1. Andréa

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Encore une journée à accueillir les âmes perdues. L'emploi qui m'a été confié n'est pas des plus intéressants, il est répétitif au possible et donc, très ennuyeux. Depuis mon retour de l'Ombre, le lieu s'apparentant le plus à l'Enfer, ainsi que la confiscation de mes ailes, on m'a assigné à ce poste, pour soi-disant me mettre à l'épreuve, et voir si l'on peut me faire confiance. Je ne vois pas en quoi inscrire les âmes arrivantes dans un registre et les guider vers leur nouveau lieu de vie peut prouver quoi que ce soit. Je m'acquitte néanmoins de cette tâche, histoire que l'on me laisse tranquille. Mon seul plaisir est de rentrer chez moi, dans le bungalow que l'on m'a attribué, et de me balader dans cette nature fossilisée.

Ici, rien ne change ; ni la météo, ni l'espace-temps, ni le décor. Il fait toujours bon, les fleurs restent épanouies. La journée, le soleil brille en permanence et lorsqu'il se couche, la lune et les étoiles prennent le relais, éclairant si intensément le ciel que l'on y voit quasiment comme en plein jour. Nous vivons de l'Autre Côté, un entre deux monde, qui n'est ni l'Ombre ni la Lumière, où le bien et le mal s'équilibrent. Les âmes qui séjournent ici ne sont que de passage, le temps qu'un être plus gradé décide de leur destinée, en fonction de ce qu'elles ont fait de bien ou de mal de leur vivant.

Je me rends directement chez moi après le travail, ne rêvant que de me détendre un peu. C'est assez paradoxal, mais même les morts ont besoin de repos ; nous avons besoin de recharger notre énergie, afin de réduire notre fréquence vibratoire au maximum. Si celle-ci est trop élevée, nous risquons de changer totalement de personnalité, de devenir mauvais, et de finir notre éternité dans l'Ombre, là où se trouve la place des Démons et des âmes noires.

Personne ne ferme sa porte ici. Il n'y a rien à voler, pas d'objet de valeur ou d'argent. Il n'y a rien de matériel qui puisse rappeler notre ancienne vie terrestre et nous différencier socialement les uns des autres. Seul le port d'un vêtement blanc est obligatoire, au moins un tee-shirt ; le bas du corps importe peu. Ce n'est pas une question de pureté, comme on pourrait le penser, mais une histoire de hiérarchie. Il existe différentes catégories d'anges, et malheureusement je ne fais pas partie des plus hauts gradés. Selon notre rang, nous pouvons accéder, ou non, à certains endroits. Il n'y a pas de triche possible et si je décidais de porter un vêtement rouge, couleur dédiée aux grands chefs, je ne pourrais pas accéder à leurs quartiers pour autant. Tout fonctionne à la nature de l'âme ici, tout est automatisé.

Mon bungalow est situé face au grand lac, que j'adore admirer pendant mon temps libre, assis sur ma terrasse tout en sirotant un café. Il n'est pas très grand, mais pour une personne c'est bien suffisant. La décoration est laissée au goût de chacun. Moi, j'ai choisi la sobriété : peu importe la décoration tant que c'est propre. En entrant dans le petit salon entièrement blanc et très lumineux, j'ai l'impression que je ne suis pas seul.

— Qui est là ?

Pour toute réponse, je ne reçois qu'un gloussement qui vient de la pièce d'à côté. Je soupire. On ne peut donc jamais être tranquille chez soi.

— Salut June.

— Salut beau blond. Content de me voir ? minaude-t-elle.

— On n'avait pas dit qu'on ne se voyait pas tous les jours ?

— Ah bon, on avait dit ça ? glousse-t-elle de plus belle. C'est spécial aujourd'hui, je voulais t'annoncer que je vais sans doute avoir une promotion.

June est une amie. Je l'aime bien, elle est sympa et elle représente pour moi une distraction plus qu'agréable, mais là, j'ai besoin de prendre un peu temps pour moi.

— On dirait que tu as passé une mauvaise journée mon chou.

Je n'aime pas les petits surnoms, surtout lorsqu'il n'y a pas de sentiments derrière. June est charmante, blonde aux yeux d'un bleu intense, et elle est toujours là quand on a besoin d'elle. On passe pas mal de temps tous les deux, à discuter, à se promener, et à coucher ensemble lorsqu'on en ressent l'envie. Il ne s'agit pas d'une relation de couple entre nous, je ne veux pas de ça, je l'ai prévenue dès le départ. Je ne me sens pas prêt à me caser sérieusement avec une femme, et je pense même que je ne le serai jamais. Ce n'est pas pour autant que je papillonne avec d'autres, je n'en ai ni le temps ni l'énergie. Une seule femme représente déjà son lot d'ennuis potentiels, et June me donne souvent du fil à retordre. Elle est d'un naturel assez possessif, et bien que je lui répète que notre relation est purement amicale – une amitié améliorée certes – elle n'en fait qu'à sa tête et devient une vraie tigresse lorsqu'une autre fille m'approche.

Liés corps et âmes (Sous contrat d'édition)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant