Assise à l'écart, dans les jardins de Versailles, Emmanuelle lisait un livre. Elle était fascinée par ces auteurs des Lumières et ne se lassait pas d'apprendre leurs idées. Profitant de l'ombrage d'un bel arbre, les jupes de sa robe bleue s'étalant autour d'elle, la journée était radieuse. L'été était encore présent, bien que cela fut la mi-septembre. Depuis le début de l'été, elle avait revu de nombreuses fois le beau diplomate russe et ils discutaient ensembles cependant, elle ne pouvait dire qu'elle était homme et fut son amant. Soudainement, une ombre apparu sur ses pages et elle leva les yeux, les écarquillant en voyant qui se trouvait là. Emmanuelle se releva précipitamment et s'inclina comme elle le pu. Elle ne dit rien car cette dame ne lui ayant encore jamais parlé, elle n'était pas autorisée à le faire.
- Ainsi, voici celle que l'on dit plus jolie que les fleurs, possédant leur douceur et leur parfum. Fraîche comme le printemps mais si solide qu'elle refuse tout homme venu à elle.
- Je... Je ne me sens pas prête à accepter un homme, Madame.
- Pour quelle raison? Vous ne pourrez pas les épouser mais vous pourrez les détrousser.
Elle s'inclina encore plus, cachant ainsi son visage. Bien sûr, coucher avec les hommes de la cour serait bien plus lucratif mais elle gagnait déjà beaucoup de cadeaux, les hommes rivalisant d'idées pour séduire celle qui ne cédait à personne.
- Quel est le nom de celle que l'on murmure être ma rivale?
- ...Emmanuelle de Mozac... Mais je ne prétends nullement être votre rivale...
Antoinette posa son éventail sous le menton de la jeune fille pour lui faire relever la tête. Elle était plus grande que la duchesse. Parce que oui, c'était nulle autre que la duchesse d'Étampes, ainsi plantée devant elle. Son regard d'argent se riva au sien, scrutant ses iris bleus au cœur jaune. Elles restèrent quelques secondes ainsi puis la duchesse retira son éventail.
- Paul dis que vous êtes de bonne compagnie.
- C'est un grand compliment venant de Monsieur le marquis.
- Que lisez-vous?
- Quelques nouvelles de Voltaire...
La duchesse remonta sa robe rouge, décorée de tant de rubans et dentelles qu'il sembla difficile de ne serait-ce que tenir debout, afin de pouvoir s'asseoir sur l'herbe tendre.
- Madame?
- Asseyez-vous et lisez.
La bourgeoise ne pu qu'obéir et s'assit à ses cotés, à distance respectable, et se mit à lire. Bien que de nature froide, Antoinette lui fit savoir qu'elle appréciait sa lecture et elles discutèrent longuement entre elles de ces écrits et de quelques autres. Emmanuelle comprenait mieux pourquoi les hommes les plus éminents de la cour étaient si fous de la duchesse, dotée d'une beauté à nulle autre pareille et d'un esprit affûté, elle faisait figure d'exception parmi la population de Versailles. Un diamant délicatement posé sur un tas de cailloux. L'après-midi passant, ce drôle de duo commençait à attirer l'attention, une sorte de petit attroupement se formant autour, des femmes mais surtout beaucoup d'hommes. Si Antoinette semblait complètement imperméable et indifférente à tout ce charivari, la jeune femme était bien moins habituée à être le centre d'attention. Finalement, la duchesse se leva puis ordonna à Emmanuelle de faire de même et de la suivre jusqu'à ses appartements. Maladroitement, elle épousseta sa robe et la suivit, tentant d'ignorer les regards brûlants de jalousie posés sur elle.
A peine les portes fermées, Antoinette changea d'expression, poussant un long soupir de soulagement. Elle jeta l'éventail sur l'un des fauteuils puis s'assit sur une bergère rose au motif fleurit. Elle regardait d'un œil perçant la jeune intriguante puis esquissa un sourire malicieux.
- Quel plat décolleté, jeune fille. Quel âge avez-vous?
- Je... Dix-sept ans Madame mais...
- Et aucunes formes?
Emmanuelle sentit une énorme boule d'angoisse se former dans sa gorge, elle serra convulsivement son livre entre ses mains. Elle ressemblait à une biche entourée de loups affamés.
