Les trois Anges

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Tandis que mes yeux s’éternisaient sur le paysage, un peu plus bas, une biche blanche apparut dans un scintillement. Au début, cela ne me sauta pas aux yeux mais quand celle-ci galopa sur le long du jardin, je remarquai sa présence. C’était la première fois que j’en voyais une et pour être honnête je n’étais même pas sûr que ça existais. Non pas que j’ignorais l’existence de cet animal, mais j’avais façonné une image de la bête au pelage havane. Après tout, je ne m’étais jamais aventurée plus loin que les grilles du jardin de Bovert. Nous n’avions pas l’autorisation de les dépasser alors les rares animaux que j’ai vu de mes propres yeux étaient des volatiles et quelques insectes dont je me passerais bien. À Bovert, ma chambre donnait la vue sur un petit bayou, derrière l’établissement, je m’étais surprise à avoir perçus un crocodile. Enorme. Sa grande gueule s’était levée à la surface de l’eau puis toute sa masse est venu s’étalée sur la berge. Mon corps a été pris de tremblement. Un souvenir pour le moins attrayant…
Sa peau écailleuse roulait mécaniquement comme s’il n’était pas constitué d’os. Bien sûr, j’avais partagé ce moment de découverte intéressante avec Jude. Je me souviens qu’elle avait gloussé mais avait vite repris son sérieux pour me convaincre qu’elle ne se moquait pas de moi – pour ne pas me vexer.

Mais nous ne parlions pas de crocodile là, nous parlions d’une biche. Une vraie, qui existe et qui est blanche. Je n’ai pas étudié « La biographie de la biche pour les Nuls », mais nous nous approchions de la période froide alors elle avait sûrement dû revêtir son manteau hivernal ? Plausible comme hypothèse ? Sûrement.
Je n’avais pas prêté attention mais je ne suis pas réellement certaine que nous soyons toujours en Louisiane. Bien sûr, le trajet n’avait pas durée une éternité, mais Bovert se situait non loin de la frontière de l’Etat – plus précisément à Winnsboro. Peut-être que le manoir Pearl se situe dans le Mississipi pas très loin de Jackson. J’aurais bien voulu visité cette Etat, notamment me promener au bord du fleuve portant le même nom. Mais, j’étais au quatrième étage d’un manoir dans le genre sinistre et assez effrayant.
Rien que d’en parler, un frisson longe mon échine. Je le sens.
D’ailleurs, le temps de ma réflexion géologique, l’animal s’était rendu sous un saule pleureur. Elle avait tourné la tête dans ma direction et ses yeux globuleux semblaient s’adresser à moi. Puis, elle secoua ses oreilles et disparut dans un étincèlement. J’admirais les petits cristaux s’évaporaient dans l’air – sans que cela ne me choque plus que ça. Puis, je remarquai le petit portail rouillé recouvert de ronce. Sûrement oublié depuis la nuit des temps, il semblait cependant être le seul passage menant à l’extérieur sans passer par la grille et tout en se faisant discret.
Je ne sais pas vraiment si j’ai le droit de sortir de la propriété Pearl. Mais au cas où, je m’assurerais d’en avoir la permission avant de me jeter délibérément dans la liberté.
Je me concentrai sur le sol pleureur, ses lianes vertes bougeaient au rythme du vent et effleuraient le sol. C’était bien le seul être vivant dans ce jardin, comme si sa place ici signifiait bien plus qu’un élément du paysage. Mes pensées furent ramenées à la réalité lorsqu’on toqua à la porte. Je me retourne et autorisa à entrer. Amane passa sa tête dans l’entrebâillement  de la porte. Son regard s’attarda un instant sur ma valise toujours fermée puis elle revint à moi.

-Le dîner est prêt, tu peux descendre, elle hésita un instant et reprit, si tu le souhaites.

-Je descends d’une minute à l’autre.

Amane opina du chef et referma la porte. Je soupirai, portant une main à ma poitrine – mon cœur s’affolait dans tous les sens. Amane semblait être dotée d’une grande gentille, mais cette situation me rendait tout de même perplexe. C’était gênant, qu’allais advenir mes journées au manoir Pearl ? Vais-je devoir étudier dans un lycée ? À l’orphelinat, c’était les sœurs qui donnaient les cours. Mais je doute qu’Amane soit mon futur professeur, il faudra que je demande à M. Pearl si j’en ai le courage.

In the Soul : The Silver Eyes (Tome I)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant