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Chapitre 1 - Big girl don't cry

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« La Grosse », « Bouboule », « Vache à lait », « L'énorme ». Au fil du temps et des années, on m'a donné bien des noms aussi divers que variés mais je n'ai retenu que ceux qui étaient récurrents. Ceux que j'ai gardés. Ceux qui me collent à la peau comme un vieux chewing-gum colle sous la semelle de vos chaussures. Oui, encore aujourd'hui, on m'appelle encore par ces termes-là.

Tout ça parce que je suis « grosse ». Aussi loin que je puisse m'en souvenir, je n'ai jamais été la fille avec un corps parfait, une plastique de rêve, je suis née j'avais déjà une bouée intégrée à mon ventre. Pratique. Je suis née comme ça, « ronde ».

Je suis née différente des autres. Ces autres qui rentrent dans un 36 et qui pleurent quand elles atteignent le 38 en disant « Que je suis grosse ! » Ces autres qui peuvent s'exhiber sans mal à la plage en bikini alors que moi, si je mets un bikini, il disparait sous mes bourrelets façon « armoire magique » à la Narnia. Oui, je suis grosse.

Et non, je ne l'assume pas.

Je veux être comme elles. Comme toutes ces autres. Je veux être mince, belle et jolie. Je veux être la fille qui plaît. C'est ridicule n'est-ce pas ? On vit dans une société où les gens sont de plus en plus ouverts d'esprits donc on devrait pouvoir se trouver une place et ce peu importe notre physique. Mais ce n'est pas le cas. Aujourd'hui encore, le pire cauchemar d'un enfant en surpoids se trouve dans la cour de récré de l'école. Parce que les enfants sont des monstres et les tutos beautés sur internet leurs usines.

Alors, je sais, vous vous dites sûrement « ouais c'est facile de se moquer et de critiquer alors qu'il y a des choses très bien », et je suis d'accord, après tout je n'y connais rien en maquillage et en beauté. Je confonds les crayons, ne sait pas faire la différence entre les teintes de rouges à lèvres, c'est à peine si je sais mettre du vernis sur mes ongles sans qu'ils ne ressemblent pour autant à une œuvre d'art. Parce que oui, je déborde. Beaucoup.

Je déborde de partout.

Mais le point n'est pas là. Le point est qu'avec internet maintenant, tout le monde se ressemble. Les filles achètent les mêmes produits. En font étalage de la même façon et finissent par toutes se ressembler.

À tel point que des critères « physiques » sont nés. Et que l'on ne me mente pas en me disant le contraire. Parce que je le sais, je le sais que trop bien.

Aujourd'hui la guerre est à la popularité. A la recherche de reconnaissance et de l'estime de soi. Aujourd'hui, la guerre dans la cour de récré est devenue sans merci.

 - Alex ! Si tu ne te dépêches pas, tu vas être en retard ! 

Ah oui. J'oubliais. Les cours. Le lycée. Je ne suis pas une de ces enfants rebelles, qui, parce que l'on se moque d'elle continuellement depuis des années, en vient à fuir l'établissement et à détester le monde. Ce n'est pas le cas. Tous les jours je me lève et tous les jours j'y vais.

J'y vais avec cette image du petit mouton que l'on amène à l'abattoir. J'y vais en sachant que je vais me faire bouffer.

Mais j'ai l'habitude ! Pas de panique.

Je pense que je suis arrivée à un stade où l'on passe outre. Où l'on joue les gros durs. Les cœurs de pierre. Où l'on se dit « ça ne me touchera plus ! ». Enfin, j'aimerais pouvoir avoir ce rôle. Mais là encore, c'est une toute autre histoire.

- Tu ne prends pas ton petit-déjeuner aujourd'hui ?

- Ne t'inquiète pas pour moi Olivia, je prendrais un truc à la cafèt' du lycée quand je serais arrivée.

- D'accord. Tu rentres à quelle heure ce soir ? Non parce que j'ai encore un gala de charité à donner et...

- Je t'assure que je suis une grande fille ahaha ! Vas-y. Je pense que j'arriverais à survivre. 

Du moins, je l'espère.

Olivia est une sorte de mère de substitution. Ma mère est morte quand j'étais petite et mon père...Eh bien disons que je n'ai pas de nouvelles de lui depuis des années. Il m'a déposé un jour devant la porte d'Olivia en me disant que j'allais avoir une « vie bien meilleure » et il est parti. J'avais six ans, je crois.

Ouais...C'était y'a longtemps maintenant et je ne sais toujours pas ce que je ressens à son égard quand je repense à tout ça. Je ne suis pas malheureuse, je veux dire j'ai un toit, quelqu'un qui m'aide et me veille tous les jours quand j'ai besoin...mais au fond de moi, j'ai un trou. Un vide.

Je sors de la maison, écouteurs dans les oreilles, m'enfermant dans ma bulle. En fait, la musique est mon seul rempart contre les moqueries. Ça me permet de les éviter d'une certaine façon même s'il est indéniable que dès que je ferais un pas dans le bus, je sentirais quelques regards sur moi.

Dont celui de Savannah.

Savannah. Je n'ai pas de mots pour décrire le genre d'individu qu'elle est. Encore faut-il qu'elle soit humaine. Savannah est un peu un « idéal » féminin. Le genre de fille toujours belle, jolie, bien coiffée et maquillée. Le genre qui plait. Le genre qui attire le regard. Le genre parfait, mais à l'extérieur seulement.

Le genre qui te dit :

 - Alors, bouboule ? On vient à l'école en pyjama aujourd'hui ? 

Oui...Le genre de personnage tout à fait détestable. Mais dans chaque histoire, il y a une fille comme ça. Il FAUT qu'il y ait une fille comme ça. Sinon ma vie serait trop simple. Sans Savannah, je pense que j'aurais eu beaucoup moins de problèmes à traverser.

Alors, je la gratifie d'un sourire et continue mon avancée jusqu'au fond. D'ailleurs quand je m'assois, j'aperçois mon reflet dans la vitre du bus et je me suis surprise à me détailler. Encore un jean troué et un tee-shirt bleu trois fois trop grand pour moi. Une queue de cheval. Un air de chiot abattu.

Des fois je me dis « Je ressemble vraiment à ça ? ». Je pensais que ce genre d'accoutrement me permettrait de devenir « invisible ». Je pensais sincèrement qu'au lycée, j'allais acquérir cette compétence. J'en rêvais. Je voulais être passe-partout, normale, banale, mais j'ai oublié. Oublié que j'avais ma bouée intégrée, celle qui me dit « Euh ouais, mais non...Alex faut que t'arrêtes de te venger sur les choux à la crème ». Mais c'est tellement bon les choux à la crème. Je suis grosse et mon pêché mignon c'est la bouffe quoi. Je ne pouvais pas être accro aux légumes ou fan de sport ? C'était trop demandé cette option à ma conception là ?! Je demandais juste ça...Juste ça.

Pourquoi pour moi, toutes les fées ne se sont pas penchées sur mon berceau ?

Miss Kilos - Parole de grosseOù les histoires vivent. Découvrez maintenant