- Je ne sais que dire, Madame...
Elle savait que les femmes de la cour se plaisait à insister sur les défauts des autres afin de se mettre en valeur. Elle avait déjà supporté des piques depuis sa présentation mais pas aussi directes et en plus, enfermée dans les appartements de la dame courroucée... Cette dame en particulier.
- La vérité peut-être?
- J'ignore de quoi-
- Silence! La vérité et rien d'autre. Je sais déjà ce qu'il se trouve sous cette superbe toilette.
Emmanuelle ne pu retenir ses larmes, les laissant couler librement sur ses joues. Elle était découverte, c'était la fin. On allait la traîner sur la place publique... Non pas «elle» mais «lui». Oui lui, Eric de Saint Germain des Fossés. Perclus de tristesse, il ne pu qu'éclater en gros sanglots, ayant lâché son livre qui s'était écrasé au sol en un bruit mat, tordant quelques pages au passage.
- Tu as été bien cruelle avec elle.
- Qu'est-ce que tu fiches encore ici Paul?
- Je me disais que tu ne serais pas contre une visite surprise de ton confident.
La brune soupira mais ne dit rien de plus. Le marquis avait surgit de la chambre et à présent, il se dirigeait vers Emmanuelle, lui offrant un mouchoir afin d'essuyer ses larmes et réparer quelque peu son maquillage. Il la fit asseoir sur un confortable fauteuil et resta près d'elle, lui chuchotant des mots réconfortants malgré l'air renfrogné de... Antoinette.
- Allons Eric, ne vous mettez pas dans des états pareils.
Effondré, l'appelé ne releva même pas les yeux, se contentant de répondre avec une voix nasillarde.
- Alors vous savez aussi?
- Depuis le début, dès que j'ai rencontré Eric après Emmanuelle. Vous avez un regard formidable vous savez?
- Trahi par mes yeux...
- Ne vous faites pas tant de mouron, Antoine ne vous dénoncera pas.
- Antoine?
La duchesse se leva alors et se pencha vers le plus jeune, laissant une vue plongeante sur son décolleté et... de petits coussins. Ébahit, le jeune comte resta sans voix. Ledit Antoine retourna donc s'asseoir, de manière certes élégante mais beaucoup moins féminine.
- Cher Eric de Saint Germain des Fossés, comte de Mozac, j'ai l'honneur de vous présenter Antoine de Beauce, duc d'Étampes.
- V-Vous êtes sérieux...?
- Plus que jamais. Je crois que vous et Antoine pourriez vous raconter beaucoup de choses. Notamment sur vos... goûts vestimentaires.
- Allez donc vous faire foutre, Marquis de Plaisir.
- Mon amie, vous me blessez.
La voix était plus rauque mais restait semblable à cette impression d'une main de fer dans un gant de velours. C'était saisissant. Et absolument terrifiant. Mais de toute façon, qu'il le veuille ou non ou que l'autre soit de fer ou de velours, ces gens tenaient son destin entre leurs mains... Quand bien même Emmanuelle tenterait de se défendre en dévoilant au grand jour que la si adorée duchesse était en fait un mâle sous des jupes, cela allait forcément tourner au vinaigre. Et aucune n'avait certainement envie de finir en charpie sur la place publique. Ces faits établis, restait à savoir ce qui allait advenir de Eric...
- Qu'allez-vous faire de moi?
- Rien mais si tu veux te vendre en tant que femme, fais le ailleurs qu'à Versailles. N'as-tu déjà pas plus de succès en tant qu'homme?
- Peut-être mais... J'ai besoin de tout l'argent possible afin de sauver mon domaine... Ne pouvez-vous pas comprendre?
- Je comprends bien mieux que tu pourrais le penser mais ça, ça ne te regarde pas. Fais disparaître cette Emmanuelle ou laisse la vivre dans les soirées libertines de Paris. Je n'ai pas besoin qu'une fausse péronnelle ne vienne compliquer mes affaires.
- ...Et si je refuse?
Antoine se leva et se posta devant Eric, éclatant de prestance et d'une force certes sous-jacente mais oh combien puissante. Le comte déglutit mais ne se démonta pas, fixant dans les yeux son opposant.
