I

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- Pourquoi tu lui parles comme ça ? Tu trouves que c'est une façon de parler à une femme ? Enfin, je dis "femme" mais aucun être vivant ne devrait être traité de la sorte. Alors, je répète ma question : pourquoi tu lui parles comme ça ?

Ses yeux obscurs me fixèrent aussitôt. Il se focalisa sur moi l'espace de quelques secondes, me jaugea et, avec un rictus malsain, son attention se reporta sur Lisa, non sans me cracher un agréable "Toi, la gouine, ferme ta gueule".

L'esprit engourdi par ces mots qui me blessaient plus qu'ils ne l'auraient dû, je ne réagis que trop tard. Sous mes yeux impuissants, sa main s'envola avant de s'abattre à plusieurs reprises sur le visage de la jolie blonde, sans que je n'aie le courage de m'interposer. Le claquement de sa peau contre la sienne résonna entre les quatre murs du salon.

Lorsque le silence fut à nouveau maître des lieux, que les sinistres coups eurent cesser, je m'enquis :
- Pourquoi tu te conduis comme ça ?
Aucune réponse. J'insistai.
- Pourquoi tu te permets de la frapper ?
- Qu'est-ce que ça peut te foutre ?
- Lisa, il est toujours comme toi avec toi ?

La jeune femme, d'habitude si charismatique, tentait d'effacer sa présence. Elle s'était recroquevillée dans un coin de la pièce, tâchant de se faire oublier. Ma question flotta dans l'atmosphère suffocante suffisament longtemps pour que je sois persuadée qu'elle n'y répondrait pas, puis, d'une voix craintive que je ne lui connaissais pas, elle bégaya :
- Non… Bien sûr que non… C'est juste que… Que j-je l'ai énervé là…

Sa phrase me stupéfia tant ce qu'elle supposait implicitement allait à l'encontre des grands principes que Lisa prônait lorsque nous étions toutes les deux. La confiance et l'assurance, qu'elle dégageait quand elle se déplaçait de sa démarche féline dans le café où nousnous retrouvions d'ordinaire, semblaient avoir disparues pour laisser place à la crainte. Crainte, sentiment que je n'avais encore jamais vu émaner d'elle. Et pour cause, elle était une femme fière -peut-être trop- qui s'affirmait courageuse, battante, prête à lutter contre des inégalités qui la répugnaient au plus haut point. Les différences de traitement des deux sexes m'avaient toujours paru être un fléau qu'elle ne tolérerait pas.

Cependant, je m'étais visiblement trompée. Ce qui, sans  vouloir donner une impression de prétention, m'arrivait rarement quand il s'agissait de comprendre le fonctionnement mental des gens.
Pourtant, dans le cas présent, je ne pouvais que constater mon erreur.
Pas une seconde je n'avais envisagé la mauvaise estime d'elle-même que devait avoir Lisa pour se laisser marcher sur les pieds de la sorte. Elle sous-entendait qu'en m'invitant pour la première fois chez elle depuis des années, elle avait enfreint une loi qui régissait l'appartement qu'elle partageait avec lui. Elle l'avait énervé et acceptait de recevoir une correction en conséquence.
Comment un tel fossé avait-il pu se créer entre les deux facettes que Lisa me présentait ?

Je soupirai, désemparée face à la complexe situation et indécise quant à la marche à suivre pour extirper la belle blonde de ce nauséabond bourbier. Je m'apprêtais à me diriger vers elle, afin de la prendre dans mes bras, de l'enlacer, de la remettre sur pieds après l'impact retentissant des claques qu'il lui avait infligé. Toutefois, il sembla en avoir décidé autrement. Il s'interposa entre son corps tramblotant et moi.

- De quel droit tu te mêles de ce qui ne te regarde pas ?
- Évidemment que ça me regarde ! Tu frappes ma pote !
- Elle a fait une connerie, je la punis. Je ne vois pas où est le problème.
- Tu ne vois pas où est le problème ? Elle a fait une connerie ? Mais d'où ? Tu es con comme une bite ou bien ?
- Tu me parles comment toi ?
- Comme tu le mérites. Je n'accorde pas mon respect aux gens de ton espèce. Tu es ignoble et tu n'as aucun droit sur elle.
- C'est une femme.

Sa misogynie me saisit à la gorge, si bien que je crus défaillir devant une telle vague de profonde débilité.

