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Par exemple, le soleil ne trône pas toujours au milieu du ciel dégagé. Il lui arrive souvent d'être couvert par de légers nuages, témoins d'une colère passagère, mais aussi parfois par des nuages de tempête, témoins d'un courroux persistant. Ces émotions solaires s'expriment sur Terre sous la forme de vents violents allant jusqu'aux aléas naturels dévastateurs, tels les orages ou les ouragans. Il sait pertinemment que notre planète souffre ses humeurs, et cela lui procure un certain plaisir. Cruauté.

Par ailleurs, derrière cet aspect colérique se cache aussi une profonde détresse. Les nuages gris qui enveloppent le ciel certains jours illustrent sa morosité, son ennui, et son chagrin pleure sur la Terre par l'intermédiaire de la pluie. Le soleil s'ennuie, le soleil est colérique, le soleil est triste. Le soleil est esseulé.

Enfin, le trou qu'il possède dans sa surface n'est pas lié à une éruption solaire titanesque qui aurait laissé son empreinte sur lui. Il est dû à un astéroïde titanesque qu'il a attiré vers lui. Et la ligne qu'on peut distinguer clairement lorsqu'on l'observe au télescope, au moment où il se couche, n'est pas liée à une fissure naturelle et bénigne, mais à l'attraction volontaire d'un astéroïde qu'il a fait glisser le long de sa surface. Oui, le soleil souffrait et s'infligeait ses souffrances de même que ma douce amie du soir.

Au début, le choc fut violent pour moi. Le soleil est capable d'une cruauté sans égale, mais aussi d'une tristesse sans égale, il souffre. De même, la lune est capable de s'enfermer dans son malheur en rejetant les seules étoiles qui lui reste, et de s'infliger mille et une tortures, elle souffre. Voilà. Je ne fus pas choquée parce que ce que cela me dégoûtait, mais parce que depuis tant de semaines, je m'étais fabriqué un monde parfait avec la lune et le soleil, astres parfaits, dotés de qualités parfaites. Parce que je n'avais vu d'eux que ce que je voulais voir, ce qui était beau à mes yeux. Parce que chaque matin j'avais cru ouvrir mes volets, m'ouvrir aux autres alors qu'en vérité ma vision était partielle, et les refermer le soir dès que la réalité tentait de m'approcher. Parce que j'avais préféré vivre dans une illusion de ma propre facture plutôt que de voir la détresse qui m'entourait. Parce que je rêvais éveillée.

Je regrette. Je me suis complu dans mes inventions, je les ai entretenues chaque semaine. Je croyais m'enfermer dans l'habitude en ouvrant mes volets chaque matin, et c'est pourtant dès que je les ouvrais que commençait son contraire.

Le changement. Eternel, il existe depuis toujours et existera toujours, au moins aussi longtemps qu'existent le disque d'or et le disque argenté. Aussi imprévisible que l'océan, il se manifeste sous nos yeux aux volets fermés, sans crier gare, et sous toutes les formes, qu'il s'agisse de nuages devant le soleil, de la vieillesse de mon chat ou de l'évolution de ma réflexion. A travers ces situations, il nous rappelle son existence. Il caractérise la vie. Dans l'ombre et pourtant au su et au vu de tous, il œuvre d'une manière fascinante. En silence, il créée la houle dans nos esprits, les sinuosités des chemins que l'on emprunte, l'évolution de nos vies.

J'essayais de me protéger de lui, convaincue qu'il n'apportait que souffrance et détruisait les convictions avec cruauté. Et finalement, aujourd'hui, je le remercie, car grâce à lui, je suis sortie du brouillard pour embrasser la lune et le soleil tout entier. Oui, le changement est aussi vecteur de merveilles, telle la création de liens entre les Hommes et les astres. Le changement n'est ni tout noir, ni tout blanc. A l'image des deux sphères qui illuminent le ciel, il possède deux facettes opposées. Le changement est nuancé. Me voilà désillusionnée.

Pourtant je ne m'en sens que grandie, plus apte à aider ces boules de lumière à deux facettes, l'une blanche, l'autre noire. Mon chat ronronne.

Il s'est installé au creux de mes jambes repliées. Je le caresse. Il est doux et aimant. Il est vieux aussi. Un vieux sage calme qui attend, couché sur moi. Il me réchauffe. Il me réchauffe le corps et le cœur. Je passe une main sur sa petite tête adorable. Je souris.

Finalement, depuis des semaines, je séparais le jour de la nuit. Or, les deux merveilles qui gouvernent les deux aspects des vingt-quatre heures sont les mêmes. Ces deux merveilles qui illuminent ma vie sont les mêmes. Mes deux amies, l'une extravertie et généreuse, l'autre timide et mystérieuse, qui, sans se connaître, sont les mêmes. L'une, celle qui incarne la lumière lunaire, je la connais depuis beaucoup plus de semaines que l'autre, celle qui incarne la lumière du jour. Pourtant, c'est celle que je connaissais depuis le moins longtemps que j'ai découvert en premier. Et, doucement, j'ai réalisé que toutes les deux sont semblables derrière leur magnificence. Toutes deux se mutilent.

Toutes deux souffrent en silence.

Toutes deux appellent à l'aide.

Et toutes les deux, je les aime, je les aime assez pour formuler le souhait sincère d'être toujours là pour elles. Un souhait pur pour toutes les deux. Pour ces deux lumières sur qui je prends modèle. Pour ces fleurs de jour et de nuit qui s'écorchent. Pour les aider à arrêter de souffrir seules avec leurs couteaux, leurs objets blessants. Pour qu'elles vivent, et que la seule facette qu'elles possèdent soit la blanche, avant que l'autre ne les détruise de l'intérieur comme de l'extérieur. Pour que leur rivière de larmes et de sang se tarisse, avant qu'elles ne s'éteignent pour de bon. Enfin. Paix.

Soraya C.A.

Et si nous rêvions éveillés...Où les histoires vivent. Découvrez maintenant