Chapitre cinq: Le tour du Monde

62 17 0
                                    

«Le verdict tombe, tel un coup de poignard:

"Je suis désolé de vous l'apprendre, mais il ne vous reste que trois mois à vivre."

C'est là que mon voyage commence.
Il faut vite trouver la première destination de mon périple: Londres, Berlin, Paris?
Je file dans la nuit, un soir, essayant de ne pas me faire voir, discrètement, sans réveiller mon fiancé.
Et tel une ombre qui n'a jamais existé, je disparais, à tout jamais.
C'est cruel, oui. Mais ils ne m'empêchera pas de vivre ma vie.»

J'ai directement reconnu ton écriture si agréable à lire sur la première page de ton carnet. Ce texte était accompagné d'une photo. Celle que j'ai prise la première fois que je t'ai vu.
Toi, dans ta robe à fleures, avec ta natte blonde.
C'était sur une plage au Mexique. J'étais venu là pour faire le tour du monde, comme toi. Alors je t'ai suivi.
On l'a fait, ce tour du monde.
L'Allemagne, les Etats-Unis, l'Ecosse, l'Egypte, l'Amérique du Sud, la Chine, la Russie, l'Australie, le Japon, et l'Inde...
Et tu es morte trois mois plus tard.
C'était un samedi matin. Je m'en souviens bien car c'était le jour où avait eu lieu la fête des couleurs, à New Delhi.
Tu étais debout, à sauter, et puis l'instant d'après, tu étais dans cette ambulance, morte.
Morte.
Tu me disais toujours que la mort n'était qu'une banalité, que la mort, c'était la vie, et que trop la fuir ne faisait que retarder l'inévitable.

C'est ce que tu as dit à ce vieil homme, tu sais, en Chine, celui qui pleurait en face de la tombe de sa femme.
Il aurait pu mal le prendre. Te dire d'aller te faire voir.
Puis, tu as rajouté ces mots:

«Si votre femme avait voulu que vous vous lamentiez sur son sort, elle vous l'aurait dit. Mais elle ne l'a pas fait. Elle vous a laissé en vie. Alors il est temps de réaliser ses rêves, pour pouvoir tout lui raconter une fois là-haut.»

Je me souviens de toutes les paroles que tu as dites. Je me souviens de toutes les choses que tu as faites, de toutes les personnes que nous avons rencontrés, de tous les lieux que nous avons visités.
Nous avons rencontrés beaucoup de gens, de toutes les couleurs, parlant toutes les langues, et pourtant, pourtant, c'est en voyant la diversité du monde que j'ai compris à quel point nous nous ressemblions tous.
Tous, attendant une seule chose, cette mort, si effrayante.
Comme ce banquier, a Wall Street. Dans les films, ils sont tous à courir partout, téléphone à la main. Mais lui, lui restait là, assis sur un banc, à regarder les nuages.
Tu te souviens quant il nous a dit pourquoi il faisait ça?

«La neige est un poème. Un poème qui tombe des nuages en flocons blancs et légers. Ce poème vient de la bouche du ciel, de la main de Dieu. Il porte un nom. Un nom d'une blancheur éclatante. Neige.»

Et la neige a commencé à tomber sur New York. Et tu t'es mise à rire sans raison. Et ton rire courait les rues, défiant les passants aux humeurs maussades, attirant tous les regards sur son passage.

Et un autre jour, en Écosse, où nous étions aller dans un château, perdu au milieu d'un No man's Land,  et que nous nous étions mis à faire un cache cache. Les gens nous regardaient comme si nous étions fous, puis petit à petit, s'étaient mis à jouer avec nous.
Je me souviens très bien de cette femme, qui devait bien avoir 70 ans. Elle était venue nous voir, et nous avait dit:

«J'ai vu bien des choses dans ce monde, rencontré bien des gens, mais vous, vous êtes les personnes qui m'ont permises de m'amuser le plus en une heure. Merci. »

Notre âme d'enfant, elle avait été retrouvée, enfuie sous les décombres de l'adolescence, et ne nous avait plus quittée depuis.
Tu avais cette facilité à faire briller tes yeux comme une enfant devant une boutique de bonbons.
Oui, et tu t'es retrouvée une fois devant une boutique de bonbons. C'était à Paris. Nous avons dévalisé ce magasin ce jour-là.
Et puis, on s'est installés sous la Tour Eiffel, et on s'est enfilés des bonbons jusqu'à en avoir mal aux dents, puis, à la fin, on a distribué le reste à des enfants ou des Sdf, et tu as dit à l'un d'eux:

«Levez-vous, et partez, partez tant qu'il en est encore temps. Vous êtes encore jeunes, tout n'est pas fini. Vivez, Si vous n'avez pas vécu ici, vous vivrez ailleurs, alors s'il vous plaît, vivez, vivez pour moi.»

Tu avais cette facilité déconcertante à faire revivre les gens. Je ne savais pas encore que toi, tu en mourrais.

Je me souviens de tes mots, un jour:

"Nous sommes tous condamnés à mort par la vie elle-même."

Tu avais raison.
Et nous en sommes la preuve.

Un souffle de vieOù les histoires vivent. Découvrez maintenant