Paris
Octobre 2005Le Bar Panoramique de l'hôtel Concorde Lafayette restait le lieu privilégié des congressistes fréquentant le Palais de la Porte Maillot.
Assis à une table au bord de la grande baie vitrée donnant sur le Bois de Boulogne, le Professeur Siethbüller trinqua au champagne avec son confrère gabonais, le Professeur François N'Gapet, de l'hôpital de Lambaréné.
— Mon cher François, je suis heureux que tu aies pu venir cette année à Paris, depuis le temps que je t'invite ! A ta santé, mon cher ami !
— Santé, bonheur et prospérité ! lança en retour le Pr N'Gapet. Quel bel endroit ! Magnifique vue, superbe hôtel...
— Oui, j'ai toujours aimé venir prendre un verre ici, entre collègues.
— Collègues masculins et féminins ? insinua le gabonais.
— Ha, ha ! Je vois où tu veux en venir, François ! Et tu n'as pas tort car en effet cet endroit est synonyme de tant de rencontres et d'aventures diverses et variées... Tu connais mon penchant pour la gent féminine.
— Disons que tu traînes derrière toi une certaine réputation, Jacques...
— Ah bon ? Je ne savais pas que je renvoyais une telle image... Mais à vrai dire ce n'est pas immérité... Il faut dire aussi que l'on croise tellement de monde dans ces congrès internationaux ! Toutes les nationalités s'y retrouvent. Des américaines, des japonaises, des africaines ou des italiennes... Puis il n'y a qu'un pas du grand amphithéâtre aux chambres d'hôtel ! Ha ha ha ! C'est la faute aux organisateurs...
— Ils ont bon dos ! Ton penchant pour les femmes n'a rien à voir avec la façon dont les congrès sont organisés. Tu es libre de tes choix.
— Ah ! Les choix, voilà une notion bien compliquée. La vie est un chemin semé de choix à faire. Des choix de carrière, des choix de femmes, des choix de destins. Chaque seconde qui passe est un choix conscient ou inconscient, choisi ou subi.
— Ouh là ! le coupa N'Gapet. Tu nous lances sur une discussion bien trop philosophique pour moi. Je jette l'éponge ! Parle-moi donc de tes projets universitaires...
— Oh ! tu sais, les projets sont derrière moi, maintenant. Tu sais que cette année 2005 sera ma dernière ? La retraite en décembre ! Je raccroche les gants, une vie de médecine bien remplie, une carrière universitaire qui m'a comblé, que demander de plus à mon âge ? Maintenant je passe la main à d'autres, je vais profiter des quelques années qu'il me reste à vivre pour voyager, courir le monde à la rencontre de mes amis, dont tu fais partie mon cher François !
— Mais tu es également le bienvenu à Lambaréné. Tu es Alsacien, n'est-ce pas ? Comme ce bon Docteur Schweitzer qui a fait bâtir notre hôpital... Ceci dit, tu n'es pas encore un vieillard !
— Oh ! Soixante et onze ans dans trois mois, ça commence à chiffrer, non ?
— Tu as amplement mérité cette retraite, cher Confrère. Tu as donné de ton temps, de ton savoir pour notre science : la médecine. Tu es devenu une sommité mondiale dans le domaine de la gynécologie et de la génétique ! On te cite souvent chez nous, crois-moi.
— Tu me flattes, là, François !
Jacques but une gorgée de champagne et ajouta en s'esclaffant :
— Mais tu n'as pas tout à fait tort.
François N'Gapet but à son tour une petite rasade et demanda :
— Au bout de toutes ces décennies, quel souvenir garderas-tu de ton activité, Jacques ?
— Ah ! La grande question ! Que garder parmi toute une vie de labeur ? Qu'est-ce qui marque un médecin ou un professeur au terme de sa carrière ? Et d'abord, la médecine est-elle un métier ou un sacerdoce ? Qu'est-ce qui est le plus noble ? Enseigner ? Chercher ? Soigner ? Qu'est-ce qui a le plus de valeur entre une découverte scientifique majeure et une simple vie humaine sauvée ?
— Ou une vie créée, en ce qui te concerne, mon Ami.
— Oui, c'est vrai que j'ai, sinon créé, du moins contribué à créer la vie... ou seulement à aider à donner la vie à ceux qui ne pouvaient pas...
— Tu es un Docteur Frankenstein des temps modernes ! caricatura François N'Gapet en exagérant son accent africain.
— Ah, ah, ah ! J'espère simplement ne pas avoir engendré de Créatures ! s'esclaffa Siethbüller.
Le Professeur N'Gapet éclata lui aussi de rire puis ajouta :
— Plus sérieusement, Jacques, tu as fait évoluer notre spécialité, ta contribution dans le domaine de la PMA restera essentielle.
Jacques Siethbüller, le regard perdu vers le quartier de la Défense, vers cette Grande Arche symbole du Paris moderne des affaires, répondit :
— Tu vois, François, tout change autour de nous, le Paris éternel se modernise, la médecine avance, la science évolue. Quel grand écart déjà entre ces années quatre-vingts et aujourd'hui. Regarde comme la génétique a contribué à changer la donne en matière de conception. Et tous les problèmes collatéraux que cela peut engendrer...
— C'est vrai, Jacques, poursuivit N'Gapet. Le tri d'embryons pour éviter les maladies génétiques, quelle belle avancée.
— Sans nul doute, Cher Confrère, sans nul doute...songea tout haut le Professeur Siethbüller, le regard toujours perdu vers l'extérieur, marquant ensuite un temps de silence.
— Tu ne te sens pas bien ? s'inquiéta N'Gapet.
Jacques parut soudain émerger d'un rêve éveillé :
— Si, si, parfaitement bien... Je songeais...aux dérives possibles : l'eugénisme, ou comment sélectionner une race pure...Le genre d'utopies que développait l'idéologie nazie seraient tellement plus faciles d'accès de nos jours pour des scientifiques endoctrinés...
— C'est vrai, il convient d'être très prudent avec la manipulation des gènes humains, avec les ovocytes, les embryons...
— Oui, François...très prudent... Et cela vaut tout autant à l'échelle planétaire qu'au simple niveau de l'individu...
François N'Gapet vida une gorgée de sa flûte de champagne puis réagit :
— Tu veux dire, par exemple, choisir le sexe de son enfant, la couleur de sa peau, de ses yeux, de ses cheveux... Les Chinois ne sélectionneraient que des embryons mâles, des néonazis seraient capables de créer des clones blonds aux yeux bleus...
— Tout ceci pose des questions d'éthique, de morale médicale... Hippocrate n'avait pas encore prévu la génétique, sans quoi il en aurait fait mention dans son fameux Serment !
Jacques Siethbüller inspira profondément puis posa une main sur l'épaule de son confrère :
— François, nous nous connaissons depuis combien... trente ans ? Tu es mon ami, du moins je veux le croire...
— Je le suis, Jacques, évidemment !
— J'arrive au bout de ma carrière, peut-être au bout de ma vie...
— Allons, Jacques... se récria N'Gapet.
— Tout du moins dans la dernière ligne droite... François ?
— Oui ?
— J'aimerais me confier à toi...
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Trouble Je
Ficción GeneralLorsque Léo apprend la mort tragique de ses deux parents dans un accident de la route, c'est tout un pan de sa vie qui s'en trouve bouleversé. A la perte humaine, cruelle, s'ajoute la découverte, au-travers de documents, d'un passé bien éloigné de l...