Chapitre 5 : Je sens cette inquiétude qui plane, qui menace de l'autre côté

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Musique : Let it all go, Birdy

Mais si, tu peux. Non, bien sûr que non je ne peux pas. La fine poussière qui recouvre ma baguette, abandonnée dans la cuisine, en témoigne. Depuis combien de temps n'ai-je pas utilisé la magie ? Des heures ? Des jours ? Des semaines ? Je perds toute notion du temps. Tout se mélange. J'ai l'impression d'assister à mon quotidien derrière une vitre de verre. Une vitre de verre joliment propre qui reflèterait presque mon reflet. Un reflet désagréablement dégradé. Et derrière cette vitre, il y a l'autre côté. Il me regarde, me considère, il essaie de comprendre. De m'aider. Je ne sais comment faire pour lui dire que c'est impossible. Personne ne le peut. Personne. J'en serais presque désolé. Je sens cette inquiétude qui plane, qui menace de l'autre côté.

Notre sœur finit par me prendre par le bras et me forcer à me lever. Elle tient à ce que je prenne une douche, dont je ne veux pas. Je dégage violemment mon bras. Je refuse, grogne, marmonne, conteste. Mes pieds me mènent vers le salon et mes mains finissent par se procurer une nouvelle bouteille d'alcool. Du Whisky-Pur-Feu. Je laisse le liquide se déverser dans ma gorge, et la brûler petit à petit, jusqu'à ce qu'elle arrive et le retire la bouteille des mains. Elle commence à s'énerver mais je m'en fiche. Je l'ignore et lève les yeux. Mon regard croise brièvement son regard. Elle ne bouge pas, encore à l'entrée de la chambre. Elle hésite. Elle est mal à l'aise, ne bouge pas, reste sur place. Mais notre soeur, elle, hélas, n'en fait pas autant. Elle m'arrache la nouvelle bouteille que mes mains avaient attrapé, la pose violemment sur la table et crie. On dirait vraiment maman, Fred. Ses yeux, sa voix, sa colère. Ses gestes avec ses mains, là. C'est bien maman, Fred. Sauf que maman n'aurait jamais mentionner un abandon fraternel, une envie de me frapper, et de me tirer de là fissa. Notre sœur, si. Je souffle ostensiblement. Elle s'arrête un moment. Marque un temps.

Et me frappe la poitrine en m'exhortant d'agir. Je ne fais rien et ça l'agace. D'un pas rageur elle retourne dans la chambre et en revient avec une veste à la main. Elle m'aide à l'enfiler. Que dis-je. Elle le fait pour moi. Moi je demeure ainsi et j'attends que le temps passe et qu'elles s'en aillent, toutes les deux. La cadette de notre famille se dirige vers l'entrée, dans l'intention sûrement d'y récupérer mes chaussures. Elle marque à nouveau un temps d'arrêt, qui, cette fois-ci, est plus soudain. Elle s'est arrêtée dans son mouvement, les yeux fixés sur le sol. Mon regard suit le sien. Et mon cœur se serre. C'est toute cette douleur foudroyante qui revient d'un coup. Ce qu'elle a d'abord pris pour mes chaussures sont en réalité les tiennes, Fred. Elles n'ont pas bougé. Elles sont toujours là. À prendre la poussière, elles sont toujours là. Elles attendent, elles demeurent, elles stagnent. Mais notre sœur reprend rapidement contenance et continue son entreprise. Elle est courageuse, c'est indéniable.

D'autant plus courageuse qu'elle cherche une paire de chaussures que je n'ai plus. Je crois les avoir jetées à un moment donné. Je ne sais pas trop pourquoi j'ai fait ça. Je l'ai fait c'est tout. Tu es mort, c'est tout. Et c'est déjà tellement beaucoup. Ça n'a pas de sens et pourtant, ça fait tellement sens. Fred. Ça fait tellement sens. Tu es mort et je suis vivant. Quel antinomye. Antinomie. Voilà un mot que je croyais ne jamais utiliser. D'où me vient-il ? Je ne sais plus trop. Ces souvenirs sont un peu flous encore. Je l'associe vaguement à quelqu'un. Une fille, je crois. Mais c'est vague, c'est tout flou, à peine émergé. Peut-être à toi aussi. Je ne sais pas. Je ne sais plus. Tout ce que je vois pour l'instant, c'est notre sœur qui fouille littéralement l'appartement pour me trouver des chaussures semble-t-il. Elle ne bouge toujours pas. Elle semble comme pétrifiée. Je ne m'en inquiète pas outre mesure. Je m'en fiche. Elle finit par se rendre à l'évidence : il n'y rien pour me chausser. Elle hésite. Puis finit par descendre les escaliers en nous informant qu'elle revient.

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