J'ai ouvert mes volets. Herbe verte étincelante, rosée délicate sur les plantes, air teinté de fraîcheur : un matin qui m'enchante. Changement.
Tranquille, j'étire les bras et me dirige vers la commode. Je dois partir rapidement. Je laisse la fenêtre grande ouverte, pour que la beauté du dehors vienne habiller l'intérieur de mon cœur. Je sors de ma chambre. Après un léger brin de toilette, je pars. Mon chat se frotte à mes jambes lorsque je m'apprête à sortir. Je le caresse. Ses longs poils mordorés tous doux me font chavirer. Je le serre fort dans mes bras. Puis je pars pour de bon.
Je me promène sans me presser sur le chemin de terre coutumier. Je me suis mis en route assez tôt pour prendre le temps de marcher à mon rythme, avant que ma journée de travail ne commence. Je passe à travers la dense forêt de conifères près de ma maison, et arrive au bord de l'océan. Là, je poursuis ma route pleine de vallons, qui borde l'étendue bleue pittoresque. Et, à ce moment, je le vois.
Le soleil rayonne. Il est grand. Beau. Chaleureux. Il respire la générosité et l'enthousiasme de la vie, celle de sa longue vie de soleil.
Il me fascine. Pour la énième fois, dorlotée par ses chauds rayons, je me surprends à l'envier. Dans le ciel dégagé, il brille de mille feux. Il attire tous les regards, il resplendit littéralement. A côté, je fais bien pâle figure. Dans les conversations, lorsqu'on l'évoque, on en dit toujours du bien : « Je l'ai aperçu hier, en fin de journée, il était magnifique, comme à son habitude. Si tout le monde était aussi rayonnant que lui, nous vivrions dans un monde parfait !» Ces mots reviennent inlassablement. Il n'y a que ça à dire de lui. Du bien. Pas une tâche sur la toile dorée, pas une ombre sur l'œuvre blonde grandiose. Rien qu'une admiration plus ou moins tacite, parfois extravertie.
Cette admiration s'est bien souvent transformée en une jalousie corrosive, mais j'ai su m'extraire de ce sentiment, plus ou moins : « Nous faisons tous pâle figure à côté du soleil, simplement car excepté lui-même, personne n'est le soleil. » Ainsi, je choisis de prendre l'astre d'or comme modèle. C'est mieux comme ça. Au lieu de stagner, j'avance vers cet exemple de vie. Moi aussi je veux rayonner. Etre aussi belle qu'il est beau. Apporter autant de chaleur que possible au reste de l'univers assez froid auquel nous appartenons.
Chaque matin, j'ouvre mes volets, j'ouvre les rideaux devant mes yeux pour embrasser ma journée future. Chaque matin, je sors de chez moi avant les cours pour contempler la grandeur du soleil emplie de mansuétude, recueillir un peu de sa splendeur pour briller tout le reste de la journée. Et à chaque fois que je le vois, il trône au milieu du firmament, au-dessus de l'océan traître et envoûtant. Il est le même à chaque reprise. Eternel.
J'ouvre doucement les yeux, que j'avais fermés au fil de mes pensées. Ma peau se gorge de lumière tandis que mes yeux vagabondent à droite et à gauche sur l'horizon. Puis je me plais à étudier les courants visibles à l'aide des démarcations de couleur allant du turquoise au bleu marine sur l'eau, et les vaguelettes qui animent la rive, témoins de l'agitation constante de l'océan. Le soleil, lui, est toujours calme. Les seules émotions qu'il traduit sont l'enthousiasme et surtout la joie. Parfois, il arrive que cette joie déborde et que ses rayons deviennent aussi chauds qu'une mer de lave. Dans un élan d'exaltation, il projette sa chaleur avec une force plus soutenue qu'à l'accoutumée. Sur Terre, nous la percevons comme une légère ou forte canicule. L'ampleur de son émotion ne nous affecte guère. Simplement car nous ne le voyons que très peu, finalement, et ce faisant, sa lumière ne nous brûle pas. Par exemple le matin seulement, et quelques autres moments fugaces dans la journée. On ne sait jamais à quel moment la folie de lever les yeux au ciel et de le contempler nous prendra. Imprévisible.
Même sans le voir, rien que de penser à lui, le soleil m'illumine. Aujourd'hui, il est là.
Je sais que cet instant va s'éteindre. Aussi en profité-je intégralement.
Mais le temps que je pouvais accorder à sa beauté s'est écoulé : je dois rejoindre l'école. Je lui jette un dernier regard, triste mais heureuse, et lui lance un « au revoir » reconnaissant. Je détourne la tête et reprends ma route. Je traverse des vestiges des conflits passés, au beau milieu de la forêt, édifices mémorables et haïssables de guerres qui ne me concernent en rien. Néanmoins, la joie du soleil m'habite toujours ; la terreur immonde de ces souvenirs historiques ne m'atteint pas. Mais même s'ils appartiennent à un autre temps, cette mémoire du monde fait partie de ma propre mémoire, celle des Hommes. Rappel.
Le reste de la journée s'écoule sans remous. Celle qui se fait appeler « routine » reprend sa place jusqu'au soir. Je rentre chez moi au crépuscule.
A l'heure du coucher, je m'endors immédiatement. Le pays des rêves me happe. Soudain, un coup de vent froid me réveille. Trop concentrée sur mes pensées, j'en avais oublié de fermer la fenêtre. Je me lève en ronchonnant. J'aurais bien aimé dormir d'une traite, pendant toute la nuit. Mais d'autres desseins m'attendent.
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Et si nous rêvions éveillés...
NouvellesPour tous ceux qui tiennent à une personne en ce monde. Pour tous ceux qui veulent aider une personne en ce monde. Pour tous ceux qui aiment la splendeur et la beauté de notre univers mais l'abhorre parfois. Pour tous ceux qui peuvent octroye...