Partie 6

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 Après avoir longuement discutés entre eux, Eric se sentit rassuré de savoir que le Dieu de Malia n'était pas celui barbare des musulmans. En effet, il s'agissait de chrétienté orthodoxe. Ce n'était donc pas la sacro-sainte catholique mais c'était tout de même de la chrétienté donc il s'en contentait. Mieux valait ça que l'islam. Les fêtes étaient terminées, il fallait préparer les bagages pour retourner à Paris et Versailles. Eric n'avait pas retouché Malia depuis, seulement frôler sa main ou des regards insistants. Le serviteur ne disait rien à ce sujet, qu'aurait-il pu dire de toute façon? Il savait que parfois les maîtres aimaient à folâtrer avec les domestiques mais lui n'était pas une jeune fille. Il ne comprenait pas et ne possédait ni l'intelligence ni le droit de demander de plus amples explications. Son français s'améliorait mais restait très rudimentaire. Il n'avait pas hâte de quitter Mozac, Malia aimait ces grands espaces, ces pierres brutes, ces paysages vastes. Versailles n'était pas naturel, Versailles puait pour de nombreuses raisons. Cependant, c'était important que Eric revienne là bas et il se devait de le suivre. Il gagnait ses pièces d'argent en travaillant pour lui. Tout à fait normal donc.

Antoine jeta un œil par la fenêtre, admirant les paysages provençaux. Armand l'avait emmené loin, tellement loin de Paris et Versailles. Si c'était l'été alors il serait entouré des champs de lavande, des oliviers et du cri des cigales. Mais c'était l'hiver et le paysage restait morne et terne. Pourtant, ce paysage lui plaisait car il signifiait qu'il était loin et libre, ça signifiait la liberté.
- Je te cherchais Antoine.
Il se tourna, observant son ami qui se présenta à lui, habillé simplement et la démarche toujours raide de ses blessures.
- Qu'est-ce que tu voulais?
- On devrait aller au marché pour acheter des vivres. Même si nous ne sommes pas en manque.
- Allons y.
Armand s'approcha et tendit la main, la passant à travers la douce chevelure noire, considérablement raccourcie. L'héritier en fuite ne réagit pas, se laissant caresser. Ils n'avaient jamais reparlé de ce qui se passait entre eux, de si il devait se passer réellement quelque chose entre eux. Ce genre de relation était interdite, strictement interdite. Ils pourraient être excommuniés ou tués pour ça. Mais Antoine ne lutta pas contre cette main rêche qui caressait maintenant sa joue et descendait dans son cou, se posant sur sa nuque. Il avait le cœur au bord de lèvres mais il refusa de reculer, au contraire, sa main agrippa la chemise de l'autre. Armand s'approcha davantage et il baissa la tête, leurs nez se frôlant. C'était à Antoine de faire le dernier pas et il s'exécuta sans broncher, relevant la tête pour que leurs lèvres se rencontrent. Armand l'enlaça et il fondit dans ses bras. Antoine n'avait pas été habitué à être proche des gens mais avec lui, c'était différent. Il voulait être proche de lui. Même si c'était un péché, même si c'était mal. Armand était un soldat au service du Roi, il pouvait recevoir une lettre le mandant de retourner au front et lui serait comme l'une de ces fiancées désespérées en le voyant prendre sa baïonnette et partir au combat. Il le savait, il n'y aurait pas d'autre choix. La désertion était exclue.
- Je ne peux pas te promettre le mariage et l'éternité devant Dieu et les hommes Antoine, mais je -
- Chut... Je sais. Et que moi seul le sache me convienne.
- Mon amour pour toi est aussi sincère que la lueur des étoiles dans le ciel.
- Je te crois mais prouve le moi.
- Tu en es sûr? Ce que nous allons faire...
- L'amour. Ce n'est que de l'amour, n'est-ce pas?
