Le secret d'Isadora

Chapitre 1

- Isa, je m'en vais, je te dépose ?, hurle Cathy depuis le rez-de-chaussé.

Je rassemble mes affaires en vitesse, enfile la première robe qui me tombe sous la main et descends en trombe dans le hall.

- Attends-moi juste deux secondes, m'essoufflée-je.

J'attrape une paire de bottes presque au hasard et mon incontournable redingote rouge. Je m'admire rapidement dans le miroir : tu es canon ma chérie, m'assure ma conscience.

- Je pars, annonce Cathy tout en fermant la porte.

- J'arrive, crié-je en me précipitant derrière elle.

Je monte dans la voiture à côté d'elle. Elle me sourit, presque avec le sourire d'une mère, puis elle allume le contact et démarre. J'allume la radio. On entend alors un remix de Neiked, Sexual, et Cathy monte le son. On chante à tue-tête, on rigole, les passants nous dévisagent lorsqu'on les double mais qu'importe, un brin de folie avant de commencer la journée ne peut pas nous faire de mal. On arrive devant Queen's, mon lycée et je quitte Cathy en me dandinant sur la musique qui résonne dans la voiture. Elle me sourit et m'envoie un bisous avant de partir pour son boulot. 

Cathy, c'est la plus belle et la plus cool de toutes les femmes que j'ai rencontrées. Depuis l'accident mortel de son fiancé, elle refuse catégoriquement toute relation amoureuse stable et durable ; les hommes sont tous des cons qui n'arrivent pas à la cheville du son Roméo. Il y a trois ans, la solitude a commencé à pesé son poids et une amie lui a parlé des familles d'accueil. C'est ainsi que je me suis retrouvée chez cette éternelle adolescente. N'allez pas croire que c'est une adulte irresponsable, loin de là, mais c'est une amie avant d'être une mère ; elle n'a d'ailleurs jamais cherché à en être une, elle sait pertinemment que personne ne remplacera jamais la femme qui m'a mise au monde. 

Mes parents sont morts dans un accident d'avion il y a bientôt six ans, je n'oublierais jamais ce jour fatidique ou la police a appelé ma grand-mère qui s'est alors effondrée puis m'a recueillie. Elle n'a pas tenue, l'année ; elle est morte d'une crise cardiaque sept mois plus tard, me laissant seule avec mon désespoir. Je me suis alors retrouvée dans une famille d'accueil, à Bordeaux, à seulement une heure et quart de ma ville natale, chez Mr et Mme Lewis. C'est là que j'ai rencontré ma sœur de cœur, Sarah, leur fille, et son frère, Noah... enfin je m'égare.

- Isaaaaaaaa !

Je me retourne pour serrer ma meilleure amie dans mes bras. Bianca, dit Bee de part son diminutif et son amour inconditionnel du miel, est ma seule véritable amie ici ; tout comme je suis sa seule véritable amie depuis que Janet est devenue ce qu'elle est : une pute. 

- Alors ces vacances à Berlin?, demandé-je, t'as trouvé l'homme de ta vie?

Elle éclate de rire avec moi et me raconte tout en détail, depuis son départ le lundi à deux heure trente-six du matin à son retour samedi sous un déluge déprimant. Nous entrons dans l'établissement et nous dirigeons directement vers les laboratoires pour le cours de chimie. Le prof est déjà arrivé alors on s'installe calmement à notre place habituelle tout en continuant notre discussion. La salle se remplie rapidement et nous coupons nos bavardages pour étudier la solution de Dakin. Après un petit quart d'heure, quelqu'un frappe et entre comme si de rien n'était. J'entends Armel et Yacine rire dans le fond de la classe et je leur jette un regard noir. 

- Florentin, je t'ai déjà noté en retard pas la peine de courir après la surveillante, contente-toi de t'asseoir et de ne rien casser, soupire notre professeur.  

 - Même lui à compris qu'on ne pouvait plus rien pour lui, me chuchote Bianca.

Je lâche un petit rire et reprends mon attentive observation de cette fascinante solution. Le cours se termine et nous partons vers le labo de sciences, tous déprimés par un tel châtiment. La professeure de science nous accueille avec son faux sourire habituel et nous présente son éternelle thèse sur le pourquoi du comment nous sommes nuls. Je lance un regard soûlé à Bianca qui lâche un petit rire étouffé. La prof nous rend nos copies. Je déprime devant la mienne, puis je remarque que tout le monde déprime et je relativise : j'ai 8/20, la moyenne est de 7, j'ai une bonne note en fait !

La journée se déroule normalement, Bianca me pose des milliards de questions sur mes vacances et je prétends m'être ennuyée deux semaines, enfermée, seule, dans ma petite maison, sans ma Cathy pour me faire rire ou me sortir au restaurant. Elle y croit dur comme fer et c'est tant mieux. Personne ne sait,  pas même elle, et personne ne doit savoir. Je suis vierge. J'ai seize ans, je suis vierge comme les trois quart de la population. Je suis vierge. A force de le répéter ça peut devenir vrai, non ? Je suis vierge, oui, depuis que je suis ici je suis vierge.