Assise sur un des bancs froid de l'Église, Morgane se taisait.
Elle n'avait plus pu prononcer un seul piètre mot depuis qu'elle savait.
Si ses yeux ne pleurait plus son cœur, lui, sombrait comme le Titanic dans l'océan Atlantique.
Le prêtre continuait son long monologue, les amis pleuraient et les parents tentaient de rester dignes.
Seuls les enfants ne semblaient pas saisir la gravité de la situation.
Il n'avait pas encore réalisé que, non, Hélène ne viendrait plus les garder quand "papa"et "maman" sortaient en amoureux et que, non, elle ne leurs apprendrait plus à faire des mini-haltères avec des pâquerettes.
Alors, puisqu'aujourd'hui, les adultes avaient décidé d'être ennuyeux, il était primordial de s'occuper.
Certains couraient dans les allées de la nef en criant et on les avait fait sortir de force en rouspétant. D'autres avaient opté pour la créativité et recyclaient les feuilles de chants en jolis origamis. D'autres encore, coupés dans leur sommeil par un réveil trop matinal à leur goût finissaient leur nuit, affalés sur leur chaise.
En temps normal, Morgane aurait surmonté sa peine et les aurait rejoint. Elle aurait même esquivé la cérémonie.
Mais c'était l'enterrement d'Hélène, elle se devait d'y assister jusqu'au bout.
Alors elle restait droite,les traits tirés, raide comme un tronc, résistant avec difficulté au tsunami d'émotions qui la submergeait.
Elle se levait quand il le fallait et s'asseyait au bon moment mais lorsqu'elle fut debout, devant l'ambon, elle resta sans voix.
Hélène l'avait emportée.
Les pleurs l'avait étouffée, les cris l'avait éraillée et la tristesse l'avait assassinée.
Au moment de faire son discours, de faire ses adieux, Morgane était muette.
Alors ses larmes refoulées revinrent à l'attaque et Morgane s'enfuit.
Elle fuit cette réalité, trop dure pour elle.
Elle descendit du coeur en marchant, jeta un dernier regard au cercueil et sorti. Elle suffoquait. La jeune fille pressa le pas puis, quand elle franchit les lourdes portes de bois, s'élança, droit devant.
Le vent, bon enfant, soufflait dans ses cheveux.
Il faisait beau.
C'était horripilant.
Alors, Morgane accéléra, encore et encore, jusqu'à atteindre la mer. Elle longea la falaise jusqu'au refuge.
Le REFUGE, elle l'avait créé avec sa soeur, quatre ans auparavant.
La météo était clémente aussi ce jour là. Hélène avait emmené sa cadette faire une balade. Elle voulait lui montrer quelque chose. Elles avait emprunté un chemin escarpé, l'une derrière l'autre, chargées d'un balais, de vieux draps et d'un paquet de cookies. La mer était bleue. Les deux sœurs était parvenues jusqu'à une cavité dans la roche dissimulée par un amas de végétation.
«Voila », avait alors dit Hélène. « Ce sera notre cachette secrète! Quand on sera triste ou en colère on pourra venir ici.
-Waouh...
-Bon, c'est pas tout, mais on a du pain sur la planche! »
Ainsi les deux jeunes filles avaient passé la journée à aménager leur grotte en dépoussiérant tout l'espace, en rembourrant les vieux draps de fougères pour en faire de rustiques fauteuils et bien sûr en engloutissant les gâteaux.
Quand elles estimèrent en avoir assez fait pour la journée, Morgane et Hélène se laissèrent choir sur leur siège de fortune. De là ou elles étaient, elles pouvaient voir la mer et un bout de ciel, grâce à une fente dans la roche. Le soleil flamboyait, juste au dessus de l'eau. On pouvait déjà voir certains astres.
«On est bien là, avait murmuré la benjamine.
-Oh yeah... Je pense que je pourrais passer ma vie ici tellement c'est calme et agréable.
-Un vrai p'tit paradis sur terre.
-Ouais, notre petit paradis» avait soufflé l'aînée, le sourire aux lèvres.
Depuis, elles n'avait cessé d'aller et venir au REFUGE: Repaire Étonnant Formidables et Ultra Génial des Étoiles. Elles le perfectionnaient constamment tant et si bien que l'endroit était devenu vraiment confortable. Un panneau de bois faisait office de porte. À l'intérieur se trouvait un matelas bien bombé, paré d'une paire de coussins brodés par leurs soins. Une table se dressait fièrement, récemment repeinte, au milieu de la pièce, encadrée par deux poufs bariolés. Sur la paroi rocheuse régnait majestueusement une immense fresque colorée, faite de craies, de peinture et de coquillages. Elle illustrait les chroniques de Gwenaëlle, la mer et l'imagination des deux sœurs. Ces dernières en étaient très fières.
Morgane entra une énième fois dans la grotte, le cœur lourd. Elle se laissa choir sur le matelas, les idées sombres lui assaillant l'esprit. Alors elle se focalisa sur le ressac des vagues en contrebas, essayant de ne plus penser à rien. Sa respiration se fit plus profonde et elle s'endormit, entrant dans le monde étrange où la logique n'a pas sa place et où l'imagination est la seule limite.
Vous l'aurez compris, Morgane rêvait.
Elle courait à en perdre haleine mais elle n'était pas essoufflée. Elle était pieds nus sur des galets mais ne tombait pas. Aucune vague ne contrariait la mer. Il fallait qu'elle arrive à temps. Elle le savait. Les minutes s'écoulaient à une vitesse folle. Alors elle accéléra comme jamais elle n'avait accéléré. Hélène était là, flottant sur l'onde. Morgane voulut crier mais sa voix ne voulait pas sortir. Sa sœur esquissa un sourire peiné et lui tourna le dos. Elle commença à gravir des marches invisibles. La benjamine se précipita dans l'eau mais elle était glacée. C'était insupportable mais pas insurmontable. La jeune fille entreprit d'avancer. Le liquide était compacte. Elle avait du mal à progresser. Soudain Hélène s'arrêta, redescendit en courant et rejoignit Morgane. Elle la prit dans ses bras et l'étreignit. « Je t'aime ».
Le décor disparu et la cadette se retrouva seule. Une main apparu et lui tendis un stylo violet. Tremblante elle s'en saisit et commença à tracer des lettres. Ces lettres formaient des mots, ces mots formaient des phrases et de ces phrases naissaient des images qui s'éveillaient et s'animaient tour à tour. Elles envahirent tout l'espace formant une jungle abstraite et mouvante. Une voix flotta jusqu'à ses oreilles. Rassurante malgré le peu de termes qu'elle avait prononcé .« Je peux t'aider, tu sais».
Une silhouette apparut et la jeune fille attrapa la main qu'elle lui tendait. Elle eu le temps d'apercevoir un sourire bienveillant et le monde se troubla.
Elle se réveillait.
Morgane ouvrit les yeux. Par la fente elle pouvait voir les étoiles. Il était temps de rentrer.
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Au nom du Pamplemousse
Novela JuvenilMorgane est perdue. Elle est perdue mais surtout, elle est triste. Vient alors Adèle. Un jeune garçon qui l'aidera à se relever. A faire son deuil. Tout commencera par un simple théorie. La Théorie du Pamplemousse.