-Si tu refuses, je peux te dire que ton Emmanuelle va le payer très cher... Je suis une dame qu'on écoute beaucoup, je pourrais faire courir de méchantes rumeurs et tout le monde va les considérer comme vraies.
- Antoine, ne va pas trop loin...
- La ferme, le parvenu! Je n'ai nullement besoin de ton avis!
Le marquis fit un pas en avant et se saisit du bras de la soit-disant duchesse, les deux s'affrontèrent du regard avant que finalement, Paul ne lâche sa prise.
- Ça suffit. Eric je te prie, prend tes affaires et rentre à Paris.
- Mais...
- Je t'enverrais une lettre. Va.
Bien que très fortement contrarié, Eric décida d'obtempérer pour le moment. Il ramassa son livre, s'inclina poliment puis sorti de la pièce. Éviter les commères fut beaucoup plus difficile mais il parvint à atteindre les carrosses, montant dans l'un d'eux pour retourner chez Ophélie de Blois afin de se changer, peut-être lui raconter sa mésaventure avant de finalement revenir chez François d'Ambert.
Paul s'assit près d'Antoine, sans le toucher cependant. Ils se connaissaient depuis l'enfance aussi cette mascarade de duchesse ne l'avait-il pas trompé une seconde. Cela étant dit, il préféra pourtant aborder un autre sujet.
- Armand est-il revenu de guerre?
- Oui, j'ai reçu une lettre. Il se repose dans son manoir pour le moment.
- Il est blessé?
- Oui.
- Gravement?
- Non.
Armand Vaillant de Montlhéry, il était un soldat renommé et un officier bien classé. De très petite et modeste noblesse, il faisait parti de ces familles nobles ne survivant que par les carrières militaires. Il pouvait récolter des honneurs, un peu d'argent mais les femmes souhaitaient rarement épouser des militaires. Ils n'apportaient pas grand chose, si ils n'étaient pas assez gradés pour entrer dans le Cabinet d'en Haut, afin de faire des plans avec le Roi. Vaillant... A croire que son corps de métier s'était incrusté jusque dans son patronyme. Paul savait l'attachement particulier qu'éprouvait Antoine envers Armand, un attachement pouvant sembler fraternel, si on ne savait pas lire entre les lignes.
- Vas-tu aller le voir?
- Dès que je le pourrais, il ne viendra jamais ici de lui-même.
- Te voir en jupons est un peu trop dur pour lui.
- Tout le monde doit faire des sacrifices. Père courrait à la ruine avec ses dettes de jeux, mère est morte de bronchite et de chaude-pisse. Père disait qu'elle avait attrapé froid aux poumons en écartant trop grand les jambes...
- Antoine, ta mère n'était pas heureuse...
- Je sais!
Il serra les poings, fronçant les tissus précieux sans une once de regret. Il fallait rembourser les dettes ou le domaine allait tomber aux mains d'inconnus. La noblesse portait sa fierté plus haut que le reste. Une fille se vend mieux qu'un garçon. Son père lui avait donc ordonner de ressembler à une femme et d'aller parader à la cour afin d'obtenir des cadeaux et des propositions de mariage. Sans jamais s'offrir. La pureté fait la rareté et donc le prix. La duchesse Antoinette d'Étampes était un diamant pur, jamais touché par quiconque... Elle avait un sang d'aussi bonne qualité que le laissait supposer ses quartiers de noblesse, un visage sublime, des cheveux soyeux et un corps vierge. Une tête remplie également, ce qui ne la rendrait pas ennuyeuse ni pour son mari ni pour les invités de celui-ci. Antoine pourtant savait que son père serait capable de réellement le marier pour peu que celui proposant donna une somme colossale. Bien sûr les gens savaient que le duc avait un fils mais celui-ci avait été déclaré hautement malade et ce fut donc sa sœur qui vint à la cour afin d'aider la famille. Voilà la version officielle. Après tout, il n'était pas rare qu'un père préféra faire la gloire d'un héritier mâle que d'une fille, donc on ne s'étonna pas tellement que la jeune fille ne fasse une véritable apparition qu'à ses quatorze ou quinze ans. Aujourd'hui Antoine en avait dix-huit et était fatigué de ce manège... Son père avait l'air aux yeux des autres d'un père dotant sa fille, refusant de la donner au premier venu. Au premier parvenu. Au point où en étaient leurs finances, autant se faire sauter par un bourgeois...