Armand acquiesça. Les courses au marché attendraient encore un peu. Le soldat lui prit la main et le conduisit jusqu'à la chambre à l'étage. La porte se ferma lourdement et Antoine avança à petits pas jusqu'au lit aux draps beiges. Il n'avait encore jamais fait ça. Armand l'enlaça à nouveau et il se détendit dans son étreinte, souriant en sentant de petits baisers dans son cou. Oui, ce n'était que de l'amour et on disait toujours que Dieu n'était qu'amour. Ils ne faisaient rien de mal.
- Tu ne regretteras pas?
- Non, Armand.
Ils s'allongèrent sur le lit, l'un en face de l'autre. Ils s'admirèrent longuement puis se caressèrent, s'embrassant tendrement. Peu à peu ils se déshabillèrent, apprenant à connaître le grain de peau de l'autre. Sans surprise, l'épiderme d'Antoine était mille fois plus doux que celui d'Armand, habitué à la rudesse des camps militaires. Ses mains étaient rêches du maniement des armes mais elles étaient d'une douceur incomparable sur le corps d'Antoine. Ce dernier passa délicatement ses doigts sur les bandages de ses côtes, Armand lui sourit en retour puis se pencha pour lui voler un nouveau baiser. Antoine ne se sentit absolument pas dégradé d'avoir un autre homme entre ses jambes, loin s'en faut. Il l'enlaça encore plus fermement, le retenant contre sa chaleur. Le moment où ils se fondirent l'un dans l'autre fut magique, magnifique. Son proche ami devenu amant, celui pour qui il péchait devant les hommes et sans aucuns regrets.

François d'Ambert regardait d'un mauvais œil le retour d'Eric et son serviteur. Pas que le jeune comte le dérange, loin de là, sa compagnie était agréable bien qu'il soit un peu trop intellectuel à son goût. Non ce qui le dérangeait, c'était cet étranger. Il commençait d'ailleurs à avoir des doutes à son sujet, était-ce vraiment un homme? Il était si petit, frêle et délicat. On réputait les hommes de l'Empire Ottoman comme de grands gaillards, l'image typique des barbares avec leurs muscles saillants et les barbes drues et noires. Il était évident que Malia ne correspondait nullement à cela. Il profita d'un jour où Eric était parti au cercle des Précieuses pour s'approcher de l'étranger.
Malia était en train de plier et ranger le linge de son Maître quand la porte s'ouvrit. Il sursauta, sachant ce dernier absent puis il reconnu le maître des lieux. Il s'inclina donc en silence. Le grand homme s'approcha, ses talons claquant sur le sol comme le martèlement des sabots d'un cheval lancé au galop. Une image fort peu rassurante, il fallait se l'avouer. François s'arrêta devant lui mais Malia ne bougea pas. Il savait qu'il ne fallait pas regarder dans les yeux la noblesse, ici ou ailleurs, c'était une règle générale. La main sèche de l'homme lui saisit le visage, le forçant à relever la tête. Son regard ambré rencontra furtivement les yeux du noble mais il l'évita rapidement. Il avait peur de ce qui pourrait se passer, il ne pouvait s'empêcher de trembler un peu.
François fronça les sourcils. Un homme pourrait-il être aussi soumis naturellement? C'était l'apanage des femmes, la soumission! Il agrippa brutalement le bras de Malia pour l'empêcher de reculer.
- Es-tu vraiment un homme?
L'autre hésita un moment, pour mentir ou pour comprendre? Quelle idée stupide d'avoir prit cet étranger ne comprenant rien de ce qu'on lui disait!
- Oui, Monsieur.
- Tu jures être un homme? Un serviteur ne dois jamais mentir!
Malia sembla se recroqueviller mais il hocha la tête.
- Oui, Monsieur...
