lui, encore une fois. Seul, quelle que soit la fin. Que tout le monde soit heureux ou en deuil, il se retrouvait seul à chaque fois, et là ne faisait pas exeption. Mais il n'irait pas voir les familles de ces malheureux. Il resterait dans sa maison et décrirait la scène à sa manière, sans trop détailler les personnages, pour que l'on ne sache pas qui ils étaient. Et aussi parce qu'il ne se souvenait pas vraiment de leurs traits, bien qu'il soit responsable de tout. De leur vie, de leur mort. Puis quand il aurait fini, cette histoire irait rejoindre les autres, et il oublierait.
Maintenant, sous ce ciel sans aucun nuage, il ne restait rien de cette bataille contre la mort qui venait de se terminer. Aucune vague trop grande, aucun bout de vêtement, aucun morceau de barque. Tout avait disparu dans les profondeurs de cette mer qui semblait si calme. Et loin, très loin de là, un homme fixait ce paysage d'un air l'as.
Il avait toujours fait ça, ce vieil homme. Choisir une image dans les milliards qui se succédaient indéfiniment dans son esprit et la dessiner, puis l'oublier, comme s'il avait appuyé sur le bouton de pause et imprimé l'image, et pour finir, on avait effacé l'historique. Sauf qu'il ajoutait des sentiments, dans cette œuvre d'art qui naissait sous ses pinceaux. Et que l'histoire restait vivante dans ces toiles. Ce n'était pas qu'une simple image choisie au hasard. C'était un ensemble de souvenirs, de pensée, d'images, de sentiments, d'émotions, d'humanité. Et c'était d'ailleurs parce qu'il disait pouvoir faire tenir toutes ces choses dans une œuvre que son surnom était plus utilisé que son nom par ses voisins. Le vieux fou de dessin, c'était ainsi qu'était surnommé l'homme qui tirait les ficelles de cette tragique histoire.
Voilà, fin de l'histoire, j'espère que ça vous a plu !
Voici le défi qui m'a été proposé : "Choisis une œuvre d'art de ton choix et fais-en quelque chose[...] le tout, de façon littéraire. " Shinrichard
Cette [courte] nouvelle est écrite à partir de la gravure que j'ai mis en média, "La Grande Vague De Kanagawa" de Katsushika Hokusai, un des plus grands peintres japonais.
Bonne journée et à une prochaine nouvelle !
VOUS LISEZ
Nouvelles
Short StoryDes histoires, des raisonnements bizarres, des suites de mots dans tous les sens ...