- Préviens-moi quand tu comptes quitter Versailles et quand tu reviendras.
- Je n'en ai pas l'obligation.
- Tu es mon ami, que tu le veuilles ou non.
- Vous êtes si généreux, Monsieur le marquis de Plaisir.
Il savait que c'était une pique mais il laissa couler. L'amertume que ressentait Antoine envers son destin était légitime. Le fait que Eric le choisisse de lui-même alors qu'à lui on l'avait imposé l'avait sans doute ébranlé. Antoine était doté d'un grand sens des responsabilités et c'était ça qui le piégeait dans ce rôle de minette à marier. Paul espérait que son séjour auprès de son ami, dans ce manoir isolé en forêt, lui ferait du bien. Là bas, il pourrait remettre des culottes et monter à cheval, faire quelques passes d'escrime avec Armand, boire du vin et jurer comme un charretier si il le voulait. Il allait pouvoir redevenir lui, le temps de quelques jours.
Eric s'était contenté de vivre en tant qu'homme ces derniers temps, accordant plus de temps et d'attention à ses maîtresses. Surtout Madame Marie-Thérèse de Saint-Augustin, cette dame mûre s'amusait beaucoup avec lui, elle l'emmenait dans les casinos et les salles de jeux de Paris. A quelques bals et des réunions dans des clubs. Il n'avait pas encore vraiment connu cette partie du monde de Paris, malgré que son cousin François lui eut montré tout un tas de choses. C'était assez fascinant... La décadence a toujours un coté fascinant, lui avait dit doctement Marie-Thérèse, ce à quoi il ne pouvait qu'agréer.
Anne de Breteuil, pour sa part préférait l'emmener faire les boutiques de chapeaux, de perruques, de vêtements, de chaussures et de tout un tas d'autres accessoires. L'achat le plus étrange qu'il ait fait avec cette dame fut quand elle lui demanda son avis sur quel perroquet acheter. Un peu éberlué, il avait désigné le jaune et vert, le trouvant beau. Anne l'avait donc commander de suite puis vint le moment de choisir la cage. Il réfléchit un moment, observant les différentes cages qui étaient mille fois trop ornementées pour être de simples cages à oiseaux. Cependant, ils jetèrent leur dévolu sur une cage en fer forgé blanc, orné de grappes de fleurs délicatement ouvragées. La cage serait donc livrée aux appartements de Madame de Breteuil, avec l'oiseau. Il faudra donc lui trouver un nom et Eric lui promit de l'aider à en trouver un, drôle ou charmant. Cet oiseau amusera sans doute ses cinq enfants, allant de cinq ans à treize.
Louise de Montemaison était une dame entamant sa trentaine, Eric ne faisait pas les jeunes mariées de toute façon, mère de plusieurs enfants mais tristement seule. Malgré ses demandes, son mari ne l'avait pas autorisé à s'occuper personnellement des enfants. Elle ne pouvait les voir que deux ou trois heures par jour. Ne pouvant donner d'amour à ses propres enfants, elle rendait visite à l'un des orphelinats du Roi, là bas on s'occupait surtout des enfants des militaires morts au combat, soit abandonnés par leurs mères épuisées ou remariées, soit celles-ci étaient décédées. Régulièrement, elle apportait des jouets, des gourmandises à ces enfants qui étaient ravis de voir cette dame dans ses belles robes, ses grands chapeaux et enveloppée de son doux parfum de fleurs. Eric avait été élevé dans l'amour maternel et il se sentait réellement triste pour cette mère amputée de son rôle. Il plaignait la plupart des enfants élevé sans leurs parents alors que ceux-ci vivaient dans la pièce juste à coté... Bien que cela fut la norme de l'époque. Louise était si triste de ne plus avoir son rôle de mère que l'une de ses choses préférées au lit fut que Eric suça ses seins pendant qu'elle caressait ses cheveux mais ce secret, il le garderait à jamais.