- Mais tu t'entends ?! rugis-je, hors de moi.

Ses yeux longèrent mon corps et il retroussa sa lèvre supérieure en un rictus vicieux. Un long frisson remonta le long de mon échine alors qu'il s'avançait vers moi. Malgré moi, je reculai. Je refusais de lui exposer ma crainte, mais mon instinct de survie me contraignit à battre en retraite.

- Tu as peur ?
- Non.
- Pourquoi tu recules ?
- Je ne recule pas.
- Tu mens.

Un sourire carnassier dévoila ses blanches dents.

- Tu admets toi-même que c'est normal pour une femme d'avoir peur de l'homme.
- Je n'ai pas peur.
- Je le vois dans tes yeux.
- Arrête.
- Tu es faible. Vous êtes faibles.
- C'est faux !
- Les femmes sont des êtres inférieurs, que tu l'acceptes ou non. C'est comme ça.

Le gloussement qui conclut sa phrase me glaça le sang, coupa mon désir de répliquer. Peu importe ce que je pourrais rétorquer, impossible d'effacer ces idées rétrogrades qui rongeaient son âme.
Abandonnant la lutte idéologique que je ne pourrais remporter, je changeai d'angle d'attaque et m'adressai directement à Lisa.

- Lisa, viens avec moi. On s'en va d'ici.

Sous le regard profondément amusé du monstre, je m'accroupis auprès d'elle. Mon bras se glissa sous le sien et, d'un mouvement doux, je caressai son visage tuméfié. Elle grimaça lorsque mes doigts effleurèrent ces hématomes bleuissant à vue d'oeil.

- Viens, lève-toi. On s'en va.

Elle lança un regard par dessus mon épaule et une expression horrifiée s'afficha sur ses traits délicats. Je n'eus pas le temps de me retourner qu'une main, qui ne pouvait appartenir qu'à lui, empoigna ma chevelure. Il me força à me redresser, à recevoir le flot d'injures qu'il proféra.

- Pauvre trainée. Tu ne vois pas que tu t'incrustes dans notre vie privée ? Ta pote, comme tu dis, c'est une salope. Toi aussi. Vous êtes toutes pareilles. Et elle aime que je la punisse. Elle ne mérite que ça. Il faut bien qu'on vous apprenne les bonnes manières, à vous, bande de chiennes.

La poigne avec laquelle il agrippait mes cheveux, m'arracha un gémissement de douleur. Ce à quoi il répondit par un rire, tout aussi ignoble que ceux qui avaient précédés.
Focalisée sur mon cuir chevelu inflammé, je ne vis pas Lisa se lever. Ce ne fut que quand sa main se posa sur ma joue, parfait reflet de mon geste, que je décelai sa présence à mes côtés.

- Chae… Tu ferais mieux d'y aller.
- Écoute-la. Je pense que c'est mieux pour toi.

Je voulus protester, mais toutes mes velléités d'opposition demeurèrent bloquées au fond de ma gorge. Les yeux larmoyants de la belle blonde fendirent mon coeur et, impuissante en l'état, je me résolus.
Quitter ces lieux revenait certes à abandonner cet être si cher à mes yeux. Néanmoins, là résidait peut-être ma seule chance de la sauver.

- D'accord.
- Tu comprends enfin. C'est bien, un premier pas vers la soumission.

Je pinçai mes lèvres afin de ne pas m'emporter, avant de relever le menton. Mon dernier regard se porta sur Lisa, qui m'accompagna jusqu'à la porte.

Dans l'embrasure de la porte, juste avant que celle-ci ne se close définitivement, je l'aperçus saisir violemment les poignets de la douce femme et la plaquer contre un mur.

La bouche sèche, je me retrouvai coincée, incapable de venir en aide à celle qui comptait tant pour moi. Mon coeur battait à tout rompre, j'haletai et une vague de larmes me submergea tandis que je descendais les escaliers de l'immeuble.

Toutes sortes d'interrogations virevoltaient dans mon crâne. Mon cerveau, désormais obnubilé par ces événements, fonctionnait à plein régime.
Comment la sortir de là ? Et comment a-t-elle fini par se laisser dominer ainsi ?
Je secouai la tête pour faire cesser ce brouhaha mental et sortis du bâtiment, déterminée à ne pas en rester là.

One More Day - Lisa & RoséOù les histoires vivent. Découvrez maintenant