François jeta le pauvre jeune homme sur le lit d'Eric et se pencha au dessus de lui. Pétrifié, l'autre n'osa plus bouger. Un homme se serait vaillamment défendu! François se jeta à son tour sur le jeune garçon qui cria malgré lui, le noble arrachant sans scrupules le gilet et la chemise que Eric avait acheté pour habiller Malia à la mode locale. Celui-ci tentait de garder ses vêtements sur lui, rassemblant les morceaux déchirés mais une gifle retentissante le laissa sur le carreau. Sonné, il sentit l'autre le déshabiller, tâtant son torse puis entre ses jambes, sans aucune délicatesse. Finalement, François d'Ambert se releva, un air sombre sur son visage. C'était bel et bien un garçon. L'attitude d'Eric n'était donc pas celle d'un irresponsable ayant acheté une étrangère pour la baiser, donc il en était rassuré. Un enfant bâtard et métissé serait une honte et son cousin, Honoré, méritait mieux que ça. Heureux de son constat, il quitta la pièce en ordonnant au serviteur de remettre de l'ordre.
Malia se releva doucement, traumatisé. Il avait entendu beaucoup de récits parlant d'hommes riches qui violaient les jeunes garçons comme si c'était des filles. Quand l'aîné de son Maître avait commencé à agir étrangement après avoir passé tant de temps à le fixer, il avait sentit cette peur monter en lui. Puis il lui avait fait mal et l'avait jeté sur le lit, lui arrachant ses vêtements. Malia avait été embrassé et caressé par Eric et il avait aimé ça, son corps s'était réchauffé de l'intérieur et son cœur battait fort. Avec François, il avait tremblé de peur et une sueur froide avait coulé dans son dos. Ses vêtements étaient en lambeaux... Il se changea rapidement puis cacha les habits en piteux état, il devrait les réparer au mieux, n'est-ce pas? Il n'était pas très doué pour les travaux d'aiguille. Cependant, avant cela, il termina de ranger et nettoyer la chambre de son cher Maître, avant d'aller s'enfuir dans la sienne, s'y enfermant à double tour.

Dame Francianne l'accueillit avec plaisir, lui donnant une chaleureuse accolade, elle était rayonnante. Il le lui dit et elle lui sourit, les joues roses. Elle était enceinte et espérait ardemment donner un fils à Aurélien, son tendre époux. Ce couple amoureux lui donnait toujours du baume au cœur. Il fut également ravi de parler à Ophélie, prenant des nouvelles de ses deux garçons, Laurent et Simon. Il s'était prit d'affection pour eux. Son après-midi avec elles et les autres femmes se passa à merveille, discuter avec ces dames était toujours passionnant et intéressant. Il parti en même temps que la comtesse de Blois, se proposant de la raccompagner. A l'abri des oreilles indiscrètes dans la calèche, ils parlèrent de son autre identité, Emmanuelle.
- Maintenant que la duchesse d'Étampes a subitement disparu, je n'ai plus d'obstacle pour la faire s'épanouir, seulement...
- Seulement?
- J'ignore combien de temps pourra tenir ce stratagème. Pour le moment, ils pensent que Emmanuelle est la favorite de Dimitrei, le diplomate russe.
- C'est une excellente position.
- Justement, une fille de rien au bras de ce genre de personne... Ça attire beaucoup trop l'attention.
- Que comptes-tu faire alors?
- Je l'ignore. Gagner assez d'argent et peut-être partir dans les colonies avec Malia. Il me sera loyal.
- On meurt vite dans les colonies...
- Je sais, Madame. Mais ai-je le choix? Emmanuelle ne va pas faire long feu et je ne tire aucune fierté à coucher avec les dames pour avoir les privilèges que je possède.
- Tu es une personne fière, avec de l'honneur. Je comprends que ça te perturbe.
- Je crois qu'il est temps de cesser ce qui n'était de toute façon qu'une solution temporaire.