Joséphine de Mortemarre n'avait qu'une seule attente dans la vie: être veuve. Mariée à quinze ans à un homme de quarante, elle attendait le jour où il serait mort pour enfin vivre comme elle le souhaitait. Ce n'était pas forcément un homme mauvais d'ailleurs mais elle voulait sa liberté, or, pour être une femme libre à l'époque il fallait avoir au moins vingt-cinq ans et être veuve. Elle avait trente-trois ans et son mari commençait à être fatigué, il n'allait plus à la chasse ni aux clubs, ni même aux fêtes de Versailles si il n'y était pas obligé. Il était proche de la soixantaine et commençait à aller à confesse de plus en plus régulièrement, donnant de l'argent à un monastère. Il préparait son départ et Joséphine l'accompagnait. Elle l'accompagnait vraiment, aussi forte son envie de liberté fut-elle, elle ne faisait pas parti de ces gens prêts à tuer leurs conjoints. Avec Eric elle flirtait comme ces femmes dans les romans, s'offrant des nuits de sexe dans la paille ou posant pour des peintures osées sous l'œil de son amant. Elle allait à la chasse avec lui ou allait dépenser au casino, elle s'amusait et parfois, elle emmenait son mignon dans ses voyages dans les châteaux de prestige où se déroulaient des fêtes immenses. Concernant ses deux filles, Jeanne-Marie et Adélaïde, elles étaient encore jeunes et il n'était pas nécessaire de les marier bien qu'elle fera de son mieux pour leur trouver de bon parti. C'était ce que Eric aimait chez elle, forte, déterminée, intelligente, prévenante.
Dimitrei Orlov était d'humeur assez minée. Il ne trouvait plus Emmanuelle dont la compagnie et la beauté lui étaient fort agréables mais il ne trouvait pas non plus la trace de son mystérieux amant rencontré de cela il y avait déjà plusieurs semaines. Il se souvenait de son corps et de ses yeux... Des yeux sublimes, qu'il avait retrouvé sur le visage de la douce dame de compagnie. Étaient-ils de la même famille ou était-ce une coïncidence? Pourtant, il ne savait même pas comment s'appelait son gentilhomme.
- Vous semblez songeur, monsieur le diplomate.
Cette voix le fit sourire, le marquis de Plaisir avait une façon de parler aussi polie que cassante, sans doute était-ce l'une des raisons pour lesquelles il était ami avec la duchesse intouchable. Dimitrei avait eut l'occasion de parler avec Paul à plusieurs banquets ou à des clubs, autour d'un verre d'alcool avec un jeu de cartes.
- Je suis à la recherche de quelqu'un.
- Oh, vous avez trouvé une jeune femme à votre goût?
- Pas vraiment, je cherche un homme.
- Voilà qui est curieux.
N'ayant pas envie de discuter de ça dans les couloirs là où tout le monde pouvait écouter, le diplomate russe demanda à son camarade de le suivre dans ses appartements. Il était relativement bien placé, si on considérait qu'il n'était pas si éloigné du Roi que ça. Attention, pas proche comme les appartements de la Reine ou de la Pompadour évidemment mais assez proche vu sa position. Après tout, il était le lien entre Louis XV et Catherine II. Un rôle peu négligeable.
Les portes fermées, dans ce bel écrin remplit d'œuvres d'art et de coûteux autres objets, Paul resta un moment à regarder l'immense portrait de Catherine II. On se doit d'aimer son pays mais l'Impératrice de toutes les Russies n'était pas une femme magnifique mais elle avait de la prestance, indéniablement. Ils s'assirent finalement sur les confortables fauteuils et Dimitrei se lança à raconter son histoire, que Paul écouta avec attention. Et la conclusion lui vint sans trop forcer surtout à la description de ces yeux si particulier, bleus comme le ciel mais avec un cercle jaune soleil autour de la pupille. Il soupira, attirant l'attention de son interlocuteur. Décidément, ce jeune homme savait s'attirer des ennuis. Ou des faveurs.
- Vous savez qui c'est.
- Je le crains en effet.
- Dites le moi.
- Je ne sais si je le dois. Je ne voudrais pas vous froisser mais je ne voudrais pas lui causer d'ennuis, c'est un bon garçon même si maladroit dans sa façon de faire avancer ses affaires.
- Je ne lui veux aucun mal, seulement apprendre à le connaître.
- Je vais vous donner son adresse.
