- Chapitre 2 -

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Le vent s'est levé, un souffle doux qui fait danser mes cheveux en ce début d'été. La portière se referme et un petit bruit de verrouillage se fait entendre.

- Je sais qu'on n'a plus l'âge mais tant pis, murmure Tiny en posant sa main sur mes omoplates. On ira chercher la robe de mariée dans deux ou trois heures.

Nous avançons vers un portique en bois qui prend de haut deux jeunes filles. "Twised Land" y est inscrit, ça me rappelle un vague souvenir mais sa signification s'est perdue en chemin.

Nous entrons sur le terrain boueux, à moitié séché par le soleil tapant. De grands carrousels tournent avec quelques enfants heureux qui rient aux éclats. Une délicate odeur de gaufres cuites se mélange aux multiples confiseries étalées sur les stands.

Le chemin continue, Tiny est aussi excitée que les petites à l'entrée. Elle me laisse à peine le temps de contempler les alentours, son objectif est fixé.

À la fin du long kilomètre, nous nous retrouvons face à un ancien manège entièrement blanc. Son état n'est pas aussi moderne que les autres, de grands chevaux clairs se dressent à côté des carrosses et des bancs. Ça tourne, continuellement. Il n'y a personne dessus, nous sommes les seules à accorder notre temps à sa contemplation. Même le marchand est affalé sur sa table à tickets où l'argent n'est pas disposé. C'est un vieil homme, on dirait qu'il a passé toute sa vie à gérer ses manettes et à remarquer que les nouvelles générations veulent du renouveau technologique et non un carrousel vintage.

Tiny se racle la gorge, l'homme se relève et se dirige vers nous à petits pas, un sourire déplisse gentiment ses rides, comme s'il nous avait toujours attendues.

- Comme vous avez grandi! S'exclame-t-il d'une voix enrouée. Il nous fait une brève étreinte mais je ne le connais pas, ou reconnais pas.

- On pourrait dire de même pour vous, ricane Tiny en donnant un billet.

Le vieillard rit à son tour et nous indique des places "habituelles" a-t-il dit. Pour moi, c'est une découverte.

- On va vraiment faire un tour là-dessus? chuchotai-je en gravissant les marches.

- C'est ce qu'on a toujours fait, bredouille Tiny. Il n'y a personne aux alentours, si c'est ça qui te dérange.

Elle a usurpé mes pensées et malgré tout, je grimpe sur le cheval indiqué, côte à côte. Nous frôlons le ridicule mais soit, je l'oublierai rapidement.

Mon corps monte et descends, le visage impassible. Je regarde ma meilleure amie et plonge dans ses yeux comme dans un gouffre à souvenirs.

Le soleil brille de milles feux, des bouclettes brunes encombrent mon visage mais je peux très bien contempler le sourire de Maman. Je me sens bien, tellement bien. Un garçon a volé mon cheval de l'année dernière mais tant pis, j'ai adopté un autre avec une crinière bien plus douce. Je passe ma main dans ses poils synthétiques, le vendeur crie que je dois tenir la corde mais je n'ai pas peur de tomber. Nous tournons, encore et encore, dans les voix gaies des plus jeunes, les rires des parents, l'odeur de la nourriture frie, les chansons des carrousels et les lumières multicolores qui les ornent.

Je descends les marches tristement, je sais très bien que je ne reviendrai pas avant l'été prochain. Chaque année ce moment me semble de plus en plus court.

- Hé, tu as perdu ça! s'écrie une petite fille brune en me pressant l'épaule. Je me tourne et aperçois un bracelet argenté brillant, inconnu.

IndéniableOù les histoires vivent. Découvrez maintenant