Smells of Sadness

311 40 11
                                    

Dire que je ne passais pas par ces mêmes rames ce matin-là reviendrait à dire que la créature de la veille était la réincarnation de la laideur. La routine s'était installée sans que je puisse l'en empêcher, et même par tous les moyens, je repasserai par les rames de la station Zoo. Je voulais revoir ce bel inconnu.

Et comme une récompense à mes prières, la chance me sourit ce matin-là, à 6 heures 50 précisément. Il était là, du même côté de rames que moi, assit patiemment sur ces bancs sales de métros.

Telle une petite fan surexcitée devant sa plus grande idole, je me posai à ses côtés, avec la discrétion d'un ninja siamois. Mais ma "légendaire furtivité" me trahit quand je posais mon postérieur à côté de la magnifique forme de vie inconnue.

- Bonjour.

Son sourire me fit l'effet d'une bombe. Et son bel accent anglais, que j'entendais si peu souvent dans les rues de Berlin, fit prendre à mes joues une teinture entre le rouge alezan et carmin.

- Bon... Bonjour.

Sa bouche forma un nouveau petit sourire juste avant de tourner son magnifique visage vers le métro qui arrivait. Le mouvement rapide de celui-ci fit s'envoler mes cheveux chocolat, ce qui me fit lâcher un juron, alors que j'essayais de les retenir. L'homme, ou plutôt la beauté, à mes côtés ricana, alors que le métro s'arrêtait devant nous, et que commençait le va et vient bruyant des fonctionnaires se rendant à leur travail.

- Un problème avec vos cheveux, mademoiselle ?

- Un peu. J'aurais mieux fait de les attacher.

Tout en replaçant un tant soit peu mes cheveux correctement, je me tournai vers le gentleman, bien décidée à avoir une conversation convenable avec lui.

- Je suis sûre que vous êtes très jolie avec un chignon.

C'était maintenant au bordeaux de prendre place sur mes joues.

- Je ne les attache que très rarement.

- C'est bien dommage. Un si beau visage mérite d'être découvert et à la vue de tous. Ou du moins à celle des plus méritants.

J'allais rétorquer au fait qu'il se trouvait certainement lui-même être un méritant, mais le départ du métro me coupa, tout en balayant encore une fois mes cheveux dans tous les sens.

- Ce n'était pas votre train celui-là, mademoiselle ?

- Je le crains. Mais tant pis, je prendrai le suivant, et arriverai en retard à mon foutu travail. De toutes façons, ce n'est pas cela qui va changer le fait que ce soit un boulot de merde.

- Quel est-il ?

- Oh non, rien de trop intéressant. Un travail lassant, m'obligeant à faire chaque jour la même chose.

- Ne songez-vous pas à en changer ?

- Bien sûr que si, mais malheureusement, je ne peux pas. Il me permet malgré tout de vivre, et je n'en trouverai pas d'autres de toutes manières. Et vous, pourquoi n'avez-vous pas pris ce métro ? Vous n'avez pas un travail qui vous attend ?

- Oh non. J'erre dans les stations de métro, à la recherche d'inspiration, par exemple. Son bruit, ses odeurs, son charme si particulier, me rassurent, et me transportent.

Je buvais ses belles paroles. Littéralement.

- Qu'entendez-vous par "ses odeurs" ?

- J'ai l'impression que chaque chose est assimilée à une odeur. Les métros, en général, sont caractérisés par les odeurs de pisses, celles qui répugnent.

- Et là. Que sentez-vous ?

- L'odeur de la tristesse.

Il plongeait son regard veron, couleur que je n'avais pas remarqué jusqu'à lors, dans mes yeux havanes. Je me sentais transpercée par ses magnifiques iris, comme un mur auquel on planterait un clou. Mais son regard était à la fois doux, et énigmatique.

Le moment d'allégresse et de légèreté dans lequel je m'étais plongée fut, à mon plus grand désespoir, troublé par l'arrivée du métro, que cette fois-ci je ne pouvais louper.

- Je... Je suis désolée, murmurais-je en me levant maladroitement. Mais je dois vraiment prendre ce train.

- Je ne vous retiens pas, darling.

Je le vis me regarder, un sourire au coin des lèvres et les jambes croisées, alors que je m'engouffrais dans la voiture de fer sur les rails.

L'odeur de la tristesse était la plus belle des odeurs.

Le Dandy de la Station Zoo | David BowieOù les histoires vivent. Découvrez maintenant