Ophélie hocha la tête mais n'ajouta rien de plus. Eric jouait effectivement à un jeu dangereux et il fallait bien qu'il réussisse à s'en tirer. De préférence, sans égratignures. Elle appréciait ce jeune homme à la forte volonté, elle ne lui souhaitait pas le moindre mal. Oh non, loin de là.
Eric rentra tard dans la nuit à ses appartements parisiens, ayant passé un bon moment au bordel. Divona était une beauté blonde à la peau de lait et aux yeux noirs. Divona n'était sans doute pas son vrai nom mais ça n'avait aucune importance pour une fille de joie. Il traitait bien les filles et la mère maquerelle Rose-Marie l'appréciait beaucoup. Il payait bien et se comportait bien. Il payait du vin et de la nourriture aux filles pour profiter avec elles, avant de monter pour faire une partie de jambes en l'air avec la belle et immensément sexy blonde platine. Il rentra donc chez lui, sa chambre était dans la pénombre mais rien d'exceptionnel, il portait une chandelle à main de toute façon. Il rentra, se déshabilla et se coucha, repus de vin, de fruits et de sexe.

Le lendemain et les jours suivants Malia fut très distant bien qu'il accomplit son travail toujours aussi correctement. Le jeune homme voudrait bien plus s'en préoccuper mais il n'avait guère le temps. Emmanuelle allait tirer sa révérence mais avant cela, il lui fallait encore récolter de l'argent. Il y aurait bientôt une grande représentation de théâtre et il lui fallait une nouvelle robe. Il n'avait pas tellement envie d'extorquer celle-ci à Dimitrei, il faisait déjà tant pour lui! Il lui restait donc à faire les yeux doux à quelques hommes de sa connaissance. Il laissa Malia à Paris et se rendit chez Ophélie pour récupérer l'une de ses toilettes élégantes et une fois correctement préparé, il vint pour Versailles.
Le russe étant en voyage pour un moment, Emmanuelle se faisait donc à nouveau approcher par les hommes de la Cour, de jeunes mignons fraîchement débarqués ou au contraire les vieux ribauds. Elle les accueillit tous avec le sourire, amusée comme tout.
- Vous êtes si adorable, Monsieur de Cluny! Rit-elle, cachée derrière son éventail de soie mauve.
Le garçon tout juste sorti de l'adolescence la salua d'un grand geste de chapeau, les joues roses. Il était honnêtement très joli et si elle le pouvait, Emmanuelle aurait adoré en croquer un morceau. Leur agréable conversation fut pourtant brutalement coupée quand un homme se présenta à eux. Le comte Nicolas d'Aubervilliers sourit à la belle demoiselle et elle lui tendit la main pour qu'il l'embrasse, comme le voulait la politesse. Il le fit avec toute la dextérité que cela demandait. Emmanuelle n'était pas rassurée, cet homme avait été désigné comme le fiancé de la duchesse d'Étampes et celle-ci eut mystérieusement disparue peu après. Et le récit de ses précédentes épouses pouvaient donner froid dans le dos.
- Monsieur de Cluny peut-il me laisser le plaisir de converser avec Emmanuelle?
- Bien sûr. Monsieur, Madame.
L'oisillon s'inclina puis parti, déçu de ne pas avoir pu profiter de cette femme sublime plus longtemps. Il avait senti son intérêt pour lui, quel dommage! Nicolas présenta son bras à Emmanuelle et elle le lui prit, esquissant donc quelques pas à travers l'immense galerie des glaces.
- Très chère, vous allez venir à la prochaine représentation de théâtre, n'est-ce pas?
- Comme je le souhaiterais Monsieur!
- Vous ne pouvez pas? Dites moi tout.
- Je ne puis me présenter en guenilles devant la Cour et le Roi... Je possède peu de belles toilettes contrairement aux grandes dames. Je n'ai qu'un nom mais peu de terres ni de renommée, sans vouloir couvrir de honte Monsieur mon cher père.
