Des lignes et des ombres

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Devant le jeune homme s'étendait une place triste, garnie de quelques bancs de pierres et d'un stand rouge qui vendait de plats exotiques,ouverts même à cette heure matinale. Colin monta le petit escalier qui menait jusqu'à son bâtiment, puis le second qui donnait sur son appartement.

Il entra et reprit rapidement les différentes rubriques d'un périodique posé sur la table avant de le poser soigneusement sur une haute pile. Le temps de déposer ses affaires, de refermer la porte, le chien errant de l'immeuble s'était glissé dans son refuge.

Colin grimaça et l'emmena dans le couloir où il avait l'habitude de poser sa gamelle. Le chien le suivait. Des poils gris volaient sur son passage enthousiaste. D'un geste, le jeune homme lui ordonna de ne pas bouger, puis s'éloigna à reculons, surveillant l'intrus qui penchait la tête. Tout le monde l'appelait « le Duc »car l'animal venait chercher son impôt chez chaque locataire. Il habitait le bâtiment depuis toujours. Quand il tombait malade et restait piteusement sur le tapis du palier, toutes les portes s'ouvraient et chacun cotisait pour son rétablissement. En dehors de ces situations exceptionnelles, les habitants du « Triste Palace » se fréquentaient peu. Ce nom sinistre se voulait en accord avec le surnom de la place toute proche. C'était pourtant un endroit confortable. Le Duc l'avait bien compris et n'avait que faire de l'appellation maladroite. Colin lui versa quelques croquettes et se laissa tomber sur son canapé mou. Le chien finit rapidement sa maigre pitance et sauta à ses cotés Son élan fut si vif que la tour de papier et les journaux échouèrent aux pieds de leur propriétaire.

« Satané chien » lâcha-t-il, ne parvenant pas néanmoins à cacher son sourire.

                                                                    ***

L'homme se cachait sous sa couette. Il avait entendu quelqu'un frapper à sa porte et cela l'angoissait toujours. Il devinait qu'il s'agissait du facteur ou bien de son cousin. C'était la même personne, bien sûr,mais l'un apportait des nouvelles et l'autre en demandait.

Colin se leva et vérifia qu'il n'y avait pas de lettre ou d'avis de passage devant sa porte.

Ce n'était donc pas le facteur. Il attendrait que le cousin reparte,comme à chaque fois.

Il retourna sur son lit et griffonna plusieurs mots sur une page déchirée.

« Le sentiment de l'inaccompli qui ronge et qui malmène.

Poussé jusqu'à l'angoisse de ne plus être capable d'assumer, de ne rien faire du tout ».

Il comprenait pourtant qu'il lui suffisait de se lever, de sortir pour changer, mais cet appartement lui semblait clos.

Il devrait aller à l'extérieur pour travailler et voir sa famille mais il savait ce qui l'attendait dehors. L'hostilité des autres. Il sentait cette tension, comme un fil près à se rompre et il imaginait un mot d'ordre silencieux avant d'être submergé par cette foule qui le haïssait. Ici, il était en sécurité. Pas de regard appuyé qui lui occasionnerait cette gêne et cette sueur en haut du front.

Les volets restaient fermés et la lumière des écrans lui brûlaient les yeux. Curieusement, il appréciait cette agression.

Chaque pôle de lumière à sa place.

L'ordinateur au fond à gauche.

L'éclat doux de son petit réveil rond au pied du lit.

La lampe de chevet pour ses lectures.

Enfin,le luminaire du plafond, faible mais tenace qui enveloppait la pièce de son fragile halo. Il semblait éternel et l'homme ne se rendait pas compte qu'il s'atténuait avec le temps.

Accords PerdusOù les histoires vivent. Découvrez maintenant