Le barman, les pirates et une bonne dose de brandy d'Andromède

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                                                  Une nuit au Metal

Et comment ça, les pirates de l'Arcadia sont tous des alcooliques ?

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Les pirates étaient arrivés en début de soirée, avant même que le bar n'ait commencé à se remplir. Les clients déjà installés s'étaient soudain souvenus qu'ils avaient autre chose à faire (n'importe quoi, pourvu que ce soit ailleurs). Ceux qui étaient entrés après avaient parfois osé venir commander une consommation au bar avant de déguerpir, mais la plupart avaient tourné les talons sitôt la porte passée, avec une expression de panique sur le visage. Au bout d'une heure à ce régime (et vingt-cinq « non-clients » qui risquaient de ne plus mettre les pieds dans son bar avant une éternité), le barman avait quitté son comptoir en soupirant et était allé placer le petit panonceau « fermé » sur la porte d'entrée qu'il avait verrouillée. Puis il avait glissé à sa serveuse la moins effrayée qu'elle aurait droit à une prime pour cette soirée et avait congédié les deux autres qui s'étaient empressées de se sauver par la porte de derrière.

Il s'était enfin saisi d'une chaise, s'était tranquillement approché des pirates et s'était installé en bout de table. Le capitaine de cette bande de hors-la-loi y sirotait son verre avec désinvolture.

— Fais-moi un peu de place, gamin.

L'intéressé fronça les sourcils, puis prit l'air profondément ennuyé. Le barman sourit intérieurement – Harlock détestait être traité avec la condescendance paternaliste dont le barman faisait systématiquement preuve à chaque fois qu'ils se croisaient.

— M'appelle pas « gamin », lâcha le capitaine pirate distraitement. Dis-moi, c'est toi le patron de cette gargote, non ? Tu n'es pas plutôt censé nous servir au lieu de t'incruster ?
— Cette gargote ? s'indigna le barman. Si tu n'aimes pas mon bar, tu peux toujours aller voir ailleurs... si l'on t'y accepte !

Son éclat de voix avait attiré l'attention de la tablée. Les pirates le dévisagèrent avec des expressions oscillant entre la curiosité (le barman était Octodian, et le seul de ce quadrant, à sa connaissance) et l'hostilité (typiquement le genre « qui t'es, toi, pour t'attaquer à notre capitaine ? »). Harlock le gratifia d'un sourire moqueur.

— Je trouve que tu as du culot pour me provoquer en face de quatre-vingt-dix pour cent de mon équipage. Ou alors, c'est de l'inconscience, au choix...
— Te provoquer ? Dis donc, gamin, qui a investi les lieux, a fait fuir tous mes clients et a en plus l'arrogance de critiquer mon établissement ?

Harlock leva les paumes en signe de conciliation.

— Okay, un point partout... Tu peux rester, ajouta-t-il en haussant les épaules.
— J'espère bien, maugréa le barman. C'est quand même mon bar...

Les pirates se désintéressèrent de lui et revinrent à leurs verres et leurs conversations. Le barman se servit copieusement de whisky avant de trinquer avec Harlock.

— À ta santé, Bob, répondit celui-ci.

Le capitaine avala une gorgée d'alcool, parut hésiter, puis se pencha vers le barman.

— Et arrête de m'appeler « gamin » devant mes hommes, ajouta-t-il d'un ton agacé.

Le barman ricana sans répondre. Le qualificatif « gamin » était le leitmotiv de leurs rencontres. Harlock n'avait pas renoncé à le convaincre de cesser de l'utiliser, mais Bob ne voyait pas l'intérêt d'abandonner un aussi bon moyen de faire tourner le pirate en bourrique. Il savait néanmoins cesser de le taquiner à temps : après tout, le capitaine Harlock était recherché et dangereux, si l'on en croyait l'avis placardé en évidence au-dessus du comptoir.

Le barman et le pirateOù les histoires vivent. Découvrez maintenant