Elle l'avait dit avec tant d'humilité et une voix si sincère qu'il eut fallu être un expert manipulateur ou Dieu lui-même pour y voir un mensonge. Nicolas était un maître de la manipulation mais en voyant ce frêle ange dire à demi-mots qu'elle ne pouvait tenir le rang de ses envies, il décida de la croire. Ils s'arrêtèrent devant l'une des immenses vitres et Nicolas lui prit la main entre les siennes.
-Si vous m'accordez d'être votre cavalier à cette soirée, je vous doterais d'une robe à la hauteur de vos espérances.
- Oh Monsieur! Je ne puis accepter...
Emmanuelle garda le visage bas, ses pensées défilaient à toute vitesse. Nicolas était un homme dangereux et il semblait qu'elle soit sa nouvelle proie. Elle n'était pas une riche héritière mais elle était un objet convoité à la Cour de Louis XV bien que le Roi lui-même aussi amateur soit-il de jeunes femmes ne s'intéressa jamais à elle. C'était sans doute bien mieux ainsi, elle n'aurait jamais pu se soustraire aux mains et à la volonté royale. Concernant le comte, c'était une autre paire de manches! Le rejeter platement serait une erreur tactique, il serait une véritable peste après elle et il pourrait tout ruiner. Cet homme pouvait tout casser de ses mains.
- Emmanuelle? Accepter. Je jure de ne demander qu'à passer cette soirée avec vous. Ne voulez-vous pas consoler un pauvre homme au cœur brisé?
- La disparition de Madame Antoinette vous fait souffrir, mon ami. Cependant, je me sentirais mal si on pensait que je tente de prendre sa place auprès de vous.
- Je contredirais quiconque qui osera proférer de telles sornettes! Accompagnez moi, je protégerais votre honneur.
- Si vous insistez tant, je me sentirais mal de vous le refuser.
Merde! Elle était tombée dans le panneau, elle ne pouvait plus s'en sortir maintenant. Bon au moins avait-elle résolu son problème vestimentaire et d'accompagnement. Elle espérait cependant que Dimitrei serait revenu pour la représentation théâtrale afin qu'il puisse l'aider si la situation devenait inextricable. Emmanuelle était entourée de soupirants mais elle n'avait guère d'amis. Cependant, qui avait vraiment des amis dans cet endroit empli des pestilences des complots?

Le matin de cette fameuse représentation de théâtre, la tenue préparée par Nicolas pour sa cavalière arriva aux appartements d'Ophélie de Blois. Quoi de plus normal, Emmanuelle était censée être sa dame de compagnie et vivre avec elle. Eric se rendit donc chez elle, un domestique étant venu le chercher en début d'après-midi. Il avait emmené Malia avec lui et ce dernier sembla enfin s'illuminer quand les enfants vinrent le voir.
- Je pense le laisser chez vous, il pourra jouer avec les petits. Si ça ne vous dérange pas et que ça n'embête pas la gouvernante.
- Ça ira, ce garçon a l'air morose.
- Oui, j'ignore ce qui le tracasse... C'est difficile de le faire parler.
- J'imagine. Bon, passons à votre tenue mais avant cela je vais me préparer. Nous enverrons ensuite les enfants avec leur gouvernante et Malia faire quelques emplettes. Quand ils rentrerons, nous serons partis.
- Bien Madame.
Bien entendu, Ophélie ne voulais pas que Laurent et Simon voient Eric devenir une femme. Et Malia n'avait aucun besoin de le savoir non plus. Après deux bonnes heures de préparations, Ophélie se présenta dans une superbe robe rose poudré, le centre de la jupe était jaune tendre. Par dessus le tissu rose, il y avait des lignes de dentelles vert pâle et des lignes de fourrure blanche, formant un huit horizontal, en alternance jusqu'en bas de la jupe. Elle avait un foulard vert assorti autour du cou et dans ses cheveux savamment poudré de blanc, elle portait de grandes plumes roses. Eric sourit et ouvrit une boîte à chaussures, dévoilant des souliers de velours d'une teinte de rose plus foncé.