Dimitrei lui donna alors du papier et une plume encrée. Délicatement, il traça de son écriture élégante l'adresse menant à François d'Ambert et par conséquent à Eric de Saint Germain des Fossés.
Gabrielle avait donné rendez-vous à Eric dans une rue passante, profitant encore des beaux jours bien que septembre s'installait déjà. Enfin, son Hencke était revenu. Pour elle, comme promit. Assise dans une tenue sobre, elle attendait bien que nerveuse car il était étrange pour une femme d'être seule sans bouger. Elle avait peur qu'on ne vienne l'agresser à cause de sa beauté, certes elle s'était prostituée pendant longtemps mais malgré tout, elle n'avait jamais connu l'assaut d'hommes vilains et sales. Et ne souhaitait pas le connaître. Finalement un homme s'approcha d'elle et la rousse sourit, heureuse de reconnaître son ami. Elle prit son bras et ils marchèrent ensemble, à petits pas pour l'aisance de la demoiselle.
- Je suis heureux de te voir Gabrielle.
- Moi aussi, vraiment. Oh Eric si tu savais!
- J'espère bien savoir, que se passe-t-il?
- Je vais quitter Paris! Eric, ça y est, je pars pour la Hollande. Hencke est revenu et il a payé Madame Rose-Marie, je suis libre de partir avec lui. C'est fini tout ça, je vais pouvoir avoir une maison, un mari et des enfants.
Eric s'arrêta juste le temps de donner une brève embrassade à la jeune femme, un câlin amical qui dura très peu de temps car il était inconvenant de faire ça avec une femme et encore plus dans la rue. Ils étaient dans les beaux coins de Paris, là où se trouvaient les hôtels particuliers, le reste de Paris était pauvre et puait le rat crevé. Personne de bien-séant ne voudrait s'y rendre hormis pour des affaires crapuleuses.
- Je suis vraiment heureux que ton bonheur se concrétise enfin mais tu vas me manquer.
- Nous allons nous écrire, s tu acceptes une correspondance avec moi.
- Bien entendu, j'en serais ravi.
En parlant de correspondance, il échangeait toujours beaucoup de lettres avec ses parents qui ne cessaient de le féliciter pour ses réussites dans la Haute. Grâce à lui, Mozac retrouvait sa splendeur peu à peu. Ils avaient même pu embaucher plus de personnel, ce qui arrangeait aussi les gens du peuple qui voyaient s'offrir du travail.
- En tout cas Gabrielle, je suis vraiment ravi que ta situation s'arrange. Ton bonheur me va droit au cœur.
- Je sais que tu es sincère et ça me touche aussi. Tu as été un ami précieux et je t'en remercie.
- Tu m'as beaucoup aidé, vraiment, et je ne l'oublierai jamais. Tu auras toujours une place dans mon cœur Gabrielle, tu seras toujours mon amie.
Elle essuya une petite larme mais elle souriait, sans doute le plus beau sourire de sa vie. Eric la raccompagna là où elle s'était installée avec Hencke pour le moment et il lui promit de venir lui dire adieu le jour où elle allait quitter Paris pour se rendre à Calais afin de prendre un bateau pour se rendre finalement en Hollande. Une page se tournait.
Octobre apportait son lot de pluie. Il pleuvait beaucoup alors les courtisans ne sortaient plus dans les jardins évidemment alors les couloirs et les grands salons étaient bondés. On donnait beaucoup de concerts et de pièces de théâtre pour divertir tout ce beau monde à commencer par le Roi. Il passait beaucoup de son temps dans son bureau comme toujours mais c'était un homme d'humeur fade et si on ne lui donnait pas de distractions, il sombrait vite dans de mauvaises pensées. Madame de Pompadour faisait donc des pieds et des mains pour lui offrir de quoi remplir son esprit et le faire sourire. Nombre de serviteurs se baladaient avec des chandeliers car le temps était sombre et malgré les grandes vitres, il y avait des pièces où on ne voyait rien du tout. Mais cette obscurité était la bienvenue pour certains, après tout il y avait des activités que l'on préférait pratiquer dans le noir...
Eric se cambra, ses mains étaient attachées par un cordon de soie aux montants du lit pendant qu'entre ses jambes, une tête blonde montait et descendait.
- Dimitrei...
