Ma gorge se serra alors que je tambourinais à la porte de Lisa.
Il n'était pas sept heures et j'espérais du plus profond de mon être que son absence de réponse était uniquement dûe à l'horaire matinal.
Soudain, j'entendis un bruit. De l'autre côté du battant de bois sombre se déplaçait quelqu'un. Les bruits de pas étaient irréguliers et permettaient à mon imagination de s'engager sur la piste du réveil de ma douce blonde.
Mais tous mes voeux s'effritèrent lorsque la poignée s'abaissa violemment, trop violemment pour les petites mains de Lisa. Et ils s'évaporèrent complètement quand la porte s'ouvrit, dévoilant un visage masculin.
- Qu'est-ce que tu fous là ?
- Où est Lisa ?
- Elle dort. Fous-lui la paix.
- Je veux la voir.
- Je te dis qu'elle dort.
- Je te crois pas. Laisse-moi rentrer.
- Non.
- Pousse-toi, putain !De ses épaules imposantes, il bloquait le passage. Ses traits durs cachaient un intérieur vicié; ses prunelles obscures dégageaient une haine dont je n'avais jamais été témoin auparavant.
Je tentai de le pousser, une main ferme sur son bras. Mon minuscule corps de femme ne fit pas le poids fasse à sa gigantesque carcasse.- Tu pars.
- Non. Je dois la voir, je veux pas la laisser avec toi.
- Casse-toi.
- Me parle pas comme ça.
- Arrête de rester devant ma porte.Le désespoir, mêlé à une impuissante fureur, enfla dans mes poumons et, dans un mouvement voulu vif, je me faufilai sous son bras. Il n'eut pas le temps de réagir que je me précipitai déjà en direction du canapé où Lisa était allongée.
Dos à moi, elle ne bougeait pas d'un iota. Cette constation m'alarma d'autant plus que mon contact sur son épaule ne lui fit pas esquisser le moindre mouvement.Il s'approchait. Ses pas lourds résonnaient dans la pièce. Avec le recul, ma mémoire avait sans aucun doute rendu la scène bien plus dramatique qu'elle ne l'avait été, mais je ne pouvais relater les faits d'une autre manière que celle-ci.
- Je t'ai dit de partir.
- Sinon quoi ?
- C'est mon dernier avertissement.Ses yeux de boeuf me fixaient avec insistance, comme pour appuyer sa menace. Il respirait lentement, ses inspirations rythmaient l'angoissant silence qui m'étreingnait les cordes vocales. Ces dernières souffraient tellement que mes paroles ne furent prononcées que dans un maigre souffle.
- Lisa, je t'en prie... Lève-toi et partons.
Les paumes plaquées sur son épaule, je la secouai tendrement, néanmoins vigoureusement, avec l'espoir infime qu'elle sorte de son mutisme.
Elle ne dit pas un mot. Pas une syllabe ne passa ses lèvres. Et pourtant, le discours qu'elle eut ce jour-là restera gravé à jamais dans ma mémoire.
Le tissu recouvrant le sofa bruissa sous le poids de la blonde lorsqu'elle se retourna. Enfin, son visage m'apparut, et je découvris une myriade d'hématomes qui coloraient sa peau laiteuse. Mon coeur s'emballa sous ma colère. Plus que de la colère même, celle-ci s'était muée en une détestation sans précédent à l'égard de cette bête immonde.
Il se rapprochait de sa démarche éléphantesque, et je crus déceler sur ses lèvres un sourire fier, victorieux.Les pupilles de Lisa rencontrèrent les miennes.
J'y lus tout ce qu'elle ne m'avait jamais dit. Sans une parole, elle me transmit des mois de souffrance silencieuse, d'une accablante douleur. Je compris. Je compris tout et je n'eus plus de discussion sur ce sujet avec elle, afin de ne pas rouvrir cette plaie qui avait mis des années à se cicatriser et qui ne le serait jamais totalement.
Elle me suppliait de fuir. Je le voyais dans ses iris humides, ses sourcils froncés, ses lèvres entrouvertes. Elle me suppliait de fuir, de la laisser, de ne pas subir ce qui était devenu son quotidien.Je refusai de l'abandonner ici. Maintenant qu'elle avait éclairé ma vision sur sa réalité, je refusai de l'abandonner.
Pourtant, j'y fus contrainte.
Ses phalanges s'enroulèrent autour de mon col, m'attirèrent vers la sortie. J'avais beau me débattre de toute mon âme, rien n'y fis. Il me jeta sur le palier et je me retrouvai une fois de plus devant cette porte close, abattue.
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One More Day - Lisa & Rosé
FanfictionSes grands yeux noirs me fixèrent, m'implorèrent silencieusement de partir. De fuir. Ce qu'elle était dans l'incapacité de faire.