- Permettez moi de vous aider pour cela.
Ophélie souleva ses jupons, jamais plus haut que la lisière de ses chevilles, par pudeur. Elle était une femme mariée que Diable! Eric resta gentleman, ne relevant pas les yeux et ne laissant pas traîner ses mains plus que nécessaire sur les pieds gainés dans des bas de soie. Une fois chaussée, elle remit sa robe en place.
- Et maintenant, à nous!
Les enfants venaient de partir, ils pouvaient bien voir leur mère se préparer ça ne posait aucuns soucis. Maintenant qu'il fallait s'occuper de travestir Eric, zou, du balai!
C'était une toilette sublime, impossible de le nier. Le tissu de base était un sublime bleu canard, le milieu de jupe était d'un mauve très joli. Le bleu était bordé d'une épaisse couche de tissu d'un violet plus soutenu froncé pour donner un effet de relief. Deux énormes nœuds bleu roi aidaient à maintenir le tissu dans la forme souhaitée, afin que le bleu canard ne cache pas le mauve. Le milieu de jupe était parcouru de lignes de tissu blanc, formant de jolis nœuds à chaque intersection. Concernant le haut, la manche gauche était du même tissu bleu canard que le corset, hormis le milieu de celui-ci qui arborait le même violet soutenu. La deuxième manche était blanche et aérienne. Le corset était parcouru d'une écharpe bleu clair, nouée à l'épaule droite par un ruban délicat et nouée à la taille par un nœud élégant. Trois roses roses avec quelques feuilles étaient attachées à l'épaule de la manche blanche pour ajouter une touche de fraîcheur. La perruque était bien blanche et très gonflée, deux mèches bouclées tombant dans le cou. Trois roses, toujours rose, étaient attachées de chaque cotés de la tête, des tresses de tissu violet étaient épinglées en arc de cercles dans la chevelure pour un effet presque plantation de jardin. Eric était soufflé tout comme Ophélie.
- Ce comte t'a gâté.
- En effet. J'hésite entre être flatté ou effrayé.
Il fallu encore deux bonnes heures pour l'habiller et faire tenir la perruque. La tenue était parfaitement ajustée à sa taille, Emmanuelle était resplendissante. Ophélie laissa pourtant celle-ci ajuster les petits coussins servant à faire le léger décolleté de la fausse demoiselle. Les robes rigides de leur temps écrasait la poitrine donc ce n'était pas si grave si elle avait l'air relativement plate. Un léger effet bombé sous le tissu suffisait largement. Les petits souliers azurés étaient la petite touche supplémentaire.

Nicolas d'Aubervilliers portait une tenue d'un bel azur et paré de multiples broderies en fil d'or. Pas de doutes, il avait mit les petits plats dans les grands. Ophélie de Blois entra dans la salle, suivie de Emmanuelle et d'autres dames, toutes plus fades que les deux premières. Le comte se savait bel homme alors pourquoi une petite pintade venue de sa campagne se refuserait-elle à lui? Cette maudite Antoinette lui avait filé entre les doigts et il était certain que Paul, marquis de Plaisir, cette putain au masculin y était pour quelque chose. Il n'avait juste pas de quoi le prouver. En attendant, jouer avec cette péronnelle serait un divertissement intéressant. Pâle comme le lait, des yeux extraordinaires, une chevelure soyeuse comme il était rare d'en voir. Elle serait exquise à briser, ses prunelles se remplir de larmes, son corps se parer de bleu et de rouge... Oui, il serait ravi de la baiser et de la battre. Il aimait faire mal aux femmes, de toute façon, elles n'étaient là que pour le plaisir des hommes alors qu'y avait-il de mal à ça? Il s'approcha des deux femmes, il salua en premier Ophélie, question de rang puis s'adressa à sa cavalière de ce soir, ignorant le regard aussi froid que la glace que lui lançant la comtesse. Il n'avait pas aussi bonne réputation qu'il le pensait ce saligaud!