Le diplomate avait retrouvé son amant éphémère et en avait fait un amant plus régulier, c'était d'ailleurs la seule personne avec laquelle Eric couchait sans exiger de cadeau en retour. Il ne prenait que son plaisir et pourtant rien que ça, c'était génial. Le russe était ravi d'avoir obtenu le droit de le toucher à nouveau et il en profitait grandement. A la lueur vacillante des bougies bien qu'on soit en plein après-midi, sa bouche englobait le sexe érigé de son amant, il le suçait avec lenteur pendant que la lumière se reflétait sur ses cheveux blonds, leur donnant un reflet doré chaud sur leur pâleur naturelle. Eric tira sur ses liens, crevant d'envie de poser ses mains sur la tête de l'autre afin qu'il accélère la cadence pour enfin jouir, pourtant l'autre s'amusait à le faire languir, faisant monter la sève lentement, recueillant chaque goutte perdue sur sa langue.
- Arrête... C'est si dur...
- Oui, tu es très dur, Eric...
Cet accent allait le faire défaillir un jour. Vraiment. La bouche mutine délaissa sa friandise pour remonter sur ses hanches, son ventre, son torse pour venir titiller les tétons, dans son cou, lécher son oreille puis venir finalement ravir sa bouche. Une main passa entre les cuisses, caressant les testicules ce qui fit gigoter le prisonnier.
- Non pas là!
Il y était extrêmement sensible et il n'aimait pas trop cette sensation. Dimitrei arrêta donc pour poursuivre sa descente, ses doigts s'amusant à frôler cette entrée secrète. Il câlina et cajola ce petit anneau de chair, buvant à la source les gémissements autant de plaisir que d'impatience. Eric était si délicieux... Il n'y avait pas d'amour entre eux, une amitié, une complicité couplée à du sexe mais pas d'amour. Alors ils profitaient librement de se donner l'un à l'autre.
- Prends moi... Dépêche-toi...
- J'arrive, petit oiseau impatient...
Pour le motiver un peu plus, Eric n'hésita pas à lui lancer un regard de braise, son corps ondulant en un mouvement clairement sexuel comme si l'acte avait déjà commencé. Il se lécha les lèvres inconsciemment en inspectant le corps plus que sexy du russe. Ses muscles, sa peau, son odeur... Tout lui donnait envie de se faire baiser là tout de suite. Et il obtint ce qu'il voulait, le sentant glisser en lui. Il tira encore plus fort sur ses liens, sentant la soie mordre sa chair mais il s'en fichait alors que l'autre se mettait à bouger, prenant possession de son corps pour enfin lui apporter cette jouissance tant attendue.
Une délégation étrangère sembla illuminer ce venteux mois de novembre, cette année ne serait pas une bonne année concernant l'hiver visiblement. Eric soupira, son Auvergne lui manquait de plus en plus et il avait hâte de pouvoir rentrer enfin pour les fêtes de fin d'année. La messe de minuit était très importante après tout. Et il avait hâte de voir Mozac après les travaux de la toiture et des travaux intérieurs. Cela étant, son attention était aussi dirigée vers les étrangers, faciles à reconnaître par leurs vêtements si différents. Ils venaient de l'Empire Ottoman pour le commerce, les épices étant à la mode depuis déjà bien longtemps mais les dames raffolaient des tissus brillants et avec des motifs extrêmement originaux. C'était sûrement l'attraction du mois d'ailleurs. Eric fini par s'approcher de tout ce charivari au bout d'une semaine car la tension commençait à baisser, il pouvait enfin approcher la délégation. Un grand salon servait de marché ou d'échoppe géante, comme quoi, les courtisans avaient fait le succès de ce geste commercial. Ils allaient probablement faire le tour des autres cours royales comme ils avaient fait en partant de leur Empire pour aller jusqu'en Europe. Leur prochaine étape étant l'Espagne. Il fureta donc dans tout ce bazar admirant les divers objets, animaux, tissus, bijoux, accessoires... Et en levant les yeux, il le vit, lui.
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Le mignon de Versailles
Historical FictionEric de Saint Germain des Fossés est un jeune noble de campagne qui, pour sauver le domaine familial, va monter jusqu'aux capitales: Paris et Versailles. Là bas, il devra apprendre à devenir quelqu'un d'autre pour se hisser jusqu'au sommet et réussi...