Chapitre 1

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Tapie dans le grenier de la famille Turmin, Morgane lisait.

Elle lisait le carnet de sa soeur.

Elle lisait le carnet d'Hélène.

Il était couvert de lettres fines et entrelacées, tracées à l'encre violette, qui contaient les péripéties de Gwenaëlle.

Gwenaëlle était une fée qui était née de l'imagination débordante et farfelue d'Hélène. Elle avait jaillit de sa caboche comme l'eau d'une source. Comme tous les cours d'eau elle avait grandi au fil du temps. Elle avait continué sa route, croissant de jours en jours, devenant ruisseau, rivière puis fleuve sous le regard bienveillant de sa créatrice. Or tous les fleuves se jettent dans la mer.

« La voiture accélérera, effectuant un à coup qui s'est avéré être le dernier. Un camion surgit, par la droite, tel un monstre de ferraille, furibond. Le conducteur tenta de l'éviter avec les gestes désespérés d'un condamné. Il pressa violemment la pédale de frein en actionnant le volant. Mais c'était trop tard. J'ai vu avec horreur les deux véhicules s'embrasser, comme des aimants, et c'est dans ce baiser funeste que je trouvais la mort

Une larme franchit timidement la barrière des yeux de Morgane, puis une autre. Elle dévalait ses joues, bientôt suivie par de nouvelles.

Morgane pleurait.

Gwenaëlle était une fée extravagante et attachante, venue sur Terre pour découvrir les hommes, la glace à la vanille, Molière et les cormorans.

En soit, l'histoire au départ, n'était pas très originale: c'était la plume d'Hélène qui changeait la donne.

Elle confiait tout à sa cadette, le soir dans leur chambre, avant de le mettre en forme dans son précieux carnet. Lorsqu'elle lui dévoila le décès de son héroïne, un matin avant de partir voyage, Morgane protesta longuement. Elle ne voulait pas abandonner là les péripéties du personnage loufoque qui l'avait accompagné pendant toute son enfance.

« Qui te parle d'abandonner Gwenaëlle?» lui avait alors répliqué sa soeur, « Tu sais, il y a des gens qui croient qu'il y a une vie après la mort. J'ai envie qu'elle explore l'au-delà.

-Mais elle venait juste de trouver son âme sœur !!! Ils allaient faire le tour du monde ensemble !!!

-J'ai besoin d'une pause, l'inspiration m'a délaissé, cette traitresse !» avait dit Hélène écartant les bras dans un geste théâtral et se laissant choir sur le lit, à coté de sa sœur. « En plus, ça me fera réfléchir sur ce qui arrive quand la faucheuse t'as fauché.

-Mais t'es vraiment sadique! Et moi alors ?

-Tu m'aideras ! Au pire on la ressuscitera ! »

Hélène avait observé la mine perplexe de sa sœur en souriant, puis lui avait ébouriffé les cheveux. Morgane s'était jetée sur son ainée. Quoi de mieux qu'une bonne vielle bataille de chatouilles pour se réconcilier ?

Le soir même, la plus âgée bouclait sa valise.

«Mince! Faut que j'me bouge ! Marc et Théa arrivent dans deux minutes ! »

Il était huit heure du matin et l'ainée des Turmin s'activait dans toute la maison avec la délicatesse d'un éléphant en patrouille. Une tartine à la confiture framboise dans la bouche, les cheveux mouillés et en bataille, sautillant sur un pied en essayant d'enfiler une chaussette sur l'autre, la jeune fille faisait preuve d'une grande agitation. De toutes façons, même en ayant tout préparé la veille, elle était incapable d'être à l'heure. C'était sa marque de fabrique.

« Maman, t'aurais pas vu mes écouteurs ! Mégane tu peux me prêter ta brosse à ch'veux s'te plait ? Merci. Zut, zut, zut, ils sont dans l'allée ! Bon j'prend une pomme pour la route. Mes chaussures ! Où sont passées mes chaussures ! Ah ! Trouvées ! »

Finalement, elle réussit à tout réunir, à peu près, avec six minutes de retard seulement. Sur le seuil de la porte, c'était le temps des aux revoirs. Les parents embrassèrent leur fille en lui souhaitant un bon voyage. Puis les deux sœurs se retrouvèrent face à face.

« Salut.

-Fais pas cette tête, soeurette ! Quand je reviens, on ira manger de la glace chez Coudert ! Et puis on écrira la suite de l'histoire», dit la grande brune en faisait un clin d'oeil à sapetite sœur.«Je te laisse mon carnet pour que tu puisse commencer.

-Tu vas me manquer Hélou !», pleurnicha la cadette en se réfugiant dans les bras de sa sœur.

« Hé! Je pars pas pour le front ! J'y reste trois semaines, même pas !

-Bisous ?

-Bisous. »

Quand elle fut assise dans la voiture, la voyageuse se retourna pour jeter un coup d'oeil à sa petite sœur qui agitait frénétiquement les bras. Elle sourit, abaissa la fenêtre, passa sa tête en dehors del'habitacle et cria :

« T'inquiète sister, j'reviens, c'est promis! Souri en attendant ! Je t'aime !

-Moi aussi, fais attention, prend plein de photos et surtout, reviens en un seul morceau ! »

Hélène rit, envoya un dernier baiser volant à Morgane et partit avec ses deux amis. Elle franchit, avec ses trois amis, le portail des Turmin, en route vers l'aventure.

« La place du mort n'a jamais eu autant de sens qu'à ce moment là. »

Une nouvelle rafale de sanglots secoua Morgane. Elle hoqueta. Ça lui faisait mal mais elle voulait continuer, c'était malgré tout une partie de sa sœur, une des seules qui lui restait. Qui aurait pu croire que l'auteur aurait une fin si semblable à celle de son personnage ? C'était tragique. Vraiment.

Une seule question hantait la benjamine : « Pourquoi ? ».
Sa sœur était si jeune, pleine de projets, plus ou moins farfelus, et de rêves à n'en plus finir. Elle souriait, c'était la meilleur grande sœur que le monde aurai pu lui donner.

Prise d'une rage folle elle se leva et hurla, crachant au plafond toute l'amertume qu'elle ressentait.

Elle renversa la chaise à coté d'elle, donna un puissant coup de pied dans une pile de vêtements et piétina le sol, laissant libre cours à la colère fulgurante qui l'habitait. Au premier abord, elle ressemblait à un ouragan impétueux se déchaînant sur toutes qui se trouvait sur son passage mais, au fond, elle était comme un animal blessé. Elle était perdue, désorientée et surtout, elle était triste.

«T'as pas le droit. Tu m'avais promis.» souffla silencieusement Morgane d'une voix muette, étranglée par les sanglots et effacée par sa peine, avant de se laisser tomber au sol.

Au nom du PamplemousseOù les histoires vivent. Découvrez maintenant