- Madame, je suis ravi de voir que cette robe vous va à merveille.
- Je vous en remercie humblement, Monsieur. Cette robe est un cadeau bien trop précieux pour moi.
- Non, il est parfait. Cela me rend heureux.
Il s'imaginait déjà arracher ces tissus de ce corps délicat, de la voir trembler, nue devant lui hormis quelques lambeaux pendant ça et là. Une vision si délicieuse qu'il se sentit durcir sous son pantalon. Bientôt il pourrait fourrer cette jolie petite chose. Ce n'était qu'une question de temps.
Emmanuelle était particulièrement mal à l'aise en sa compagnie mais n'en laissa rien paraître. Elle bu quelques verres du vin réservé aux femmes, grignota des petits fours puis s'assit à la droite du comte quand vint le moment de la représentation. Le temps du spectacle, Emmanuelle oublia ses tracas. C'était absolument magnifique, sublime, incroyablement bien réalisé! Bien entendu, la troupe qui se présentait devant le Roi n'allait pas être celle qu'on voyait sur n'importe quelle place de village. Louis XV était d'ailleurs placé au premier rang, à ses cotés se trouvant la Reine et Madame de Pompadour. La Reine ne venait pas souvent mais si son époux le lui demandait, elle sortait de ses appartements et l'accompagnait. Emmanuelle les apercevait rarement mais à chaque fois que c'était le cas, elle se sentait bouleversée, véritablement. Voir le Roi de si près, le voir comme un homme parmi les autres... Lui qui était le Lieutenant de Dieu sur Terre. C'était touchant de le voir assit là, parlant à son épouse et à sa favorite. Mais surtout de le voir parler à ses enfants, quand ils étaient là. Le Roi n'était qu'un homme et Emmanuelle pourrait presque pleurer pour ça, aussi stupide que cela puisse être. Celui ayant tous les pouvoirs sur tout un peuple n'était toujours qu'un homme.
La pièce et le dîner passés, la nuit était tombe depuis longtemps, l'hiver étant loin d'être parti. Emmanuelle songeait à partir mais comment se débarrasser de son cavalier qui ne souhaitait qu'une chose, la ramener dans ses appartements cette nuit? N'étant pas née de la dernière pluie, Emmanuelle avait bien vite comprit ses intentions! Et elle savait aussi parfaitement que la rigidité des culottes de son cavalier n'était certainement pas due à un pistolet ou un éventail, loin de là. Et sa rapière d'apparat pendait sur son flanc droit.
- Monsieur, il se fait tard et ma maîtresse sera inquiète si je ne rentre pas.
- Vraiment? Est-elle inquiète lorsque vous restez avec Dimitrei Orlov?
- Le seigneur Dimitrei est un ami cher, Monsieur. Ne parlez pas mal de lui je vous prie.
- Loin de là mon idée. Beaucoup disent que vous êtes sa maîtresse, jeune fille.
- Cela est faux, Monsieur. Que ferait-il d'une fille de rien comme moi, lui qui est si grand diplomate?
- Votre beauté surpasse vos quartiers de noblesse absents. Vous en êtes consciente.
- Vous m'aviez promit de ne rien tenter!
- Oh mais très chère, vous saviez au moment où vous avez dit oui pour cette robe qu'il fallait me rembourser...
- Vous souhaitiez ma compagnie!
- Mais je la souhaite ardemment, Emmanuelle, soyez en sûre.
