Comment avais-je pu ignorer cela ?
Tout en gravissant les quelques marches de mon perron, je me maudissais de ne m'être rendue compte de rien. Je pensais la connaître et je m'étais trompée sur toute la ligne.
Une incommensurable culpabilité étreingnait mes entrailles alors que la scène d'horreur défilait encore dans ma tête.
Je m'assis sur mon canapé, me plaçai en tailleur et, mes mains de part et d'autre de mes joues gelées par la brise extérieure, me plongeai dans mes pensées. Je récapitulai chaque instant passé en sa compagnie, chaque mot qu'elle aurait prononcé et qui aurait traduit ce mal-être sous-jacent.
Depuis notre rencontre des années auparavant, Lisa s'était toujours affichée comme une jeune femme vive, bavarde, espiègle. L'exact opposé de la personne que j'avais découverte aujourd'hui.
La première fois que je l'avais vue, elle portait un long manteau noir. Seules ces deux immenses prunelles sombres, hypnotiques, dépassaient de son col.
Sa personnalité flamboyante m'avait attirée comme un phare et je m'étais accrochée à elle dans la tempête qui avait secouée ma vie.Je réalisais maintenant que je m'étais renfermée sur ma douleur sans tenter d'inverser nos positions. Elle feignait si bien une existence parfaite et paisible que je n'avais pas saisi l'immensité de la peine qui devait la ronger. Bon dieu que j'avais été égoïste ! Et ce constat ne me poussait qu'à me haïr plus que je ne le faisais déjà.
Cependant, j'avais conscience que je ne pouvais pas me rejeter la faute sur le dos. Lisa avait clôturé son espace personnel de manière à ce que personne ne le pénètre et ne découvre l'affreuse réalité. Elle prenait toujours garde à gommer la moindre aspérité pour ne pas y accrocher l'attention de qui que ce soit. Jamais elle ne m'avait conduite chez elle, jamais je n'avais rencontré cet homme. Cela aurait peut-être, voire sans aucun doute, dû me mettre la puce à l'oreille, mais Lisa semblait posséder un incroyable don d'actrice pour ainsi esquiver chaque possibilité de confrontation.
À présent que cette anomalie était apparue, l'évidence me sautait au visage. Elle avait veillé à ce que ses deux vies, ses deux personnalités ne soient pas contraintes de se rencontrer.Je ne pouvais que la plaindre. Toutefois, je ne parvenais pas à comprendre ce qu'il se tramait dans son petit crâne. Comment acceptait-elle d'être traitée de la sorte ?
Le cerveau embrumé, incapable de prendre le moindre recul sur la situation, je me tournai vers l'outil qui pourrait m'apporter une réponse : Google. Maladroitement, tant moralement que physiquement, je me lançais dans une recherche sur la psychologie des femmes battues.
Parce qu'il faut appeler un chat un chat : Lisa était une femme battue.La myriade de mots qu'offrait le moteur de recherche me hapa des heures durant. Tant d'informations me laissèrent perplexe. Ma culpabilité n'avait cessé d'enfler au fil de ma lecture, mais je tentais de la pousser dans un coin. Car ce qui méritait l'entière attention n'était pas ma sottise.
Non. Il fallait parler des alarmants symptômes de Lisa.Découvrir de nombreux sites qui décrivaient le même comportement me fit froid dans le dos. Le phénomène était présent, pourtant je n'avais rien vu. Une énième fois, je chassai ces détestables remords d'un mouvement de tête, afin de lister les causes de ce dit comportement.
Tout d'abord, une faible confiance en soi.
En effet, je ne pouvais que cocher mentalement ce fait. La jolie blonde avait depuis que je la connaissais, soit de très longs mois, une estime d'elle-même peu développée. Cependant, et je devais être décidément aveugle pour ne pas avoir détecter toutes ces signaux d'alerte, j'avais cru qu'il n'y avait là rien d'inquiétant. Comme à mon égoïste habitude, j'avais ramené à moi la situation : moi non plus je n'avais pas confiance en moi, moi non plus personne ne s'inquiètait pour moi, alors pourquoi, bon dieu, aurais-je tenté de venir en aide à mon amie ?
Ma stupidité me donnait envie de cogner ma boîte crânienne sur les murs.Ensuite, on observait généralement une tendance à la dépendance. Quelle qu'elle soit. Et une fois encore, je ne pouvais faire autre chose que d'acquiescer.
Je l'avais rencontrée lorsqu'elle sortait tout juste d'une cure de désintoxication. Elle avait passé sous silence un pan entier de son existence, mais à demi-mot, elle m'avait avoué son addiction à l'alcool.
Et les articles que je lisais soulignaient ce point. Une personne ayant été dépendante d'une substance quelconque aura toujours des penchants pour ce genre de relations.
En réalité, je ne savais comment interpréter ce genre de données.De peur de m'enfoncer dans mes incompréhensions, je passais au point suivant, le dernier : un passé de maltraitance.
Ce point me glaça le sang un peu plus, dans la mesure où mon hémoglobine devait être figée depuis déjà de longues minutes. Je n'osais imaginer ce qu'avait enduré ma belle Lisa.
Parce qu'ils avançaient avec certitude qu'il est courant de reproduire le modèle familial. Témoin de violence dès son plus jeune âge, elle aurait intégré cela comme quelque chose de normal. Et cette idée me révoltait.Désemparée, j'hésitais sur la meilleure façon de la sortir de cet immense bourbier dans lequel elle s'était plongée. L'ombre menaçante de mes potentiels faux pas me suivait et me paralysait. La moindre de mes initiatives mourrait dans l'oeuf, étouffé par l'angoisse.
Pourtant, il fallait que j'agisse.
Demain, dès que le soleil se lèverait, je me rendrais chez elle pour prendre de ses nouvelles.
En espérant que celles-ci soient bonnes.
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One More Day - Lisa & Rosé
FanfictionSes grands yeux noirs me fixèrent, m'implorèrent silencieusement de partir. De fuir. Ce qu'elle était dans l'incapacité de faire.