Amitié ou coeur brisé

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Les yeux bouffis par la nuit trop courte que je viens de passer, j'enfile la chemise blanche du collège de Stanford. Rien à voir avec la prestigieuse école de droit de New York, c'est un simple collège de deux cents élèves situé à quinze minutes en bus de chez moi. Je suis en troisième, avec Élise ma meilleur amie et Angeline, la fille la plus cultivée que je connaisse : elle a déjà lu la moitié de la bibliothèque et en connaît plus sur le Moyen-Âge que le prof d'histoire. Je me regarde dans le miroir. Ma jupe bleu marine est parfaitement cintrée sur mes hanches et mes cheveux blancs, noués en queue de cheval par un ruban rouge, reflètent les rayons du soleil qui s'échappent de la fenêtre. J'ajuste quelques mèches, enfile mes lunettes bleu ardoise et passe un petit coup de gloss sur mes lèvres fines. Je glisse mes pieds dans mes mocassins noirs, prends une grande inspiration et passe ma sacoche en cuir par dessus mon épaule.
Nous sommes vendredi 13 avril. Je me récite le programme de la journée pour ne rien oublier. En première heure SVT en TP, ne pas oublier ma blouse et je suis placée à côté de Darwin, je vais donc passer le cours à me tordre les mains et à rougir tel une tomate cramoisie... et je ne supporte vraiment pas d'avoir l'air timide.
Je secoue la tête pour éloigner de moi ces pensées sombres tout en dévalant l'escalier quatre à quatre. J'attrape mon habituel thermos de café et cours rejoindre Angeline pour prendre le bus. Avec ses petites lunettes rondes et son livre, elle ressemble à un personnage de manga. Elle me prend par le bras et m'entraîne à l'arrière du bus.

"Aujourd'hui, c'est le grand jour ! Me dit-t-elle avec son sourire malicieux. Sa cravate est nouée de travers et son chemisier est mal repassé.
- Chut, dis-je en la regardant sévèrement. T'es pas capable de t'habiller correctement pour une fois ?! Répliquais-je froidement.
- Oulala, si Cassi me fait une remarque sur mon uniforme super original c'est qu'elle est TRÈS stressée, dit elle en appuyant sur chacun de ses mots le regard rieur."

En effet, aujourd'hui j'ai promis à Angeline et Élise que j'irais parler à Darwin pour l'inviter à ma soirée de Rallye que mes parents organisent chaque années. Ce garçon accapare mes pensées depuis que je suis petite. Toutes les filles lui courent après, sans doute parce qu'il est le fils d'un des plus hauts dirigeants de notre district. Cependant il n'a jamais accordé un seul regard à l'une d'entre elles, y compris moi.
Il est grand, élancé, les cheveux blonds et les yeux bleus clairs. La seule chose que je sais sur sa famille c'est qu'il a un frère jumeau dans le collège, beaucoup plus discret apparement puisque je ne sais pas vraiment qui il est. Toujours à l'écart, la peau pâle et les yeux bleus gris. Un jour, lors d'une de mes après-midi que je passe enfermée dans la bibliothèque à travailler j'ai senti un regard se poser sur moi. Je relève doucement la tête : allongé de façon nonchalante sur le canapé il me fixait comme si il cherchait à découvrir chacun de mes plus sombres secrets. Un frisson me parcourût l'échine, un doux mélange de peur et ... d'excitation ! Mais ma liste de devoirs me rappela bien vite à la réalité et je n'ai plus recroisé, dans l'ombre des livres et l'air étouffant des esprits en ébullition, son regard foudroyant.
Pourtant mon esprit se ramène constamment à Darwin. Nous avons toujours été dans la même classe mais je ne sais pas vraiment ce que nous étions : des amis ? des camarades ? Ou juste des élèves qui se retrouvent chaque année sans s'adresser la parole ? Oui ça devait être ça. Et moi je ne faisais rien pour y remédier. Le regarder incognito me suffisait. Mais mes amies n'étaient pas de cet avis.
Les coups de coudes d'Angeline m'extirpent de mes pensées : nous sommes arrivées. Je descends tranquillement du bus et sens le soleil printanier réchauffer doucement mon visage.
Tout à coup quelqu'un me saute au coup. Je sens son parfum embaumer mon nez : c'est Élise et aujourd'hui elle a choisi Amor Amor de Cacharel. Je le sais car c'est la seule à le porter avec un zeste de citron. Je connais le parfum de chaque personne de ce collège, jusqu'au prof de sport. Elle se redresse, ses longs cheveux blonds auréolent son visage. Elle est juste sublime. Je n'arrive pas à voir ce qu'elle porte, trop éblouie par le soleil matinal, mais sans doute l'une de ces salopettes moulantes qu'elle est la seule à pouvoir porter.
Elle me chuchote à l'oreille :
"C'est le grand jour !"
Et voilà c'est reparti. Je suis harcelée de toutes part jusqu'au labo d'SVT. J'entre dans la classe, mes mains tremblent.
Je me fige, et Élise manque de me foncer dedans. Elle s'apprête à me traiter de tous les noms quand elle comprend la source de mon effroi. Au milieu de la classe se tient Darwin avec une sorte de limace en train de l'embrasser à pleine bouche.

La Beauté de l'OmbreOù les histoires vivent. Découvrez maintenant