L'ennui silencieux d'un spectre félin

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J'aurais pu naître panthère. J'aurais pu. J'aurais pu naître d'autres parents. J'aurais pu naître à une autre époque. Ne pas être traqué. Mais j'aime mes parents. Si j'étais une panthère, j'aurais pu courir plus loin, plus vite, être plus heureux, j'aurais pu fuir. Ne pas être cette chose que l'on hait et craint, cette chose effrayante à laquelle on ne fait allusion que par mots couverts en jetant des coups d'œil autour de soi de peur qu'elle sache que l'on parle d'elle. Mais je ne suis pas une panthère.

Ébloui, je cligne les yeux une fois, puis deux, trois, et ainsi de suite jusqu'à m'habituer à ce soleil trop lumineux et au sable qui le reflète. J'avance de quelques pas, fatigué par le somme que je me suis permis de faire, et remarque qu'autour de moi, les cadavres jonchent le sol. Je retiens un sourire amer et me dis que mon monde est fauve, et la vie ironique.

Le temps passe, je ne sais plus quoi faire. Rien. Personne pour me dire quoi que ce soit. Rien. Alors que l'on m'a toujours traîté comme une marionnette - seulement parce que je suis un félin - bien que mes besoins soient mis en priorité. Tout n'était qu'une interface entre moi, qui faisait le sourd quand on me parlait du monde, et une chose que je n'identifie pas, une peur sans nom, qui pourtant me paralyse dès qu'elle apparaît.

Je souffle, ne sachant que faire. Je ne sais pas où je suis, je ne sais plus où j'en suis de ma pauvre vie sans sens. Un pauvre petit, un peu trop bagarreur qui a eu de la chance. Ou un idiot se battant par obligation pour quelque chose d'inconnu tout en craignant cette chose. Mes pas s'arrêtent. Je ne sais plus. Que suis-je, pour cette planète, pour cet univers. Rien. Un simple morceau sans nom. Qui suis-je. Un être humain. Rien de spécial. Mes pensées se mêlent les unes entre elles, se mêlent aux souvenirs, je commence à être fatigué. Je me surprend à me demander si je n'étais pas déjà trop fatigué depuis le départ et que cette nouvelle sensation de fatigue n'est qu'une illusion et me dis que le sable grisâtre qui s'éteint sans obstacle jusqu'à l'horizon m'a finalement rendu fou. Combien de personnes ont donc tué cet assemblage d'ennui, de fatigue, de faim, de silence et de solitude qui semble grandir en moi depuis que je suis là ? Mes yeux tombent peu à peu, je sens que je vais m'endormir pour faire, encore une fois, un cauchemar. Si seulement j'avais quelque chose à faire, si je pouvais m'occuper. Je prie un dieu auquel je ne crois plus, je prie tout ce qui existe ou n'existe pas, abstrait ou concret, de faire vivre. D'arrêter ces choses​ qui me tuent peu à peu tous les jours, un peu plus vite que le temps, un peu plus désagréablement que le temps, mais sans que je ne perçoive de grande différence, tout en sachant que ce sera vain, encore une fois.

Je finis par me résoudre à dormir, pour faire passer le temps. Je ferme les yeux résolument, relâche mes muscles, comme un mort. Je reste là, allongé, sans bouger, espérant que Morphée vienne m'enlever aussi. Le soleil me brule le visage, le sable me gratte et semble aspirer ma peau. Morphée n'a donc aucunement intention de venir me voir. Je réouvre les yeux pour constater que l'angle et longueur de mon ombre sont indentique que plus tôt, quand j'ai décidé de dormir. Cette décision aura été inutile. Je me rallonge sur le dos, cette fois-ci, et regarde le ciel bleu, essayant d'imaginer des choses à partir des nuages. Mon imagination semble alors disparaître, et les formes blanchâtres décorant la voute bleue me semblent informes.

Un léger soupir vient déranger le règne calme et silencieux du désert, je cupabilise. Je voudrais être mort, me surpend-je à penser. Je me demande ce que ça fait d'être mort, essaie d'imaginer ma mort. Mais une impression de vide apparaît après deux secondes et je me sens trop rapidement lassé de cette activité. Le temps semble s'être arrêté, le soleil qui me brûle la peau semble plutôt vouloir la carboniser. Mon esprit recommence à s'égarer dans les brumes de l'ennui et je fronce les sourcils avant de refermer une nouvelle fois mes yeux. Je réouvre ces derniers pour la énième fois, mêlant un soupir agacé à mon geste. J'aimerais tellement être une panthère…

Je me relève une bonne fois pour toutes, décidé à marcher un minimum. Peut-être que je trouverai quelque chose à manger. Ou à boire, ce serait bien ; je ne tiens pas spécialement à mourir de faim et de soif dans un désert. Mes pas me portent, je ne connais pas l'endroit où je suis, mais j'ai l'impression d'avoir déjà vu ce paysage. Normal, c'est le désert. Ici et tout autour de moi, jusqu'à l'horizon et même plus loin. Quand je vois des silhouettes se déplacer dans cette étendue infinie, je me demande si je ne rêve pas. Mais non. Les trois hommes s'approchent, ils pointent leurs armes vers moi, m'invitant à lever les mains, le temps de vérifier que je ne suis pas armé. Je jette mon sac et le contenu de mes poches à terre. Un air interrigatif apparaît sur leurs visages. Mon sort dépendra de moi. Pourtant, je leur montre simplement un sigle sur mon haut. Cinq lettres joliment cousues décorées de fauves. FELIN. Les hommes me regardent alors, l'air de ne pas savoir de quoi je parle. Ennemis ou civils, comprends-je. Un léger sourire se peint sur mon visage, mes prochains mots seront les derniers.
- Fantassin à Équipements et Liaisons INtégrés, expliqué-je.
Un coup de feu vient me percuter sans bruit, laissant le silence que j'ai moi-même brisé plus tôt reprendre le contrôle du lieu ; ils ont compris. Je me vois m'écrouler sur le sol sec, je sais que je suis mort. Je suis définitivement fait pour être l'être haï et craint, le monstre dont on parle à mots couverts. Pire que les FELINs, les spectres répondent parfaitement à la description. 



Texte pour le concours de YakuoYokai : L'ennui Silencieux D'un Spectre Félin. Il fait très exactement 1025 mots.

Pour l'écrire, je suis allée rechercher chacun des mots du thème pour trouver une manière de détourner le sujet, et j'ai trouvé : Félin. N'empêche que j'ai pas mal déformé sa vie, je pense, à ce pauvre petit fantassin. Mais bref, je suis assez fière de ce texte et je me suis beaucoup amusée à l'écrire merci de votre lecture et bonne soirée !

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