Ils étaient dans un coin isolé et il tentait de la traîner dans les couloirs. C'était dangereux. Emmanuelle sentait son cœur battre à tout rompre contre ses côtes, elle tentait de traîner des pieds, de faire le plus de bruit possible mais avec la musique qui résonnait, c'était peine perdue. Elle n'avait pas envie qu'il la touche! Antoinette avait-elle ressenti aussi ce si profond désespoir? Comme elle la comprenait si elle s'était enfuie, tachant son nom et sa réputation à tout jamais si cela lui permettait d'échapper au viol de cet homme. C'était ce qu'il préparait n'est-ce pas? Il continua à la traîner un moment, puis fatigué de la sentir renâcler à ce point, il la souleva pour la balancer sur son épaule. Emmanuelle cria mais il la secoua violemment pour la faire taire, la faisant cogner contre l'un des piliers. Un peu sonnée, elle resta tranquille le temps qu'il entre dans un salon déserté et il le ferma, laissant tomber la jeune femme sur la causeuse. Elle tenta de se relever mais il la gifla violemment, sa tête cognant à nouveau, cette fois contre le bois du meuble. Emmanuelle était perdue, son esprit ayant du mal à se focaliser sur son agresseur plutôt que sur la douleur. Il ne fallait pas... Non, il ne fallait pas qu'il la touche! Nicolas s'alongea contre elle et elle se débattit mais n'obtint qu'un rire cruel en retour.
- Elles disent toutes non au début mais après elles couinent et remuent les hanches sur ma verge. Toi aussi, jolie petite pute, tu seras ravie de prendre mon sexe et tu en redemanderas. N'est-ce pas?
- Allez en Enfer! Jamais!
Il ricana à nouveau mais ne prit pas la peine de tenir ses mains, il avait besoin des siennes pour se débarrasser de toutes ces couches de tissus. Satanées robes de bal! Gigotant autant qu'elle le pouvait pour le déstabiliser, elle cherchait également un plan pour s'échapper, n'importe quoi. Puis elle le vit. Il était loin mais si elle arrivait à s'étirer un peu... Nicolas l'avait retournée sur le ventre afin de pouvoir atteindre les lacets de son corset et les dénouer. Emmanuelle tendit la mai, s'étirant autant qu'elle le pouvait malgré le poids sur elle. Le bout de ses doigts frôlèrent le méta froid... Les siens touchaient enfin la peau de son dos. Elle serra les dents et tendit encore plus la main, rapprochant l'objet. Elle entendit le tissu craquer et ses petits coussins commencèrent à glisser sur le devant de sa robe. Encore un peu plus et... Nicolas hurla, se tenant son crâne ensanglanté alors qu'Emmanuelle s'échappait, laissant tomber avec fracas le chandelier qui lui avait servit à se défendre. Elle lutta un moment pour ouvrir la porte mais réussit et elle parti en courant, elle avait remonté ses jupons le plus haut possible afin de pouvoir courir plus à son aise. Sa robe était déchirée dans le dos, pendant lamentablement sur ses épaules. Elle entendait les injures derrière elle mais continua de courir, ignorant tout et tout le monde, fonçant aussi vite qu'elle le pouvait jusqu'aux calèches. Elle monta dans l'une et ordonna au cocher de démarrer, qu'il devait aller vite jusque chez Madame de Blois. Seule dans la calèche, transie de froid et de peur, Emmanuelle pleura.
Quand les domestiques virent l'état de la jeune femme, ils coururent réveiller leur maîtresse. Celle-ci se présenta en tenue de nuit, affolée. D'énormes bleus sur le visage délicat, les ornements de la perruque arrachés, celle-ci étant en mauvais état. La robe déchirée dans le dos et sur les épaules. Il lui était facile de comprendre ce qui c'était passé...
- Bonté Divine... Il faut te soigner et te changer.
L'autre hocha la tête et Ophélie le conduisit jusqu'à sa chambre, Malia était réveillé déjà, à cause du bruit. Sous ses yeux écarquillés la jeune femme blessée, cette belle dame qu'il voyait parfois, se métamorphosa en homme, en son Maître, le comte Eric de Saint Germain des Fossés.  

Le mignon de VersaillesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant